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Publié le 16 Février 2017

Crif - Le négationnisme et les faussaires de l’histoire : 3 questions à Stéphanie Courouble Share

Le Crif interroge l’historienne Stéphanie Courouble Share.

Entretien réalisé par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif.

 

Qu’est-ce que le négationnisme ?

Le négationnisme, terme créé dans les années quatre-vingt, désigne une idéologie extrémiste qui tente de nier le crime – le génocide des Juifs – et l’arme du crime – les chambres à gaz. Par extension, il a été employé pour désigner la négation des génocides des Arméniens en Turquie, des Tutsis au Rwanda, et des Cambodgiens.

Les négationnistes sont une centaine d’auteurs (intellectuels, professeurs, universitaires) qui, depuis trois générations, affirment que l’extermination du peuple juif et les chambres à gaz seraient une rumeur propagée par les historiens (juifs), les survivants, les Alliés et Israël. Tandis que le chiffre de six millions de Juifs morts est diminué, voire nié par ces auteurs, la Shoah est considérée comme un canular, un mensonge. Les chambres à gaz, affirment-ils, n’auraient pas existé, ou seulement pour désinfecter les déportés dans les camps de concentration.               

Ces négationnistes s’autoproclament « révisionnistes », un euphémisme qui leur permet de s’auto légitimer. Tout historien en effet révise l’histoire, il la réécrit dès l’ouverture de nouvelles archives. En somme, tout historien est un révisionniste.

D’autre part, l’usage du terme « négationnisme » est aujourd’hui galvaudé, au point que certains auteurs aient pu titrer leur ouvrage Le Négationnisme économique, indépendamment des qualités intrinsèques de cet ouvrage.

Les différents pays où est apparu le négationnisme, n’ayant sans doute pas pris conscience qu’il dépassait leurs frontières, n’ont pas cherché de réponses internationales pour l’endiguer. Aussi, à partir des années soixante, le négationnisme est-il devenu un phénomène international, nourri par des échanges intra-européens, entre l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et l’Europe, entre l’Occident et les pays arabes.

À la fin des années soixante-dix, des négationnistes originaires du monde entier se sont regroupés en un institut international, l’Institute for Historical Review (Institut pour la Révision de l’Histoire – IHR), doté d’un « centre de recherche » et basé aux États-Unis. Ils officialisaient ainsi leurs multiples rencontres antérieures. À la même époque, plusieurs scandales négationnistes ont vu le jour en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en France, en Italie, au Canada et aux États-Unis, faisant connaître ce phénomène publiquement.

Le négationnisme, qui n’a cessé par ailleurs de s’intensifier dans les pays arabes depuis la Seconde Guerre mondiale, est maintenant repris par le régime iranien, qui n’hésite pas à organiser des conférences, des festivals internationaux sur le sujet, réunissant par la même occasion les grands pontes du négationnisme.

 

Quels sont les objectifs des négationnistes ?

Les négationnistes nous expliquent que leur principal objectif est « la vérité, rien que la vérité ». Ces « historiens marginaux », « révisionnistes apolitiques », ou encore « révolutionnaires persécutés » à qui l’on n’octroie pas la parole se présentent comme des chevaliers de l’histoire qui viendraient contester l’histoire officielle et critiquer ses sources au nom de l’Histoire. Ils ne se disent aucunement animés par la haine. Pourtant, et malgré cette affirmation qui en a convaincu plus d’un, l’antisémitisme est intrinsèque au négationnisme. Cette soi-disant nouvelle interprétation de l’histoire ne doit pas cacher que ceux qui sont accusés, à tort, d’avoir inventé un « mensonge », ce sont les Juifs. D’ailleurs, les négationnistes ne cherchent pas à nier les exterminations des malades mentaux, seuls les Juifs les intéressent. Parallèlement, s’ajoutent à leur rhétorique l’antisionisme et la haine d’Israël. Dès les années cinquante, l’antisionisme était présent dans le discours négationniste. Il s’est renforcé et a pris de l’ampleur dans les années soixante pour apporter une certaine normalité au négationnisme dans les années soixante-dix.

L’objectif des négationnistes est de déculpabiliser le nazisme de ses crimes. Peu l’avoueront mais pourtant, une fois Hitler blanchi du crime de masse, le nazisme peut renaître. Si le Juif n’est plus une victime mais un menteur, la critique anti­sémite devient salutaire. Le succès actuel du négationnisme a permis à cet anti­sémitisme de revivre. L’effet Dieudonné-Soral est venu converger au même moment. On est arrivé au point où les enseignants déplorent une diffusion de propos négationnistes dans leurs classes par des élèves qui, sans la moindre gêne, expriment leur haine des Juifs.

 

Est-ce un danger ? Contre les prédateurs de la mémoire, que faire ?

Le danger est que, tandis que les enfants en classe tiennent des propos négationnistes, de nombreux professeurs ne savent comment réagir. Le Mémorial de la Shoah ainsi que l’École internationale de Yad Vashem interviennent de plus en plus auprès des professeurs d’histoire afin de les aider à répondre aux jeunes élèves négationnistes. Personnellement, j’interviens régulièrement à Yad Vashem avec des professeurs francophones de collèges et lycées qui viennent 8 jours en Israël pour un séminaire complet sur la Shoah. Mon intervention s’intitule : « Comment répondre au négationnisme en classe ? » Il me semble que la meilleure réponse possible contre le négationnisme soit l’éducation.

Je ne pense pas que les allégations des négationnistes soient un danger pour l’histoire. Nous avons suffisamment d’archives, de documents pour prouver l’extermination d’environ 6 millions de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, dès lors par exemple qu’un Robert Faurisson a eu l’entière liberté de s’exprimer par un article dans le journal Le Monde en 1978, il a fallu réagir. Cette légitimité accordée aux négationnistes est un danger. Même si au départ, des historiens n’ont pas voulu se lancer dans des explications techniques sur la chambre à gaz, les réfutations des arguments négationnistes sont effectuées très couramment maintenant. On les retrouve sur le site américain Nizkor, ou sur le site français, phdn. org. Je n’ai pas peur pour l’histoire. La production historique en ce qui concerne la Shoah est fructueuse et de plus en plus précise sur la mise en place d’un système d’extermination.

Il est important en revanche que les médias informent sur le négationnisme avec une grande vigilance. Combien de fois n’ai-je vu écrit le terme « historien » pour qualifier R. Faurisson, qui n’en a ni les compétences, ni les diplômes. Autre exemple pris dans la presse, « La preuve archéologique de Treblinka », publié en avril 2014, où les archéologues ont découvert la première preuve physique de l’existence des chambres à gaz de Treblinka. L’historien reste très prudent devant une telle information. Plusieurs articles lus sur le sujet montrent que la presse expose cette découverte comme « enfin la preuve d’une chambre à gaz ». D’une part, l’histoire ne s’écrit pas avec une preuve mais avec une « mosaïque » de preuves (P. Veyne). D’autre part, nous n’avons pas attendu ces recherches archéologiques pour prouver les chambres à gaz de Treblinka. Nous savions même pour l’étoile de David au-dessus de la porte (E. Kogon, Les Chambres à gaz, secret d’État, p. 168). Enfin, et heureusement, cette découverte n’est pas la première évidence visuelle qui permette de combattre les négationnistes. Toute mon admiration cependant va aux archéologues qui ont travaillé sur ce chantier.

Nous sommes confrontés à une autre peur, celle de la disparition inéluctable des déportés, des témoins et survivants des camps d’extermination. En découle une question erronée : comment allons-nous faire pour répondre aux négationnistes sans eux ? La Shoah Foundation créée par Steven Spielberg déploie des efforts considérables pour réunir les témoignages des survivants, mais aussi les filmer (les plus de 52 000 vidéos des archives de la Fondation peuvent être visionnées dans ses locaux de Los Angeles ou via Internet). La transmission de la mémoire est assurée – même si évidemment, nous perdons l’émotion du témoignage.

Le danger vient de nos jours de la prépondérance du négationnisme sur Internet (les blogs, sites, forums) et les réseaux sociaux. Une législation américaine permissive a entraîné la migration de la plupart des sites négationnistes de toutes les langues vers les États-Unis. Et même si la loi française interdit le négationnisme sur Internet, surfer anonymement permet de contourner cette loi et d’avoir accès aux écrits négationnistes. De plus, les réseaux sociaux apportent au négationnisme une nouvelle liberté et un nouveau souffle.

La loi « Gayssot », qui considère le négationnisme comme un délit depuis 1990, s’est généralisée en Europe (l’Allemagne elle-même a modifié ses lois dans les années quatre-vingt afin de légiférer contre le négationnisme). Cependant, le projet de loi n’a pas réuni soixante députés ou soixante sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel, comme il est d’usage en de telles circonstances. En janvier 2016, après plus de quinze ans de polémique, la loi Gayssot a été jugée conforme à la Constitution, entérinant le fait que le négationnisme n’était pas seulement l’expression d’une opinion, mais un délit d’incitation à la haine dans un but antisémite. Si la loi n’est pas la solution pour contrer les négationnistes, qui se placent en victimes d’un système judiciaire ou de « Big Brother », il est cependant légitime que les survivants et leurs familles fassent appel à la justice pour demander réparation du préjudice moral qu’ils subissent de la part des négationnistes et de leurs agissements.

 

Pour aller plus loin :

- Stéphanie Courouble Share, Les idées fausses ne meurent jamais. Le négationnisme, un réseau international

ETUDES DU CRIF N°34 : LE NÉGATIONNISME : HISTOIRE D’UNE IDÉOLOGIE ANTISÉMITE (1945-2014) DE VALERIE IGOUNET

Vous pouvez télécharger l’intégralité de ce numéro au format PDF ci-contre :

http://www.crif.org/sites/default/fichiers/images/documents/Etudes%20du%20Crif%2034_0.pdf

 

- Les racines politiques et culturelles du négationnisme en France, Par Henry Rousso (Institut d’histoire du temps présent, CNRS, Paris) :

http://chgs.umn.edu/histories/occasional/Rousso_Roots_of_Negationism_in_France.pdf

 

- Robert Faurisson, portrait d'un menteur (L’Express) :

http://www.lexpress.fr/culture/livre/robert-faurisson-portrait-d-un-negationniste_1100697.html

 

- Les Faussaires de l'Histoire. Un film de Michaël Prazan :

http://www.fondationshoah.org/memoire/les-faussaires-de-lhistoire-un-film-de-michael-prazan

 

 

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