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Publié le 9 Mars 2010

Vel'd'Hiv'. Serge Klarsfeld: «Vichy savait»

Serge Klarsfeld, historien de la Shoah, livre son regard sur le rôle des policiers français et de Pierre Laval, principale personnalité du gouvernement de Vichy, lors de la grande rafle.




Paris Match. Les policiers qui ont participé à la rafle savaient-ils qu’ils conduisaient des familles à la mort ?
Serge Klarsfeld : Je ne le pense pas. Il s’agit de gens modestes qui ne voulaient pas perdre leur travail. Ils n’imaginaient pas les camps de la mort. La plupart ont agi sans enthousiasme : la preuve, ils n’ont arrêté que 9 000 adultes sur les 22 000 qu’on leur demandait. Mais impossible de savoir lesquels ont eu des gestes d’humanité, lesquels ont fait du zèle. Toutes les archives qui contenaient leurs rapports avec les noms des personnes qu’ils arrêtaient ont été brûlées en 1948 par l’archiviste de la préfecture de police, l’épouse du fonctionnaire qui avait supervisé “le fichier juif”, André Tulard.



Le gouvernement de Vichy pouvait-il croire à cet Etat juif où seraient rassemblés les déportés ?



Non. Hitler avait été très clair. Dans un discours du 24 février 1942, il promet “l’anéantissement des Juifs quel que soit le résultat de la guerre”. Jamais Pierre Laval n’a demandé à savoir ce qu’étaient devenus les 3 500 enfants français déportés après la rafle du Vel’d’Hiv’ ni les personnalités juives françaises arrêtées dès décembre 1941. Même s’il en connaissait certaines, comme le propriétaire des papeteries Muller ; il avait même été le témoin du mariage de son fils. On savait comment ils avaient été traités au camp de Compiègne, mourant de froid et de faim. Si, malgré plus de 70 000 morts dans la communauté juive de France, le bilan reste le moins meurtrier des pays à forte communauté juive occupés par l’Allemagne, c’est grâce à la compassion de la population française, à partir du moment où elle a appris l’arrestation des femmes et des enfants.



Gardez-vous l’espoir de retrouver des photos de la grande rafle du Vel’d’Hiv’ ?



J’ai posé des petites annonces à Pithiviers, à Beaune-la-Rolande, autour des camps. A Paris, la rafle a commencé à 4 heures du matin. Les Juifs ont marché vers les lieux de rassemblement dans l’obscurité. ­Ensuite, ils ont été transférés en bus. Je garde espoir qu’une assistante sociale, un médecin, un policier ait pris des photos à l’intérieur du Vel’d’Hiv’. Plus encore les Allemands qui ont visité le stade. Dans une lettre d’adieu, Jacques Befeler, 15 ans, arrêté avec ses parents, son frère, sa sœur, écrit à un camarade : “Soi-disant les Allemands ont tourné un film sur nous.” Peut-être existe-t-il quelque part, en Allemagne.



Etes-vous heureux qu’une fiction ait été réalisée à partir de cette histoire ?



Impressionné. Toute ma vie j’ai cherché des archives, mais les archives, c’est sec. En 1979-1980, j’avais emmené le futur producteur Alain Goldman, alors étudiant, assister au procès à Cologne, en Allemagne, de trois grands responsables nazis de la rafle du Vel’d’Hiv’ : Kurt Lischka, Herbert Hagen, Ernst ­Heinrichsohn. Trente ans plus tard, ce film nous permet de visualiser ce que nous savions. J’ai pleuré en le regardant. Ce que j’ai vu, je sais que c’est vrai.



(Interview de Danièle Georget, publié dans le Paris Match du 8 mars 2010)



Photo (Serge et Beate Klarsfeld à l’avant-première parisienne de « la Rafle ») : © 2010 Alain Azria
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