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Publié le 26 Janvier 2011

Tu es partie à la fin de Shabbat, ton dernier cadeau

Tullia Zevi, l'un des leaders historiques des Juifs de l'Italie d'après-guerre, et la seule femme à avoir occupé le poste de présidente des communautés juives du pays, est décédée samedi 22 janvier à l'âge de 92 ans. Tullia Zevi était une figure éminente dans le dialogue judéo-chrétien. Au cours de sa longue carrière, elle a également occupé des postes importants au sein du Congrès juif mondial et du Congrès juif européen.




Hommage à ma grand-mère
Par sa petite-fille
Nathania Zevi a rendu cet hommage dans le quotidien Corriere della Sera le 24 janvier 2011



Ton départ un samedi après-midi, juste à la sortie du Shabbat où nous avons lu le texte des dix commandements, mamie, reste la dernière démonstration de l’attention que tu as eue envers nous et pour les choses importantes qui nous guident dans la vie. En tant que musicienne, comme le dit toujours mon père, tu as su, avec ton sens de l’harmonie et du rythme, choisir, même pour cette occasion, un moment où nous étions tous ensemble.



Tu n’es pas partie l’année dernière, pendant que j’étais aux Etats Unis pour mes études, ou en Israël. Tu l’avais promis et, comme toujours, tu as maintenu ta parole.



Dès hier, qui sait si tu t’y attendais, les journaux et les chaines télévisées ont raconté ta vie dense de responsabilités et de succès, des années de l’antifascisme à la présidence de l’Union des Communautés Juives Italiennes, de l’exil en Amérique à la commission d’enquête sur les crimes commis par les militaires italiens en Somalie, Le même parcours que nous avons fait ensemble, toi et moi, cela fait quelques années, devant les repas délicieux que tu cuisinais, entre les rires et parfois même quelques larmes, pour publier notre livre. Je pense à toi quand je suis anxieuse et je mets mes mains dans la bouche, comme je le fais à ce moment même, et quand je parle trop vite en sautant les mots. « Parle lentement » et « n’abime pas tes belles mains, malheureuse », je te promets que je vais me répéter ces expressions chaque fois qu’il y en aura besoin.



Je pense à toi parce qu’on aime les mêmes odeurs. Je pense à toi quand, comme aujourd’hui, je cherche frénétiquement un coiffeur qui, avant les obsèques (aujourd’hui à 12.30, ndlr), arrive à me faire cette fameuse coiffure à banane de laquelle tu parlais tout le temps et avec laquelle, je le regrette maintenant, tu n’as jamais pu me voir. « Vis autant que tu peux, car tu ne seras jamais jeune comme aujourd’hui », était une autre phrase que tu disais tout le temps, ainsi que les remarques sur mes jupes trop courtes, même quand elles ne l’étaient pas vraiment.



Je venais chez toi avec mes joies, mes angoisses, mes indécisions, mes doutes existentiels. Je ne pourrais jamais oublier les nombreux jours où je t’ai ouvert mon cœur heureux puis souffrant. « La vie est longue, tu disais, tu dois te laisser vivre ». Tu répétais que quand l’on est jeune tout parait irréparable, mais au fond ce ne l’est pas. Je crois que tu avais raison, et j’ai compris que, comme tu le disais, le cœur est un muscle intelligent avec une voix spéciale et « quand il crie tu l’entends ».



Tu as toujours su être complice avec Tobia et moi. Hier j’ai marché un peu autour de la piazza delle Tartarughe, avant de venir te voir à l’hôpital. Je me suis rappelée de quand, à quatorze ans, mes parents me confièrent à toi quelques jours avant de rentrer des vacances. Nous avions concordée une sortie clandestine avec mon petit ami de l’époque, avec retour à une heure. Je rentrai à trois heures et demie e je me glissai dans mon lit encore habillée. Peu après, te voilà devant la porte de la chambre. « T’es rentrée ? », et moi, « oui, depuis longtemps ». Toi : « Bravo, très bien », mais tu continuais à me regarder avec un air coquin et un peu ironique, et je n’ai pas su résister. J’ai avoué. Nous avons tellement ri. Tu m’avais très bien entendu, et le jour après, toast au fromage au petit déjeuner et silence avec mes parents.



Tobia se souvient de quand il était à l’école primaire à Lungotevere Sanzio et tu passais devant la sortie pour l’embrasser avant qu’il rentre à la maison.



Mes amis rigolent encore au souvenir du soir où, pour me garder encore quelques heures avec toi après le diner, tu me persuadais de les inviter chez toi pour un drink à onze heures et demie au lieu de les rejoindre au bar. Tu buvais du myrte avec moi, autre grande passion commune, mais tu refusas de le proposer aux garçons. « C’est une chose pour les demoiselles », tu as dit, avant de les enivrer avec un whisky on the rocks.



Une des choses que tu m’as appris quand je restais avec toi est qu’une dame laisse toujours sa salle de bain en ordre et qu’un verre de vin rouge avant une épreuve importante est une astuce qui fonctionne presque toujours. Une autre chose est que des faits importants arrivent dans la vie.



Je sais que tu aurais voulu être présente pour d’autres occasions heureuses qui, avec ta bénédiction, auront lieu dans ma vie. Je te promets que ces jours là, comme toujours, je sentirai une de tes mains sur ma tête pour me protéger et l’autre derrière mon dos pour m’encourager et me pousser à faire toujours plus et mieux.



Nathania Zevi



Photo : D.R.
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