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Publié le 19 Juillet 2017

#Crif #VeldHiv - Cérémonie à Orléans

Discours d'Eliane Klein, Déléguée du Crif pour la région Centre.

Cérémonie à Orléans - Eliane Klein

En cette journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites - les Tziganes et les Juifs - commises par l'Etat français sous l'autorité du gouvernement de Vichy, et en hommage aux Justes français, je dédie mes paroles aux "Justes des Nations", ces hommes et ces femmes de toutes origines, souvent modestes, connus ou anonymes, qui ont sauvé des Juifs, en particulier des enfants, pendant l'occupation, malgré les risques encourus. Ils témoignent que les êtres humains ont d'autres options que la soumission à un Régime criminel.
 

Je rends hommage aux Résistants, aux anciens déportés, aux derniers témoins et à tous ceux, anonymes, dont le courage et la détermination ont concouru à vaincre la menace totalitaire. Car, comme l'a dit Madame Simone Veil, "face à la folie exterminatrice, face à l'horreur du système nazi, il y a eu l'amitié et l'humanité qui ont su résister. Ce sont les 2 faces des êtres qui ont été mêlés à cette monstrueuse entreprise".
 
La commémoration officielle peut avoir son revers, celui de figer la mémoire et de la banaliser si l'on s'en tient à la vaine indignation, aux formules compassionnelles ou incantatoires, au sempiternel "plus jamais ça", qui n'engagent à rien, qui sont souvent source d'oubli et qui sont régulièrement trahis dans le monde depuis la fin de la 2ème guerre mondiale.
"Que reste-t-il des cris des enfants juifs arrachés à leur mère, dans une commémoration institutionnalisée? n(Georges Bensoussan).
 
Et pourtant, j'affirme la nécessité de ces moments de remémoration collective en ce lieu de mémoire privilégié (Place de la République), qui s'inscrivent dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir et de transmettre, et dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.
Ce geste  s'inscrit dans notre fidélité  et le sentiment d'une dette envers un monde anéanti.
Il ne s'agit pas" d'un culte idolâtre, mais  la volonté de savoir, dans son détail et son système, ce qui a eu lieu... de découvrir la politique de la barbarie" (Alain Finkielkraut).
 
La cérémonie qui se déroule chaque année autour du 16 juillet a fait de cette Place de la République un lieu de Mémoire, un lieu pour se recueillir et réfléchir aux terribles évènements qui se sont produits si près d'ici, dans les camps de Pithiviers et de Beaune la Rolande, après la Rafle du Vel d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942 : 13.152 Juifs, dont plus de 4.000 enfants y furent internés avant d'être envoyés directement, ou via Drancy, dans le camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau, pour y être assassinés.
 
Leur "crime", pour les nazis et leurs complices français : être nés (juifs).
 
Ce qui s'est passé là est l'un des épisodes les plus tragiques de notre histoire: la collaboration du gouvernement de Vichy à un crime sans précédent, la Shoah, une "césure" dans l'Histoire(Hannah Arendt), l'anéantissement programmé de tout un peuple.
 
La Rafle du Vel d'Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en oeuvre par le gouvernement de Pétain dès les 3 et 4 octobre 1940 par les décrets dits "statuts des Juifs", lois de ségrégation, d'exclusion, de spoliation et d'internement , préfigurant la tragédie de l'année 42.
Je n'oublie pas l'abrogation du Décret Crémieux, dès le 8 octobre 1940, qui faisait des citoyens juifs français d'Algérie des parias: près de 500 professeurs ou instituteurs furent renvoyés, près de 20.000 élèves furent exclus des écoles publiques, les médecins n'avaient plus le droit d'exercer, etc. Toutes ces mesures, signant la faillite de la Démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations, comme l'a souligné l'historien Michel Winock. Pire, ajoute-t-il, dans l'Université, dans la Faculté de médecine, dans la magistrature, etc., les postes" libérés" par les collègues juifs sont occupés sans état d'âme, par les enseignants, médecins, juges non juifs !
"Combien furent précieux, alors, les cris de quelques rares protestataires dans le désert de la soumission !" ( Michel Winock).
 
Il convient de s'interroger sur le rôle joué par une grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques sans états d'âme.
On ne peut évacuer le rôle de la bureaucratie, de la presse" officielle", de la propagande, bref de tous ceux qui, par indifférence ou haine antisémite se sont rendus coupables de petites ou grandes lâchetés.
 
La tâche qui nous incombe, face à une telle tragédie- mettre en lumière le "pourquoi" et le "comment" - est d'autant plus difficile que nous sommes entrés dans le temps des mémoires courtes, de l'accélération de l'Histoire mondialisée, médiatisée, le temps du "divertissement", où chaque évènement , chaque image chasse l'autre et souvent l'efface, où le spectacle de l'image, du paraître, supplante la réflexion, l'analyse. Et puis, la lassitude, la négation, ou pire, l'indifférence l'emporte chez certains.
C'est un travail de Mémoire et d'Histoire exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que les génocides du 20ème et 21ème siècle posent à la conscience humaine.
 
"Comment  cela a-t-il pu être possible ? Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse? Comment des Etats démocratiques ont-ils pu consentir au pire? Rappelons que ce crime de masse a été commis dans le silence des nations.
La Shoah a dévoilé la fragilité de l'humanité, là où la barbarie est comme la face cachée de la civilisation moderne, technique et industrielle... "L'Histoire du régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l'espace républicain"... (Georges Bensoussan).
 
Le travail de Mémoire et d'Histoire que je viens d'évoquer, cette mémoire qui nous oblige, prend tout son sens s'il  nous permet de décrypter le présent, la féroce actualité du présent, de" voir ce que l'on voit" (Charles Péguy) et surtout de nommer ce que l'on voit (Albert Camus).
 
Comme l'a écrit la philosophe Elisabeth Badinter, "le déni de la réalité est un cancer" aux effets ravageurs". (Préface de l'ouvrage dirigé par Georges Bensoussan "Une France soumise").
 
 
Sans citer les très nombreux exemples d'atteintes aux lois et principes de notre République, je voudrais revenir sur L'ensauvagement du monde, maintes fois évoqué depuis des années qui s'est amplifié, mettant en péril toutes les Démocraties.
 
 
Force nous est de constater un phénomène très inquiétant - qui n'est pas propre à la France, mais qui nous concerne particulièrement : les effets pervers d'internet et des réseaux sociaux: dans notre monde hyper connecté et surinformé, parallèlement aux images ultra-violentes diffusées dans des vidéos, "préparant le terrain au fanatisme meurtrier", la progression incessante de la technologie va de pair avec la progression de l'ignorance et de l'obscurantisme ; ainsi se multiplient les théories du complot, le conspirationnisme justifiant l'appel au Djihad et le terrorisme, le racisme, l'antiracisme dévoyé, l'homophobie, le sexisme, l'antisémitisme et l'antisionisme mortifères, le négationnisme, la haine de la démocratie et de ses principes, en particulier la liberté d'expression, l'égalité homme/femme et la laïcité, le dénigrement des principes humanistes au nom du multiculturalisme et du relativisme historique.
 
Oui, il faut nommer les acteurs de l'idéologie mortifère de l'islam politique , qui est "dans une démarche de conquête de territoires devenant terres de charia" (Boualem Sansal). Comme l'a écrit Barbara Lefebvre, cet islamisme" a le même visage de 'homme ordinaire, celui des SS de la division Das Reich. Des hommes pétris de haine et de violence qui tuent d'autres hommes".
 
Cette haine  a mené les tueurs-islamistes français- à frapper le coeur de notre civilisation, la démocratie et les valeurs qui la fondent, ses institutions,   a mené à attaquer la France dans sa "manière de vivre": policiers, militaires , journalistes, public du Bataclan , personnes aux terrasses de bars et restaurants, la foule de la Promenade des Anglais  le 14 juillet 
Tuée 2 fois comme l'a dit le philosophe Michel Onfray, un des premiers signataires, avec 16 autres intellectuels français, de l'appel pour que la vérité soit dite sur le meurtre de Sarah Halimi :
"La barbarie du crime a été aggravée par des semaines de silence, de déni médiatique et politique, et par le refus d'évoquer le caractère antisémite du crime".
Le tueur "présumé" vient  d'être mis en examen mais  le caractère antisémite  du crime n'a pas été retenu ! Comment ne pas partager la colère du dessinateur Joann Sfar qui écrit : "Si traiter une femme de sale juive, puis la massacrer et la défenestrer ne suffit pas, il faut faire quoi ?
Cet assassinat, lié à la terreur régnant  dans certains quartiers en France, "n'est pas un crime ordinaire: par son extrême barbarie, par le silence coupable des medias, des politiques. et des associations de défense des Droits humains... Il est le symptôme d'une profonde crise de civilisation"(Noémie Halioua).
 
Nous sommes face à des ennemis des valeurs humanistes universelles qui fondent notre Démocratie, mais aussi face à ceux qui, par ignorance, complaisance, calcul ou adhésion, dédouanent les assassins, ont la tentation des accommodements et de la soumission qui mènent au pire.
 
Aussi, la société doit se mobiliser" a écrit le journaliste Luc Rosenzweig, il ajoute : "un appel doit être lancé à chacun, quelque soit son origine ou ses croyances, pour s'engager dans un combat de civilisation... On ne laisse rien passer, ni en classe, ni dans les hôpitaux, ni dans les piscines, et l'on a les yeux ouverts face à toutes les dérives", car, comme l'a écrit l'historien Élie Barnavi, s'adressant aux citoyens européens : 
"Il y a la civilisation et il y a la barbarie et, entre les deux, il n'y a pas de dialogue possible... Il faudra vous armer de patience et de conviction, il faudra défendre la laïcité sans laquelle il n'y a pas de démocratie possible... Il y va de la sauvegarde de vos valeurs, de vos libertés, de votre mode de vie. Bref, de l'avenir de vos enfants

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