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Publié le 13 Avril 2010

Shimon Peres : «Avec les Palestiniens, nous sommes très proches de la paix»

Le président israélien Shimon Peres, âgé de 86 ans, arrive ce mardi 13 avril 2010 en France pour une visite officielle de trois jours. Au programme des discussions avec Nicolas Sarkozy, François Fillon et Bernard Kouchner sur la menace nucléaire iranienne, le blocage du processus de paix israélo-palestinien. Le travailliste (socialiste) Peres, qui fut à trois reprises Premier ministre d’Israël et partagea, avec Rabin et Arafat, le Nobel de la paix en 1994, remplit désormais une fonction avant tout honorifique. Il est un des derniers « pères fondateurs » de l’Etat hébreu, et c’est lui, qui mena dans les années 1950, le programme militaire nucléaire israélien.




Dans votre jeunesse, vous veniez souvent à Paris, où vous meniez une coopération militaire entre la France et Israël. Quel regard portiez-vous sur les Français ?



Shimon Peres : On décrivait souvent les Français comme des gens rationnels, raisonnables. Pour ma part, je les ai trouvés romantiques, et plus encore sentimentaux. Si on ne saisit pas l’âme de la France, on ne peut pas comprendre ce pays. J’ai eu la chance de ressentir cette âme. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y avait une forte mobilisation de l’esprit de résistance, qui pouvait profiter à Israël.



Qu’attendiez-vous de Paris ?



Après le vote de la résolution de l’ONU créant deux Etats (NDLR : en 1948), un juif et un arabe, les Arabes nous ont déclaré la guerre. A notre grande surprise, nos trois alliés privilégiés Etats-Unis, France et Grande-Bretagne favorisèrent un embargo sur les armes à destination du Proche-Orient. Cela revenait à un embargo contre Israël. La France prit le risque de passer outre et de nous fournir des armes pour nous défendre.



Y a-t-il eu et y a-t-il coopération nucléaire militaire ?



Ce n’est pas nécessaire. Je sais que le monde s’interroge sur le fait de savoir si Israël possède ou non une telle panoplie. Selon moi, la suspicion suffit, car la suspicion c’est la dissuasion. Un jour, le secrétaire général de la Ligue arabe, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères (Amir Moussa), m’a demandé : « Nous sommes bons amis. Pourquoi ne m’amèneriez-vous pas à Dimona (site présumé du centre nucléaire israélien, dans le désert du Néguev) pour que nous jetions un coup d’oeil sur ce qui se passe là-bas ? » Je lui ai répondu : « Vous êtes fou ! Si je vous conduis à Dimona, vous verrez qu’il n’y a rien. Dans ce cas, la suspicion disparaîtra et nous perdrons notre force de dissuasion ! » Israël n’a, en tout cas, jamais eu d’intention agressive, ni dans ses tripes ni dans sa tête. Jamais.



Vous allez inaugurer jeudi à Paris l’esplanade Ben-Gourion. Le Parti communiste voit en cette initiative un « acte contre la paix et la justice » et demande la création d’une place dédiée à Yasser Arafat comme il y en a déjà une pour Yitzhak Rabin…



Décidément, le Parti communiste est rarement dans le vrai. David Ben Gourion est l’un des grands leaders du XX e siècle, au-delà d’Israël. C’était un homme hors du commun, intellectuellement, moralement. Quant à parler d’acte contre la paix, j’aimerais poser une question aux communistes français : Israël a conquis Gaza, y avait construit des colonies, puis s’en est totalement retiré. Nous avons démantelé les colonies et évacué leurs habitants par la force. Le PC peut-il m’expliquer pourquoi le Hamas continue à lancer des roquettes sur Israël ? Et si nous avons rendu la terre à l’Egypte et à la Jordanie, c’est parce que nous sommes contre la paix ? A défaut de logique, les communistes devraient faire preuve de dialectique, et analyser la thèse, l’antithèse et la synthèse.



Pensez-vous qu’Arafat mériterait sa propre place à Paris ?
Ce n’est pas moi qui décide des noms de lieux à Paris ! Pour avoir négocié avec Arafat, je peux dire une chose : sans lui, le processus de paix avec les Palestiniens n’aurait jamais démarré ; mais avec lui, il n’aurait jamais eu de chance d’aboutir. Les choses ne sont pas noires ou blanches. Je n’oublierai pas ce qu’a fait Arafat, mais, malheureusement, nous ne pouvons pas oublier ce qu’il n’a pas fait.



Qu’attendez-vous du président Sarkozy ?



C’est un leader très dynamique. Son approche du Proche-Orient mérite le plus grand respect. Avant tout, il a une position très claire sur l’Iran. Le problème iranien dépasse de loin tous les autres, car c’est la combinaison entre la volonté de construire la bombe atomique et l’appel à anéantir une autre nation. Un haut responsable de l’ONU m’a dit que les gens ne prennent pas vraiment au sérieux les menaces d’Ahmadinejad. Je lui ai répondu que nous, les Juifs, nous n’avons pas le droit de ne pas les prendre au sérieux. Second point, Nicolas Sarkozy estime que la bonne approche pour les Palestiniens est de bâtir leur Etat. La France les y aide concrètement, par exemple en lançant une pépinière d’entreprises high-tech à Bethléem. Je suis sûr que cette initiative aura du succès.



Pourtant, le processus de paix avec les Palestiniens n’avance pas, la colonisation se poursuit…



Je suis persuadé que nous sommes très proches des dernières étapes vers la paix. Le principe de deux Etats est accepté par tous. Mais la logique ne joue pas toujours un rôle majeur en politique. Il y a aussi la psychologie, l’émotion, la rhétorique… Mettons de côté l’émotion, asseyons-nous autour d’une table et faisons la part des choses entre nos accords et nos désaccords : sur 90 % des points, nous sommes d’accord ou en passe de l’être. Pour le reste, il faut faire des compromis.



Comment empêcher l’Iran d’avoir la bombe ? Les sanctions économiques suffiront-elles ?



L’Iran est en proie à une corruption morale. Il faut appeler un dictateur un dictateur, un assassin un assassin : il faut appeler Ahmadinejad par son nom. Il dirige un pays membre des Nations unies et appelle à la destruction d’un autre Etat membre de l’ONU ! Face à cela, nul ne doit fermer les yeux.



Israël envisage-t-il une action militaire contre l’Iran ?



Il ne faut pas prendre les choses par la fin, mais par le commencement. Or le commencement, c’est de lutter contre cette corruption morale. Il y a en Iran un mouvement de protestation qui vient des Iraniens eux-mêmes. Eh bien, aidons-les !



Vous avez eu le prix Nobel de la paix. Est-ce que ça change la façon de faire de la politique ?



Cela n’a rien changé. Je n’ai jamais agi en songeant que je faisais cela parce que j’avais reçu le prix Nobel. En vérité, cela m’a conféré un prestige inattendu : je ne savais même pas que je figurais parmi les candidats ! Mais j’aurais oeuvré pour la paix même sans ce prix. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour convaincre Arafat de renoncer au terrorisme, pour faire accepter à l’opinion israélienne des concessions. Aujourd’hui, nous avons au moins les fondations pour la paix qui ont été établies à Oslo.



Comment expliquez-vous l’impopularité du Premier ministre Benyamin Netanyahou ?



Pour un Premier ministre, l’impopularité n’est pas une faute. Tout dépend de ce qui le rend impopulaire. Un leader doit se préoccuper de ce qui est juste pour son pays, et pas de sa cote de popularité. La vie m’a appris que c’est à son action qu’un dirigeant doit être jugé, pas à ses discours…



Soixante-deux ans après sa création, comment voyez-vous l’avenir d’Israël ?



Israël est à mes yeux une réussite humaine plus qu’une réussite économique ou politique. Nous avons eu neuf guerres et intifadas, mais ça n’a pas affecté notre démocratie, ni freiné nos efforts de paix. Nous ne sommes pas des anges du ciel, mais des êtres humains, aussi je crois que ce que nous avons réalisé est remarquable. Nous avons d’une part les dix commandements de Moïse, un texte d’à peine 162 mots, vieux de trois mille cinq cents ans, qui est à la base de notre civilisation juive. Et d’autre part nous devons être aussi modernes que l’iPhone ! Les dix années à venir devraient voir une incroyable explosion de sciences et technologies. Je souhaite aussi qu’Israël devienne un pays capable d’aider les autres pays à vivre en paix.



L’optimisme, c’est important pour un leader politique ?



Optimistes ou pessimistes, nous finirons tous par mourir. Alors, permettez-moi d’être optimiste ! Un leader ne doit pas être au-dessus des gens, mais devant eux. Il doit être capable de voir une terre promise, même si on n’y arrivera jamais…



(Entretien publié dans le Parisien du 13 février 2010)



Photo : D.R.
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