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Publié le 13 Juin 2014

Adresse d'Yves Fedida à Mme Irina Bokova

UNESCO 12/06/2014 - Au cours de la rencontre entre les délégations du JJAC et du CRIF avec Mme Irina Bokova, Monsieur Yves Fedida a adressé ce témoignage à la Directrice générale de l'UNESCO.

Madame le Directeur Général,

Je suis né juif en Égypte il y a près de 70 ans. J'aurai pu naître musulman à Haïfa ou Chrétien à Beyrouth. Cependant cette naissance m'interdit à ce jour de célébrer mon histoire, de mettre en valeur mon passé et de préserver ma culture. À l'exception d'un court intermède de quelques années au cinquième siècle de notre ère, l'Égypte a compté une communauté juive de manière ininterrompue depuis le sixième siècle avant notre ère.

Cette communauté a donné au monde des penseurs tels que Philon d'Alexandrie, Saadia Gaon et Maimonides. Elle a donné à l'Égypte moderne des grammairiens de langue arabe, des auteurs dramatiques qui forgèrent son théâtre moderne, des cinéastes qui contribuèrent à son aura à travers le monde et bien d'autres intellectuels. Je pense à Mourad Farag, James Sanua Abou Nadara, Togo Mizrahi parmi tant d'autres. Et pourtant si vous dites à l'homme de la rue de moins de 60 ans qu'il y avait une communauté de près de 80000 juifs en Égypte avant 1948, il vous rira, respectueusement, au nez. C'est que mon histoire et ma culture en symbiose parfaite avec une Égypte accueillante, bienveillante et tolérante jusqu'à il y a peu, est occultée, au détriment même de l'Égypte À cause des vicissitudes de l'histoire cette communauté n'est plus. Nous connaissons nominativement neuf Juifs à Alexandrie et onze au Caire. Deux hommes et dix-huit femmes, qui à part deux ayant la soixantaine, sont tous très âgés. C'est tout.

Dotée avant 1948 d'un riche patrimoine cultuel de soixante synagogues à travers les villes du pays, dont huit synagogues parmi les plus anciennes au monde, la communauté n'en compte plus aujourd'hui que quinze dont quatre parmi les plus anciennes au monde. Dix d'entre elles sont sous l'autorité et la bonne garde du ministère des antiquités, que nous remercions, mais qui n'en fait rien, d'autant qu'il n'a plus les moyens. Plus personne n'y prie, plus personne ne vient dans ses lieux devenus fantomatiques. Une partie de ces synagogues sont en état de délabrement avancé, une autre partie a besoin de restauration légère. Si rien n'est fait, d'ici dix ans il ne restera plus que trois tout au plus, au demeurant les plus belles; mais à moyen terme elles disparaîtront aussi et on mettra ainsi le couvercle sur 2500 ans de convivialité.

Nous souhaitons à l'instar de Prague, d'Izmir, ou de Fès, avec l'aide de l'UNESCO, du World Monument Jewish Heritage Fund, de nos propres anciens et surtout du gouvernement égyptien une action pro active pour sauver ces témoins figés d'une tolérance à géométrie variable.

Mes grand-parents sont morts en Égypte.

Chaque ville avait son cimetière juif. Ils ont tous disparu, sauf ceux d'Alexandrie sur lesquels lorgnent les promoteurs immobiliers ses ordures! C'est ainsi que les vivants ne retrouvent plus leurs morts; mais si les morts ne peuvent pas dire qu'on leur manque de respect, je vous dis haut et fort qu'il s'agit là d'un scandale à vomir.

Nous prions pour une intervention qui dirait la loi, protègerait l'endroit dans la dignité, érigerait un mur, malheureusement un de plus, suffisant pour conserver la spiritualité du lieu. J'ai demandé à mes interlocuteurs au gouvernorat du Caire s'ils accepteraient que leurs parents soient ainsi traités s'ils étaient morts en France. Vous devinez leur réponse.

Je suis né Salomon en Égypte, cela aurait pu être George à Istanbul ou Ahmed à Jérusalem. Mais contrairement à eux je n'ai pas droit à mon identité. Alors que ma famille et moi avons été expulsés d'Égypte, sans droit de retour dans ce pays où nous étions pourtant nés eux et moi, alors que certains étaient destitués de leur nationalité égyptienne parce que juifs, on ne me donne pas accès aux 255 registres de naissances, mariages, divorces, décès et de notoriété publique, qui constituent une collection d'états civil et religieux . Une collection complète datant de 1830, l'identité de tous les juifs à Alexandrie depuis cette date. Les photos des familles accompagnent ces documents depuis le début du 20e siècle. Ces familles nées en Égypte, celles venues d'Orient,ou d'Occident , celles venues d'Europe ou d'Asie, dans cette Égypte terre d'asile depuis des temps immémoriaux et dont personne aujourd'hui ne peut croire en la générosité d'accueil.

Expulsé parce que juif, je ne peux paradoxalement ni prouver mon identité religieuse et je dois me débattre pour prouver mon identité civile à cause de ceux-là mêmes qui m'avaient rejeté. Comme vous le savez, l'état civil et religieux de l'Empire ottoman dévolu aux communautés religieuses est resté en vigueur en Égypte jusqu'à janvier 1956. Quarante pour cent de cette population avait essuyé un refus de nationalité. Ils demeuraient apatrides depuis 1925. C'est là leur seule identité historique.

Si ce déni d'identité est bien sûr contraire à l'article six de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il est surtout contraire aux intérêts mêmes de l'Égypte qui profiterait par la mise en valeur de cette collection dont nous ne souhaitons qu'une simple copie que nous somme prêts à financer.

Dans le cadre du patrimoine immatériel de l'humanité nous prions l'UNESCO d'intervenir utilement auprès du gouvernement égyptien pour que cesse ce jeu stérile et que cette collection soit placée sous la responsabilité de l'UNESCO.

Mme le Directeur général, vous avez parlé hier d'histoire, de culture et de patrimoine, comme étant votre réalité de tous les jours. Je vous propose là de quoi faire.

Quant à moi, je rêve de pouvoir organiser sous vos auspices une exposition telle que celle que vous avez inaugurée hier, cette fois retraçant la présence tri-millénaire juive dans cette Égypte que j'aime malgré tout.

Merci d'essayer de transformer mon rêve en réalité.

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