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Publié le 2 Mars 2017

#Crif - De la haine raciste et antisémite en un clic, par Marc Knobel

Twitter est devenu un défouloir, celui des paumés, des grossiers, des méchants...

Ces dernières semaines, des internautes ont exhumé les mots vulgaires, perfides, violemment antisémites ou homophobes tweetés de 2010 à 2014 par le journaliste Mahdi Meklat ces dernières années. Jusqu'en 2015, Meklat tweetait sous le pseudo de Marcelin Deschamps. Depuis, Meklat a supprimé 47700 messages de son compte et autant d’horreurs, les mots qui ont appelé à tuer les Blancs, les Juifs, ou les journalistes de Charlie Hebdo. Maklat ou un cas gravement pathologique du dédoublement de la personnalité, qui dit aujourd’hui que son Marcelin était « un personnage de fiction maléfique. » Et puis, dans l’horreur, il y eut juste après l’innommable, les tweets insupportables et effroyables d’Olivier Sauton, « rejeton » de Dieudonné.

Tweeter est devenu un défouloir, celui des paumés, des grossiers, des méchants. Et, ainsi donc, sur les réseaux sociaux, en abusant de l'anonymisation, en profitant clairement de l'absence de régulation ou d'une grave déficience au niveau de la modération des plateformes -plus soucieuses de gagner de l'argent que d'autre chose- on peut utiliser soit Facebook, soit Twitter, soit Youtube et/ou autre, pour déverser des flots d'injures, de salmigondis ou d'accusations assassines.

Exemples ?

Quand l'outil Internet se développa, au début des années 1990, les négationnistes du monde entier sentirent l'opportunité qui s'offrait à eux. Être sur Internet, c'est être visible et anonyme à la fois, hors de portée de certaines juridictions. En soi Internet n'est qu'un mode d'accès à des informations mais il a apporté plusieurs innovations sans commune mesure avec ce qui existait précédemment dont une, majeure, pour les négationnistes. Un émetteur peut se situer à n'importe quel endroit du globe pour diffuser ses informations, c'est-à-dire qu'il peut faire héberger dans n'importe quel pays les pages de sites contenant ses informations sans que l'internaute n'ait aucune difficulté à les lire. Grâce à des moteurs de recherches (Yahoo, Google...) de plus en plus performants, il est possible, en l'espace de quelques fractions de secondes se voir proposer les adresses des principaux sites négationnistes dans le monde et d'avoir accès à des contenus très complets d'ouvrages négationnistes mais aussi antisémites ou/et antisionistes. Quelque chose de fondamental a changé depuis que la planète Gutenberg côtoie celle d'Internet: "Auparavant, lorsque quelqu'un voulait se procurer une publication de ce type, il se rendait dans une librairie d'extrême droite (...), constate le politologue Jean-Yves Camus Aujourd'hui, toute littérature est devenue accessible chez soi. Le média Internet (...) provoque une démultiplication du message".
 

Autre exemple...

L'histoire universelle est remplie de complots réels, qui ont abouti ou échoué. Mais elle est aussi pleine de complots fictifs ou imaginaires attribués à des minorités actives (francs-maçons, jésuites, Juifs, lobbies...) ou aux autorités et administrations en place (gouvernements, services secrets, etc.).

Aujourd'hui, le présent est difficile et l'avenir est incertain ou inquiétant. C'est ainsi que les peurs innombrables qui agitent nos sociétés sont à l'origine de toutes sortes d'interprétations et de mensonges. Elles décrivent les événements les plus douloureux comme étant l'œuvre d'individus mystérieux et puissants, agissant dans le plus grand secret. Ces analyses, fausses et délirantes évidemment, fondent ce que l'on appelle les "théories du complot" et finissent par constituer ce que le philosophe Pierre-André Taguieff décrit comme "un simulacre de science sociale".

Et sur le net?

La théorie du complot est diffuse et incontrôlable. Internet lui donne les moyens d'une diffusion inédite. "Un jeune sur cinq adhère à la théorie du complot", s'était d'ailleurs alarmée en janvier 2015, la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, après l'attentat contre Charlie Hebdo. Il est vrai que les élèves sont particulièrement vulnérables aux théories du complot, même lorsqu'elles flirtent dangereusement avec le racisme. Lorsque l'on arrive à l'âge adolescent, on a tendance à vouloir se rebeller. Et, selon le spécialiste Rudy Reichstadt du site Internet Conspiracy Watch, nous assistons à une déferlante sur Internet, avec une croissance très nette de sites développant des "thèses" (ou théories) conspirationnistes, alors qu'auparavant, elles avaient une diffusion confidentielle.

Alors, combien de fois avez-vous, avons-nous alors tenté de faire enlever les/ces maux? En déposant individuellement des signalements ici ou là? En y passant du temps? Ou bien, en dénonçant sur les réseaux sociaux toutes les/ces horreurs? En nous étonnant que personne ne bouge? Que les choses immondes n'aient/n'ont pas été retirées? Sur Twitter, vous y avez laissé des plumes. Parce que ce sont des courants d'air, parce que cela va trop vite, parce que cela passe et repasse, et que l'on ne saurait perdre du temps à enlever ces choses?

Sur Facebook, vous avez ou vous aviez vu un jour ces publications, ces post négationnistes, racistes, antisémites, sexistes ou homophobes. Vous trouviez quelquefois des propos immondes, de la littérature antisémite, des références au "Protocole des Sages de Sion". Des caricatures horribles, dignes de l'hebdomadaire nazi, le "Stûrmer" ou de l'hebdomadaire français, antisémite et collaborationniste, "Je suis Partout". Vous trouviez aussi des publications qui disent que les Juifs mentent, volent, trichent et que la Shoah ce serait du "bidon", que les arabes ceci et que les autres, cela...

Bref l'inhumanité d'un clic.

Rappelons les fondamentaux, les principes et le droit

Il faut rappeler alors les fondamentaux: en France, les dispositions interdisant l'incitation à la haine raciale et à la diffusion de propos racistes constituent des restrictions raisonnables et nécessaires au droit à la liberté de parole.

Précisons: les restrictions à la liberté d'expression peuvent être considérées comme légitimes pour lutter contre le racisme, non seulement sur la base de la Convention Internationale sur l'élimination de toutes les formes de discriminations raciales (articles 4 et 1 notamment) et selon la jurisprudence établie par le CERD mais en vertu de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Bien plus, concernant l'article 4 de la CIDR, on insiste aujourd'hui sur l'application effective de celui-ci. L'article 4a est en effet particulièrement clair à ce sujet: la diffusion active de propagande raciste est punissable pénalement. Et de rappeler, à propos des libertés en général, que "celles-ci ne pourront en aucun cas s'exercer aux dépens des droits d'autrui reconnus par l'ONU dans l'ensemble de ses instruments internationaux et en particulier au chapitre i de la Charte de l'ONU et à l'article 30 de la Déclaration universelle."

Il ressort ainsi clairement de cette disposition, que "la liberté d'expression ne peut être utilisée pour promouvoir le non-respect des droits de l'homme." Si l'on se réfère à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les dispositions existantes s'appliquent aussi aux nouveaux médias.

Si le droit à la liberté vaut pour Internet, les restrictions à celle-ci s'appliquent également. Internet n'étant qu'un instrument et non un but en soi, il ne peut être tenu pour affranchi des lois nationales et internationales.

Ce principe s'applique en France

De nombreuses lois forment le dispositif de lutte contre le racisme et l'antisémitisme: la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sanctionnant les propos publics discriminatoires; la loi du 1er juillet 1972 par laquelle un certain nombre d'actes de la vie courante sont érigés en infraction; celle du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste avec création du délit de contestation de crime contre l'humanité; le nouveau Code Pénal (1er mars 1994) renforce la répression des délits racistes ou la loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions racistes. Enfin, la loi (9 mars 2004) précise cette circonstance aggravante quand l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes racistes ou antisémites.

Conclusion provisoire

Le Net n'a certes pas inventé la propagande. Le Net n'est certes pour rien dans la création de ces mouvements et leur développement et le développement de la haine. D'autres paramètres permettent d'expliquer ce que sont ces mouve­ments, les stratégies élaborées, les liens qu'ils entretiennent entre eux et l'impact qu'ils peuvent avoir. Le Net se présente simplement à vous, à moi.

Et les extrémistes savent l'utiliser et tentent ainsi de répandre leur propagande. Évidemment, on ne tombe pas automatiquement sur les pages de Stormfront, du Ku Klux Klan ou de la propagande haineuse et raciste déposées par des islamistes. Il faut vouloir les trouver, à moins que vous ne tombiez sur des sites trop souvent et facilement ré­férencés dans les moteurs de recherches.

Dans Le Point du 2 février 2017, le journaliste Kamel Daoud résume la situation: L'effet poubelle, l'anonymat, la gratuité de l'espace, l'achronie et l'utopie y permettent de tout dire et de tout attaquer. Cette propagande haineuse est donc accessible au plus grand nombre, d'un seul et unique clic.

 

Auteur : Marc Knobel
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