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Publié le 2 Juillet 2019

Crif - L'antisémitisme se développe-t-il sur le terreau de la haine de l'Etat d’Israël ? (2/5)

Le Crif propose une série de 5 articles sur l’antisionisme radical. Dans le premier, nous désignions l’israélophobie radicale et/ou l’antisionisme absolu. Cette fois, nous remontons le temps. Des 1ers au 15 octobre 2000, les banlieues flambent et des synagogues sont visées.

Photo : Illustration de la seconde Intifada, à l'automne 2000

Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif

 

Nous rappelions que des individus sont animés par un sentiment d’hostilité contre Israël, exacerbé par la médiatisation d’affrontements au Proche-Orient. Nous ajoutions que l’israélophobie n’est que la pointe visible de l’antisionisme qui, dans ses formes radicales, a pour objectif la destruction de l’État juif. Enfin, nous établissions que les violences antisémites qui ont été perpétrées en 2000, 2002, 2004, 2009, 2012, 2014, 2017 ont une relation de cause à effet avec un conflit lointain, qui oppose Israël au Hamas. Il s’agit bel et bien d’une importation du paroxysme du conflit israélo-palestinien, dans plusieurs pays et pas seulement en France.

Cette fois, nous voulons remonter aux premiers temps des violences antijuives en France.

Dans un ouvrage que nous avons publié, nous remarquions que ces violences éclatent dès le tout mois d’octobre 2000, plus exactement, le 1er octobre (1). 

En France, que se passe-t-il dès le 1er octobre 2000 ?

Le 1er octobre, des fidèles sortent de la synagogue d’Aubervilliers. Une petite voiture de couleur blanche se met alors à foncer brusquement sur eux. Les gens s’écartent, il n’y a aucun blessé, et la voiture s’éloigne rapidement. La police, prévenue, se rend sur place mais repart très vite. Quelques heures plus tard, les fidèles présents dans la synagogue sont aspergés de liquide, projeté depuis l’aire de jeux mitoyenne. Affolés, ils sortent paniqués.

D’autres agressions du même type ont secoué la communauté juive, ponctuellement, régulièrement, durablement, faisant des lieux de culte et d’écoles, des fidèles, de certains responsables ou membres de la communauté juive autant de cibles terriblement vulnérables, depuis.

-Dans la semaine du 2 octobre 2000, une synagogue du XIXe arrondissement de Paris reçoit des menaces et des insultes téléphoniques. Une bouteille incendiaire est lancée dans l’enceinte de la synagogue.

-Dans la nuit du 3 au 4 octobre 2000, un engin incendiaire est projeté sur celle de Villepinte.

-Les 4 et 5, des élèves se font agresser à la sortie de l’école Ohr Yossef, dans le XIXe arrondissement de Paris.

-Le vendredi 6, des jeunes de l’école juive Gaston-Tenouji de Saint-Ouen reçoivent des pierres et sont insultés.

-Le 7, un cambriolage à lieu à la synagogue de Bagnolet. Un cocktail Molotov est lancé le même jour sur un restaurant casher parisien. Et, durant l’office de Min’ha (2), un inconnu en dépose un autre à l’intérieur de la cour de l’école Chnei Or d’Aubervilliers. Un jeune fidèle éteint in extremis l’engin incendiaire.

-Le dimanche 8, ce même type d’explosif atteint la synagogue de Clichy-sous-Bois, tandis qu’au cimetière de Trappes, les tombes juives sont profanées, les veilleuses arrachées et des pots de fleurs cassés. Le même jour, trois cocktails Molotov sont lancés sur la synagogue des Ulis. Le premier niveau de la synagogue est entièrement ravagé, le rabbin monte au premier étage et échappe ainsi à la mort. À Trappes toujours, la synagogue est complètement dévastée par un incendie.

-Quelques jours plus tard, le rabbin de la synagogue de Creil est victime d’injures racistes. Deux engins incendiaires sont lancés contre l’édifice, et plusieurs fidèles, à la sortie de l’office, sont la cible d’injures racistes.

-Le lendemain, deux appartements sont incendiés à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). À Paris, une personne qui portait un pendentif se fait agresser et frapper par un homme « de type nord-africain », près de la station de métro Pyrénées.

-Dans la nuit du 12 au 13 octobre 2000, un ou plusieurs individus cassent deux vitres de la synagogue de Bondy et lancent un ou plusieurs engins incendiaires dans la synagogue. Une pièce de 30 m² brûle entièrement. Dans la capitale, la porte d’une synagogue du XXe arrondissement est incendiée à une heure du matin. Le soir, un cocktail Molotov est lancé sur l’école Tenouji de Saint-Ouen, au moment même où dix personnes cagoulées (un commando) et armées de battes de base-ball et de barres de fer lancent des pierres et incendient la porte d’un particulier de Choisy-le-Roi en jetant un objet incendiaire.

-Dans la nuit du 13 au 14 octobre 2000, aux alentours de 22 h 30, quarante personnes scandent des slogans antisémites dans le XIXe arrondissement de Paris. Deux personnes portent sur elles des cocktails Molotov. L’un des deux meneurs est appréhendé. À la même heure, deux bouteilles incendiaires sont lancées sur la synagogue de Chevilly-Larue ; ils ne provoquent que des dégâts mineurs. La police a été prévenue par un coup de téléphone. Les policiers trouvent autour de la Souccah (3) des objets explosifs qui n’ont pas été allumés. Plus tard dans la nuit, des jets de pierre sont projetés contre la synagogue de Bagnolet. La nuit précédente, déjà, elle avait été la cible de jets de pierres. À Villeneuve-la-Garenne, près de Paris, les incidents se multiplient : injures et menaces, agressions de fidèles rentrant chez eux après l’office, jet de pots de fleurs sur les fidèles depuis des appartements. Trois personnes sont poursuivies par des jeunes cagoulés, qui leur jettent des pierres et profèrent des injures antisémites.

-Dans la nuit du 15 au 16, à Meudon, deux cocktails Molotov sont lancés contre la synagogue, qui fait également office de centre communautaire. L’un explose, l’autre pas. Quelqu’un qui se trouvait là aurait crié « Allah Akbar », avant d’être arrêté par la police pour interrogatoire.

En l’espace de 15 jours, 75 actes antisémites sont comptabilisés, presque autant qu’en 1999 (82 actes).

Tous ces faits ont été relevés ou relatés brièvement par la presse de l’époque.

Pour la période sensible du 1er au 25 octobre 2000, nous avons relevé une cinquantaine d’agressions intervenues à Paris et en région parisienne. En banlieue, c’est en Seine-Saint-Denis (le département le plus défavorisé de France) que les agressions antijuives sont les plus élevées : 14 actes, dont 7 sont constitués par des jets de cocktail Molotov et 3 par des jets d’objets contendants. Ce département est suivi de près par le Val-de-Marne, limitrophe de la capitale : 10 agressions antijuives y ont lieu, dont 3 incendies et 2 agressions physiques. Mais, que ce soit à Paris ou en banlieue, le paroxysme est atteint entre le mardi 10 et le mardi 17 octobre 2000.

La typologie des actions violentes correspond le plus souvent à des atteintes aux personnes ou des mineurs peuvent être pris pour cible. Le reliquat concerne des atteintes aux biens (dégradations) visant des biens privés (domiciles et véhicules) ou des incendies, les atteintes visent aussi les lieux de culte, des cimetières ou des lieux du souvenir. Cependant, ces actions ont une relation de cause à effet avec le début de la seconde intifada.

Antisémitisme versus antisionisme radical ?

Le 13 octobre 2000, le Premier ministre, Lionel Jospin, dit son « indignation » après les actes d’agression perpétrés la veille contre les locaux de l’Association des Juifs libéraux de Toulouse, chef-lieu du département dont il est justement conseiller général. « Devant cet acte odieux, qui ne peut susciter que ma réprobation, je tiens à vous exprimer mon indignation », écrit Lionel Jospin dans le courrier qu’il adresse au président de la communauté locale.

Le 16 octobre, Jospin reçoit à Matignon les représentants des grandes confessions (le rabbin Alain Goldmann, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, le président de la Fédération protestante de France, Jean-Arnold de Clermont, et monseigneur François Favreau, représentant les évêques de France). Le Premier ministre lance un appel à la tolérance et au respect mutuel. Il demande néanmoins de ne pas trop dramatiser les récentes attaques qui ont eu lieu (4). S’il juge « particulièrement scandaleuses et intolérables » les attaques contre les synagogues, il relève néanmoins qu’elles ne sont « pas systématiques » et ne « prennent pas une forme organisée ». Assurément, cette dernière phrase est maladroite. Pourquoi ? S’il est exact que les attaques ne prennent pas une forme organisée, il est erroné de prétendre qu’elles ne sont pas systématiques, tout au moins pendant cette période. Le Premier ministre prend-il la mesure de ce qui se produit depuis plusieurs jours ? Est-il bien informé ? À moins que Lionel Jospin tienne à calmer les esprits. Le Premier ministre assure d’ailleurs que le gouvernement veillera « fermement » mais « sans dramatiser » au respect de ce message.

Le 19 octobre, Lionel Jospin est interviewé par TF1. Cette fois, Lionel Jospin réagit plus fermement et établit un lien direct entre les agressions qui ont eu lieu et le conflit israélo-palestinien : « Nous n’avons pas à importer les passions du Proche-Orient dans notre propre pays. » Les membres des diverses communautés nationales peuvent penser ce qu’ils veulent de la tension israélo-palestinienne ; « mais, avertit le Premier ministre, ils ne doivent pas ramener ces passions dans notre propre pays. De toute façon, tous les actes antisémites seront fermement combattus. Nous ne pourrons pas accepter de voir des lieux de culte, notamment aujourd’hui des synagogues, attaqués ». Le Premier ministre invite ensuite chacun à vivre « sereinement dans la communauté nationale française, à respecter les lieux de culte parce qu’ils sont sacrés, et à respecter les autres parce que vivre ensemble, cela suppose un esprit de tolérance et un esprit de respect (5). » 

Enfin, le phénomène fera l’objet, Place Beauvau, d’un rapport détaillé. Basé sur les interrogatoires de 42 suspects mis en cause par les services de police, il précise le profil des agresseurs : « Il s’agit pour la plupart d’individus impliqués majoritairement dans la délinquance et ne se revendiquant d’aucune idéologie particulière. Ils paraissent néanmoins animés par un sentiment d’hostilité à Israël plus ou moins diffus, exacerbé par la médiatisation d’affrontements au Proche-Orient. Ceci facilite leur projection dans un conflit, qui à leurs yeux, reproduit des schémas d’exclusion et d’échec dont ils se sentent eux-mêmes victimes en France », souligne le ministère. Nous verrons par la suite si cette hypothèse se confirme (6).

À suivre…

1)      Marc Knobel, « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000 – 2013 », Paris, Berg International Editeurs, 2013, pp. 13-39.

2)      L’office religieux de Min’ha est constitué de l’ensemble des prières que chaque Juif religieux, qu’il soit grand ou petit, vieux ou jeune, doit faire l’après-midi.

3)      Une soukkah est une cabane temporaire dont le toit est couvert de branchages, appelés sekhakh. Durant les années au cours desquelles les Hébreux ont traversé le désert du Sinaï, de miraculeuses « nuées de gloire » les entouraient et planaient au-dessus d’eux, les protégeant des dangers et des désagréments du désert. Les Juifs pieux réaffirment leur foi en prenant leurs repas ainsi qu’en « demeurant » dans la Soukkah durant la fête de Soukkoth qui commémore leur errance dans le désert.

4)      Marc Knobel, « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000 – 2013 », op.cit.,

pp. 16-17.

5)      Idem.

6)      Idem.

 

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