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Publié le 17 Janvier 2017

#Crif - Trois questions au Père Antoine Guggenheim * par Marc Knobel

Le Père Antoine GUGGHENHEIM, créateur et le directeur du Pôle de recherche du Collège des Bernardins, cofondateur de l'Association UP for Humanness

Persécution des chrétiens d’Orient : trois questions au Père Antoine Guggenheim * par Marc Knobel

 

Le créateur et le directeur du Pôle de recherche du Collège des Bernardins, cofondateur de l'Association UP for Humanness qui contribue à produire des idées, des pratiques et des politiques nouvelles pour que renaisse une société plus humaine répond aux questions du CRIF

 

Question : L'ONG d'obédience protestante Portes ouvertes propose chaque année une cartographie des persécutions antichrétiennes. Ce travail de collecte permet de dresser un tableau précis à défaut d'être exhaustif des violences et des discriminations subies par les chrétiens, rapporte Le Figaro du 11 janvier 2017. C'est ainsi que, dans une cinquantaine de pays, 215 millions de chrétiens sont opprimés, surtout au Proche et Moyen-Orient, (Irak, Syrie, Gaza…) mais aussi en Afrique (Nigeria, Centrafrique, Somalie, Soudan...) et en Asie (Pakistan, Iran, Afghanistan...), et/ou ailleurs comme la Corée du Nord. Les Chrétiens sont persécutés. Aujourd’hui, n’ont-ils plus qu’un seul recours : partir ? Que faire ?

 

Partir, c'est parfois sauver sa vie, les études de ses enfants, la santé de ses parents âgés. C'est un droit fondamental, bien connu des sagesses traditionnelles et sanctionné par le droit international. Ce droit d'émigrer pour se réfugier est corrélatif du devoir d'hospitalité, qui est peut-être le fondement de tous les droits de l'Homme.

Rester, c'est sauver sa culture, témoigner de la mixité dans son pays, peut-être jusqu’au sacrifice, garder son lien à sa terre, à ses ancêtres. L'exil est toujours une souffrance. Demeurer peut-être impossible, trop lourd, trop incertain.

 

"Qui suis-je pour juger ?"

Et nous ? Que pouvons-nous faire ?

A notre mesure personnelle, contribuer à faire grandir l'unité de l'humanité autour de nous pour changer les cœurs, en commençant par le nôtre.

 

A l'échelle d'une communauté religieuse, comme l’Église, ou d'une communauté nationale, comme la France, une action semblable est possible : proposer les balises éthiques qui guident la réflexion et l'action collectives selon ce qu'Emmanuel Levinas aime appeler : « la responsabilité pour autrui », et qui nous semble, à UP for Humanness, la base de l’éthique des religions, du droit et de toute culture. Nous ne pouvons plus vivre en dehors de l'ère Gandhi : « Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le monde »

Question. Un attentat à la bombe a tué au moins 25 personnes en décembre 2016 en pleine célébration dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, attenante à la cathédrale Saint-Marc du Caire, siège du Patriarcat copte d’Égypte. Avec ce nouveau carnage, les coptes sont-ils à nouveau frappés au cœur ?

 

Les coptes sont une communauté nombreuse et enracinée au plus profond de leur patrie égyptienne. Leur foi remonte au premier siècle de l'ère chrétienne, six siècles avant la naissance de Mahomet. Frapper les coptes, c'est détruire l’Égypte, un pays que nous aimons de tout notre cœur au nom de sa contribution à la vie et au rayonnement de la Méditerranée. Ces assassinats ne sont pas seulement une atteinte à la liberté religieuse des chrétiens ; ils bafouent le respect dû à chaque Égyptien. C'est un suicide ; l'expression d'un nihilisme qui s'acharne sur "l'autre".

 

"L'enfer, c'est les autres", sauf si librement je romps avec le cercle des peurs pour que les autres le rompent aussi. « Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se mettent librement en enfer. » (Sartre, commentaire sur Huis-Clos)

 

Un texte d'Hanna Arendt nous​ semble indiquer un chemin pour vivre après un tel acte et « briser le cercle de l'enfer ». Elle parle de « promesse » et de « pardon » :

 

« Contre l’irréversibilité et l’imprévisibilité du processus déclenché par l’action, (…) deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les ‘fautes’ sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-dessus de chaque génération nouvelle ; l’autre qui consiste à se lier par des promesses, sert à disposer dans cet océan d’incertitude qu’est l’avenir par définition, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux. »

 

(Condition de l’homme moderne, Pocket Agora, 2002, p. 302)

 

Ce sera après la défaite militaire et culturelle de « l’Etat islamique »

 

Question : Le 8 septembre 2015, le ministère des Affaires étrangères organisait à Paris une conférence internationale pour répondre à l’appel à l’aide des minorités syriennes et irakiennes.  Au moment où les marchés internationaux dévissent et les bourses mondiales subissent de très fortes chutes ; au moment les préoccupations géopolitiques et diplomatiques sont si nombreuses, en quoi il est important que la France continue de se préoccuper du sort des Chrétiens d’Orient ?

 

Défendre les droits légitimes des minorités chrétiennes dans le monde, et en particulier au Moyen-Orient, fait partie des fidélités et des idéaux de la France. Elle se perd quand elle les oublie. Cet attachement ne lui a jamais semblé contradictoire avec son engagement pour la déclaration universelle des Droits de l'Homme, au contraire, en raison de son histoire particulière et de la mémoire des peuples qui lui sont liés.

 

La France, comme toute grande nation, a des intérêts matériels et des intérêts spirituels, ou culturels. Des moyens de vivre et des raisons de vivre. Les deux paraissent parfois en tension, surtout à court-terme. A long-terme, un pays, pas plus qu'une personne, ne peut vivre dans l'égoïsme, l'égocentrisme, le cynisme. On peut perdre sa vie à la gagner. On peut mourir d'une maladie de l'âme, on peut aussi renaître d'une résurrection de l'âme.

 

Les responsables publics, économiques et spirituels en sont comptables devant le pays entier. Mais, je le crois, il appartient à la responsabilité et au bien commun de tous les Français, quelles que soient leurs origines et leurs appartenances, de maintenir et de renouveler les fidélités et les idéaux de leur pays. Ici, un sens particulier de l'universel qui la lie aux personnes et aux peuples menacés ou opprimés, et un attachement singulier aux anciennes Églises orientales qui en appellent à elle.

 

  • Antoine Guggenheim vient de publier avec Danielle Cohen-Levinas L'antijudaïsme à l'épreuve de la philosophie et de la théologie, Seuil, 2016

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