Actualités
|
Publié le 20 Mai 2019

Actualités des régions - Le Crif Région Centre à la commémoration du camp d'internement de Beaune-la-Rolande

Le Crif Région Centre était présent à la commémoration des camps d'internement du Loiret : Pithiviers et Beune-la-Rolande, le dimanche 19 mai 2019. Å cette occasion, Eliane Klein s'est exprimé lors d'un discours.

Le présent, c'est à dire la quotidienneté ambiante, nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l'oubli des choses révolues, ...le passé doit être retenu par la manche, comme quelqu'un qui se noie, les défunts sont sans défense et dépendent de notre bon vouloir... ces offensés nous incombent, ce sont nos célébrations qui les sortent du néant", écrivait le philosophe Vladimir Jankélévitch.

Aussi, je rends hommage aux femmes et aux hommes, vivants ou disparus, Francine Christophe, Raphaël Esraïl, Zalman Brajer, Henry Bulawko et tant d'autres, ceux qui n'ont pas été écoutés après la guerre, car peu voulaient ou pouvaient les entendre, les croire.

"Ils avaient vécu ce qu'aucun autre regard humain n'avait vu" (Georges Bensoussan), et ils ont eu le courage de consacrer une grande partie de leur vie à témoigner, répondant à la terrible obsession des nazis d'effacer jusqu'aux traces de leurs crimes.

Je pense aux "orphelins de la Shoah", Annette Maslyzick, Rachel Jédinak, qui ont survécu, cachés, souvent sauvés par leurs familles d'accueil, ces JUSTES, connus ou inconnus. "Ces enfants ont vécu la douloureuse expérience de l'absence et de l'attente vaine" (Simone Veil).

En cet instant, je rends hommage au magnifique travail de Serge Klarsfeld qui a su donner, un nom, un visage, en particulier aux milliers d'enfants juifs assassinés - leur crime: être nés.

J'associe Béate à cet hommage, pour son courage indéfectible.

Nous sommes en ce lieu, à côté des stèles où sont inscrits les noms de ceux qui, avec des millions d'autres, n'ont aucune place, dans aucun cimetière. Ce sont leurs sépultures, car "à partir du moment où aucun être humain n'est laissé sans sépulture, où aucun n'est retranché de la  mémoire des vivants, l'humanité s'accomplit vraiment". (Georges Bensoussan/Dictionnaire de la Shoah).

En ce lieu, comme à Pithiviers, des milliers de Juifs furent internés après l'arrestation dite du "billet vert" et après la Rafle du Vel d'Hiv, puis envoyés à Auschwitz pour y être assassinés.

Parmi eux, près de 4.000 enfants, dont aucun n'est revenu. Arrestations et internements précédés par le fichage, l'exclusion, la spoliation sur ordre du gouvernement de Vichy, avant même la demande des Allemands.

L'injonction biblique "Zahor", "souviens toi", donne tout son sens à cette commémoration qui n'est ni une manifestation mortifère ou revendicative, ni la répétition du slogan ,vide de sens, du "plus jamais ça", mais un moment de réflexion sur ce crime contre l'humanité perpétré sur le sol européen- la Shoah -ce désastre du monde civilisé dans sa totalité- génocide advenu dans l'absence de lucidité, l'aveuglement, le silence, l'indifférence des nations "démocratiques", ces abandons à l'origine du terrible sentiment d'amertume et de solitude ressenti par de si nombreux Juifs de France.

Pour l'historien, la Shoah est un fait d'histoire qui s'inscrit dans le temps long, la généalogie et l'anthropologie: " la destruction des Juifs d'Europe est incompréhensible en dehors d'une culture qui a fantasmé leur mort des siècles durant"( Georges Bensoussan). Ce sont les anti lumières, le versant sombre des Lumières, les "ombres du progrès"( Gérard Rabinovitch): "le progrès avait fait un pacte avec la barbarie" avait écrit Freud. En Allemagne, cela a abouti à une rupture dans la civilisation: la notion de personne humaine a été abolie par le Droit nazi qui a légalisé l'anéantissement d'un peuple, le peuple juif, pour crime de naissance; ce discours juridique autorisait qui a le droit d'habiter la terre ou non, expulsant les Juifs du genre humain.

L'anéantissement du peuple juif était au coeur du projet nazi, nourri par l'antisémitisme meurtrier qui "s'était coulé dans le paganisme et l'antijudaïsme chrétien séculaire" (Gérard Rabinovitch).

Le récit historien nous révèle cette vérité: pour la mise en oeuvre de ce dessein criminel, la Shoah,  les moyens de la civilisation technique et moderne (pervertis) furent  au service du Mal radical: les usines de mort, le gazage des victimes détruites comme le mal absolu, comme de l'ordureLes camps de Belzec, Sobibor et Tréblinka figurant le paroxysme de cette barbarie (Michal Gans).

Le récit historien nous éclaire aussi sur la singularité du génocide des Juifs, où la manipulation de la langue et tous les rouages de l'appareil d'État furent transformés en instruments de mort : une bureaucratie dont le souci du "travail bien fait annihilait la conscience, le recrutement de la pègre dont l'hyper violence terrifiait, l'engagement des  EINSATZGRUPPEN, "hommes ordinaires", souvent cultivés, et bien intégrés dans la société, bons pères de famille le soir et les pires assassins le lendemain , se rendant dans les "coins" les plus reculés de l'URSS pour massacrer tous les Juifs, en particulier les enfants, des nourrissons aux adolescents, la "SHOAH DANS LA SHOAH " (Gérard Rabinovitch).

L'Histoire de la Shoah a entamé notre confiance en la nature humaine, nous laissant un sentiment de fragilité, de précarité.

C'est comme si le nazisme avait semé des graines toxiques qui se sont infiltrées dans les failles des démocraties (G.R). "La Démocratie est fragile, surtout quand on permet à des idéologies totalitaires de la pénétrer". (G.Steiner)

En décryptant la féroce actualité du présent, on constate que l'ensauvagement du monde, souvent évoqué, s'est amplifié.

À ce propos, je cite cette réflexion de Sigmund Freud- au début du XXème siècle: "...Ceux qui préfèrent les contes de fée font la sourde oreille quand on leur parle de la tendance native de l'homme à la "méchanceté, à l'agression, à la destruction"... (cité par Gérard Rabinovitch dans "Leçons de la Shoah")

Or, que voit-on aujourd'hui?

Dans notre monde hyper connecté et surinformé -internet et les réseaux sociaux-, la progression incessante de la technologie va de pair avec celle de l'ignorance et de l'obscurantisme -facteurs d'hyper violence, manipulation des mots et de la langue, euphémisation, multiplication des thèses du complot, racisme, antiracisme dévoyé- aux méthodes totalitaires, minorités chrétiennes et leurs symboles dévastés, négationnisme, antisémitisme et antisionisme mortifères, dénigrement des principes humanistes au nom du multiculturalisme et du relativisme historique, bref, haine de la Démocratie, de ses Institutions et de ses principes: laïcité, égalité homme/femme, liberté d'expression.

Cette haine a amené les tueurs-islamistes français, à frapper le coeur de notre civilisation, de notre manière de vivre, en assassinant policiers, militaires, prêtre, journalistes, public du Bataclan, personnes aux terrasses des cafés, foule de la Promenade des Anglais..

À cet instant, je reviens à la libération de la parole antisémite sous toutes ses formes qui a mené aux passages à l'acte: Depuis 2003,(en France et en Belgique) 14 Juifs, assassinés pour ce qu'ils sont, par des tueurs islamistes français passés par l'École de la République.

Je ne citerai pas tous les noms des victimes -vous les connaissez- je veux seulement évoquer les trois petits enfants juifs de l'École Ozar Hatorah de Toulouse, tués de sang froid: Gabriel et Arié Sandler, Myriam Monsonego.

Très peu de Français ont manifesté après cet assassinat.

Est-ce l'indifférence? Le signe d'un "nouvel antisémitisme", culturel, idéologique? Ou un effet du déni de la réalité, ce cancer qui ronge notre société?

Déni qui touche plusieurs couches de notre société: déni des médias, silence ou omission et minoration des crimes par ignorance volontaire ou indifférence, dénis judiciaires dans le refus de qualifier l'antisémitisme (Sarah Halimi), justifications sociologiques, aveuglement de certains intellectuels, tentations d'accommodements de certains élus...

J'arrête la liste Ici.

En guise de conclusion, je  cite le journaliste Luc Rosenzweig : "Un appel  doit être lancé à chacun, quelque soit son origine ou ses croyances, pour s'engager  dans un combat  de civilisation... on ne laisse rien passer, ni en classe, ni dans les hôpitaux,  ...on a les yeux ouverts sur toutes les dérives."

"Aux pouvoirs publics de faire respecter la Loi de la République, d'avoir le courage des mots, contre la barbarie, la liberté a un prix, c'est celui du combat". (Georges Bensoussan).

Plusieurs centaines d'intellectuels , d'artistes, d'enseignants, de chercheurs, de tradition, de culture ou de confession musulmane , attachés à la laïcité et aux principes et lois de la Démocratie, se sont engagés dans le combat contre les courants obscurantistes et mortifères, le titre de leur tribune (Marianne, juillet 2015): "Face à l'islamisme, la République ne doit pas trembler".

Eliane Klein

Crif Région Centre