Actualités
|
Publié le 13 Mai 2008

Simon Drucker : «Etre en vie à 21 ans me semblait une sorte de victoire»

Né en 1924 à Paris, Simon Drucker vit avec ses parents originaires de Pologne et son petit frère Isidore. Le père de Simon, sans papier, fabrique des casquettes dans un atelier de la rue des Blancs-Manteaux. « Il nous arrivait souvent d’avoir faim mais nos parents nous donnaient tellement d’amour, de tendresse, que dans les pires moments – et même plus tard devant la mort – l’espoir ne nous abandonnera jamais », déclare Simon.


Après 1936, le père de Simon régularise sa situation et crée son entreprise de commerce ambulant. Lorsque la guerre éclate, le père de Simon s’engage dans la légion étrangère. Il combat en 1940 et est démobilisé après la défaite, en zone libre. Il rejoint sa famille sur Paris et est arrêté le 13 mai 1941 lors de la rafle de la caserne des Minimes, place des Vosges, par des gendarmes français, et enfermé au camp Pithiviers. Le 25 juin 1942, il est déporté de Pithiviers à Auschwitz d’où il ne revient pas.
Moins d’un mois plus tard, Simon sa mère et son frère Isidore sont à leur tour arrêtés à leur domicile lors de la rafle du Vel d’Hiv par le même gendarme qui faisait traverser les enfants dans la rue la veille. « Je n’oublierai jamais la matinée du jeudi 16 juillet 1942. Il faisait beau et les enfants n’avaient pas classe. Dès cinq heures du matin, la police française encercle la rue Notre-Dame-de-Nazareth. La rue résonne de supplications, de cris, de pleurs, de hurlements. A peine réveillés, à peine habillées des familles entières sont jetées à la rue. On nous emmène à pied dans un garage de la rue de Bretagne. Il y a parmi nous des enfants en bas âge des vieillards qui marchent difficilement, des malades encadrés par des policiers en uniforme ou en civil devant des passants éberlués, compatissants ou indifférents, mais tous paralysés par la peur. Du garage, des autobus nous conduisent au Vel d’Hiv. Nous y restons plus de deux jours dans des conditions d’hygiène effroyables, avant d’être transférés, toujours en autobus, jusqu’au camp de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Le 5 août, ma mère est déportée. A l’idée de nous laisser seuls, mon petit frère et moi, elle est prise d’une crise de désespoir. Elle résiste aux gendarmes en hurlant : ‘Mes enfants, mes enfants, que vont-ils devenir ?’. Les gendarmes la tirent avec brutalité, sous nos yeux. Mon petit frère est déporté le 19 août et moi le 2 septembre. »
Simon Drucker a un parcours particulier. Il connaît onze camps d’extermination ou de concentration (Osterod, Sallstedt, Elrich, Ottmuth, Kosel, Auschwitz, Birkenau, Dora Nordhausen, Tzebinza, Buna-Monowitz) et sept prisons en Allemagne (Erfurt, Leipzig, Halle, Kassel, Chemintz, Saarebruck).
Simon réussit à s’évader du camp de Tzebinza, en Haute Silésie avec trois camarades. « A l’époque de notre évasion, le camp n’était pas encore en construction sans clôture électrifiée. » Repris par la Gestapo et remis au SS, il est envoyé à Auschwitz puis à Buna-Morowitz. En 1945, il est évacué vers l’Allemagne. Il s’évade une nouvelle fois, grâce à un bombardement dans la campagne. Enfin, il est libéré le 8 mai par les Américains en Allemagne.
Il revient sur Paris mais ne retrouve personne de sa famille. Il retourne dans l’appartement de ses parents occupé par de nouveaux locataires. « Etre en vie à 21 ans me semblait une sorte de victoire, même si je n’avais pas tellement envie de vivre. » Il se tourne alors vers Israël où d’anciens déportés essaient de débarquer et où les combats commencent. « Aider des rescapés des camps de la mort à qui on refusait un refuge, me semblait un devoir impérieux, et donnait un sens à ma vie, et éventuellement à ma mort », explique Simon. Il s’est donc rendu à un bureau de recrutement à Paris.
Arrivé à Marseille, il embarque à bord de l’Atzmaout, « un rafiot dont on se demandait s’il n’allait pas sombrer d’un moment à l’autre ». Au moment de son arrivée à Haïfa, il ressent une grande émotion : « Je pensais que depuis 2000 ans, à travers les persécutions, les pogroms, les camps de la mort, des Juifs avaient vécu ce moment en rêve. Et nous, nous le vivions. »
Regroupés au camp d’Atlit, les volontaires sont soumis à un entraînement intensif et reçoivent une arme. « Si en m’engageant à Paris, j’avais surtout pensé à mourir pour une cause, je sentis vite grandir en moi le désir de vivre. »
Il reçoit un fusil Skoda, récupéré sur les Nazis en Tchécoslovaquie. « Une croix gammée était gravée sur la crosse. Au contact avec l’ennemi, le doigt sur la détente, je me disais que je faisais partie du destin d’Israël que j’avais fait le serment de défendre. »
L’unité de Simon, que David Ben-Gourion est venu voir, est engagée à Julis puis à Beer-Sheva où les combats étaient durs. Plusieurs Machalnikim sont tombés lors des combats. « Mon lieutenant, un garçon très doux, qui s’appelait Tsvi et avait survécu aux persécutions en Europe, a sauté sur une mine au cours d’une patrouille et est mort sous nos yeux. Je n’ai jamais oublié les Machalnikim morts au combat, et dans mon souvenir, leur mort donne un sens à celle de tous les jeunes morts dans les camps nazis. » Démobilisé en 1949, il revient sur Paris où il rencontrera sa future épouse.
« Aujourd’hui encore, plus d’un demi-siècle plus tard, je ressens la fierté d’avoir été associé à ce sauvetage et je revois comme si j’y étais le défilé de l’Indépendance en mai 1949 à Tel-Aviv. »
SL
Témoignage extrait du livre « La guerre d’indépendance d’Israël. Témoignages des volontaires française et francophones », Editions Machal, 2006, 338 p.
Maintenance

Le site du Crif est actuellement en maintenance