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Publié le 7 Février 2016

Comment lutter contre la haine virtuelle ?

Entretien avec Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif

Par Martine Benayoun, Présidente-Fondatrice du Cercle de la Licra-Réfléchir les droits de l’Homme, mai 2014
 
L’intégralité de cet entretien est téléchargeable ci-contre au format PDF
 
Historien, chercheur au Centre Simon Wiesenthal à Paris, membre de l’Observatoire sur l’antisémitisme puisrapporteur de la CNCDH pour les questions d’internet, Directeur des Etudes au Crif. Ses deux derniers ouvrages : L’internet de la haine - Racistes, antisémites, néonazis, intégristes et homophobes à l’assaut du web et Haine et violences antisémites - Une rétrospective 2000-2013 (Berg International Editeurs)
 
Depuis une dizaine d’années, vos recherches et vos rapports portent sur l’Inter- net de la haine, titre de l’un de vos derniers ouvrages dans lequel vous recensez et analysez de manière méthodique les rouages d’une machine à propager le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme sur le web et les réseaux sociaux. Comment lutter contre cette haine virtuelle ?
 
Il m’arrive de ne plus savoir comment lutter, tant je vois tous les jours sur les réseaux sociaux de messages profondément ignominieux, tant je lis de textes horribles, tant je vois de vidéos faisant l’apologie du terrorisme. 
 
Prenons l’exemple des réseaux sociaux. Depuis quelques années, on peut parler de déferlante antisé- mite ou raciste sur les réseaux sociaux. On se souvient que sur Twitter, le hashtag #unbonjuif de certains internautes avait suscité un nombre record de tweets à caractère antisémite qui témoignaient de la résurgence d’un racisme à l’égard des juifs particulièrement inquiétant. Ce dérapage avait été dénoncé par plusieurs associations qui avaient assigné Twitter en justice pour contraindre le réseau à lui communiquer, avec l’autorisation du juge, les données permettant d’identifier les auteurs de tweets racistes et antisémites. Après des mois de bataille judiciaire, le réseau social américain avait finalement livré « les données susceptibles de permettre l’identification de certains auteurs » de tweets antisémites. Autre exemple : les « pièges à juifs », une soi-disant « plaisanterie » qui sillonne les réseaux sociaux en Belgique (ou ailleurs). Il s’agit de clichés qui ciblent les juifs comme celui-ci : sur son compte Facebook, un internaute a déposé une image qu’il a trouvée sur Twitter. Sur ce cliché, on peut y voir un four avec deux billets de banque qui représente un… « piège à juif ». Sur Twitter, la « blague du piège à juifs » est répandue depuis longtemps. On trouve plusieurs clichés similaires, souvent avec un four renfermant des billets, parfois avec une boîte contenant quelques pièces. Plusieurs sont signalés et retirés au fur et à mesure par le réseau social, mais de nouveaux clichés plus ou moins identiques fleurissent aussitôt. Heureusement, certains twittos et membres de Facebook soulignent le mauvais goût de ces sorties ou essayent de faire la « morale » à ceux qui postent de telles choses. Et sur Facebook, que trouve-t-on ? Cela fait plusieurs années que des supporters probables et autres fans de Dieudonné M’bala M’bala notamment ont investi les réseaux sociaux, en premier lieu Facebook. Les messages qu’ils déposent sont particulièrement violents et le nombre de pages antisémites et racistes ne cesse d’augmenter. Mais ce sont surtout les messages et vidéos négationnistes qui prennent de l’ampleur. C’est là une bien triste réalité. 
 
Répondons maintenant à votre question : 
 
• Nous pensons en premier lieu qu’une meilleure coordination entre tous les services (compétents) et une plus grande homogénéisation (notamment entre l’Intérieur et la Justice) seraient souhaitables.
  
• À ce sujet, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme indiquait avec justesse sur son site internet, le 26 juillet 2011, que le faible nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées pour propos racistes peut laisser subsister un sentiment d’impunité.
 
• Selon le Crif, il est donc nécessaire que l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale porte une attention toute particulière au traitement de ces cas. Du point de vue du Ministère Public, on peut trouver une solution alternative aux poursuites pénales, et néanmoins adaptée, à certains propos publics, mais il est nécessaire que les discours racistes les plus graves diffusés sur internet soient portés devant la justice. Certains parquets ont d’ores et déjà pris l’initiative de s’appuyer sur les dispositions de l’article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 pour faire barrage à l’activité de sites illicites. La CNCDH invite le Ministère de la Justice à encourager dans ce sens l’action des parquets dans la lutte contre le racisme sur internet. 
 
• Nous recommandons la création d’un observatoire de l’antisémitisme et du racisme sur le net, susceptible d’échanger des informations et de réunir des professionnels d’internet, des agents de l’Etat et les membres d’ONG. 
 
• Dans le domaine éducatif, il faut soutenir des actions de sensibilisation et de prévention destinées en priorité aux éducateurs et aux élèves des écoles. Rappelons à cet égard qu’il existe de nombreux programmes pour lutter contre les stéréotypes, les discriminations et le racisme, et qui pourrait être élargi à internet (ex : Co-Exist). 
 
Ce sont là, me semble-t-il, quelques premières propositions de bon sens que nous devons appliquer.
 
Lors du dîner annuel du Crif François Hollande s’est élevé contre la diffusion de messages à caractère raciste et antisémite sur les réseaux sociaux. Lors du der- nier congrès national de la Licra, Robert Badinter pointait la haine sur internet, comme nouveau défi du combat antiraciste. Ces déclarations sont-elles entendues et débouchent-elles sur des initiatives concrètes ?
 
En juin 2012, Christiane Taubira a demandé au parquet de mettre en œuvre une politique pénale « dynamique et offensive », dans le sens d’une réponse diligente aux actes racistes et antisémites. Selon la Garde des Sceaux, la coopération avec les grandes sociétés du net doit être permanente pour permettre aux services d’enquête d’identifier rapidement les auteurs et aux juridictions compétentes d’apporter une réponse pénale correspondant à la gravité des faits. En septembre 2013, elle a réaffirmé que « les réseaux sociaux ne peuvent être des lieux d’impunité où se répandent et se banalisent la parole raciste et antisémite et les appels à la violence ». Lors du dîner annuel du CRIF, François Hollande s’est élevé contre la diffusion de messages à caractère raciste et antisémite sur les réseaux sociaux, affirmant que leurs auteurs auraient des comptes à rendre à la justice. Les déclarations de bonne intention sont-elles suffisantes et les services judiciaires sont-ils suffisamment actifs pour améliorer la qualité et le taux de réponse pénale? Nous en doutons. 
 
Je m’explique. Il règne finalement une grande impunité sur le net et des sites internet dont nous connaissons les responsables et auteurs ne sont pas poursuivis. Il y a là un manque d’initiative ou de poursuites judiciaires qui est assez navrant. 
 
Les associations antiracistes s’efforcent de dénoncer cette haine virtuelle et de stopper la diffusion de nombreux contenus illicites sur Internet en engageant des procédures. Mais ce combat incombe-t-il aux seules associations? En ontelles d’ailleurs les moyens ? 
 
Les associations antiracistes et différentes institutions ont engagé des procédures afin de s’opposer à ces marchands de haine. Leur action est donc primordiale. Mais les moyens financiers limités de ces associations les conduisent à se concentrer sur les cas les plus graves, au détriment du racisme ordinaire, ce qui est regrettable. Par ailleurs, nous pensons qu’il est indispensable que les pouvoirs publics donnent de la voix pour contrer la poussée de fièvre raciste et antisémite sur le net. Mais, je veux le dire ici et le souligner : les mots ne suffisent pas. 
 
Le dispositif législatif en France et en Europe est-il suffisant et efficace pour lut- ter contre la haine sur internet ? Quel message convient-il de faire passer aux députés européens pour qu’ils prennent conscience de l’enjeu d’un environne- ment virtuel préservé des dérives racistes et haineuses ? 
 
En France, de nombreuses lois forment le dispositif de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Permettez-moi de les rappeler : 
 
• La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (chapitre IV), première loi sanctionnant les propos publics discriminatoires.
 
• La loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme par laquelle un certain nombre d’actes de la vie courante sont érigés en infraction (par exemple, le refus de fournir un bien ou le licenciement pour des raisons raciales). 
 
• La loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe avec en particulier création du délit de contestation de crime contre l’Humanité. 
 
• Le nouveau Code Pénal, entré en application le 1er mars 1994, qui a créé de nouvelles infractions et renforcé la répression des délits racistes (les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement). 
 
• La loi n° 2003-88 du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. 
 
• La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité précise cette circonstance aggravante quand l’infraction est « précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes » racistes ou antisémites. Pour punir les infractions à caractère raciste, la loi prévoit différentes sanctions pénales allant de l’amende à la privation des droits civiques, ou à l’emprisonnement. Par exemple, l’injure raciale est punie de 6 mois d’emprisonnement au plus et/ou d’une amende de 22 500 € au plus, le refus de fournir un bien ou un service fondé sur une discrimination nationale, ethnique, raciale ou religieuse de deux ans d’emprisonnement au plus et d’une amende de 30 000 € au plus. 
 
Sur internet, le dispositif de prévention et de répression a également été renforcé par la loi n° 2004- 575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Les hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet ont maintenant l’obligation de contribuer à la lutte contre la diffusion de données à caractère pédophile, négationniste et raciste. Votée en 2004, la loi sur l’économie numérique pour la confiance dans la LCEN a expressément consacré la faculté offerte au juge des référés, en dehors de tout autre critère de compétence, de prescrire la mesure de filtrage d’un site raciste et antisémite (article 6-I. 8).
 
« L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au § 2 (les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services) ou, à défaut, à toute personne mentionnée au § 1 (les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne), toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne »… Lire l’intégralité.
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