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Publié le 8 Janvier 2019

Janvier 2019 - L’antisémitisme depuis 2015 : mise en perspective historique

Dans cette synthèse, Marc Knobel, historien et directeur des Etudes au Crif, analyse les différents mécanismes de l’antisémitisme tel qu’il se développe en France depuis 2015.

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Extraits de la synthèse :

Dans cet article, nous synthétisons différentes formes de l’antisémitisme depuis l’année 2015. Nous avons choisi de mettre l’accent sur les ressorts les plus visibles de l’antisémitisme, sans pour autant être exhaustif. Nous renvoyons d’ors et déjà à l’ouvrage impressionnant de Pierre-André Taguieff, Judéophobie, la dernière vague, Paris, Fayard, 2018.

Les actes antisémites augmentent-ils de 2015 à 2017 ?

Le 13 juillet 2015, 6 mois donc après l’attentat de l’hyper cacher, -le 9 janvier 2015, une prise d’otages est perpétrée contre ce magasin, quatre personnes sont assassinées- le CRIF dévoile que le nombre d'actes antisémites (1) a bondi de 84 % sur les cinq premiers mois de l'année, avec 508 actes recensés de janvier à mai, contre 276 sur la même période en 2014.

Cependant, les actes antisémites (actions violentes et menaces) ont reculé de 58% en 2016. Et la décrue se poursuit en 2017. Comme le rappelait le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) en son rapport annuel de 2017, le nombre des actions antisémites (attentat ou tentative, homicide ou tentative, violence, incendie ou tentative, dégradation ou vandalisme) ayant donné lieu à un dépôt de plainte était passé de 77 en 2016, à 97 en 2017 (2).

Il faut préciser ici que de nombreuses victimes d’actes antisémites disent ne pas vouloir porter plainte par peur notamment de représailles. Il faut noter également que de nombreuses victimes d’actes antisémites sont peu confiantes sur l’aboutissement d’une enquête et sur l’issue d’une procédure pénale selon le SPCJ.

Résumons :

En 2017, une augmentation très forte des actions antisémites (+26%) et une baisse « artificielle » des menaces (-17%) conduisent légitimement à une vraie inquiétude.

Les assassinats de Sarah Halimi, en 2017 et celui de Mireille Knoll, commis le 23 mars 2018 dans le 11ᵉ arrondissement de Paris, ajoutent au traumatisme. Ces assassinats laissent peut-être entendre/comprendre que des personnes âgées peuvent être tuées chez elles, par des voisins. Chacun pense alors à ses propres parents. Après les enfants (un terroriste assassine trois enfants et un enseignant devant le collège-lycée juif Ozar Hatorah, à Toulouse, en mars 2012) ; les clients d’un magasin (attentat contre l’hyper cacher, en janvier 2015), les personnes âgées sont à leur tour des cibles. Et à chaque fois, une extrême barbarie s’acharne sur les victimes.

Dernier point, la localisation.

D'après des statistiques du SPCJ, les arrondissements de l'Est parisien sont ceux qui concentrent le plus de plaintes pour des actes antisémites avec par exemple 50 actes recensés dans le 20e en 2015 et 2016 et 21 actes dans le 11e. Ce sentiment d'insécurité conduit certains habitants à changer de quartier et les juifs qui vivent dans le 19e, le 20e ou le 11e, décident de quitter ces arrondissements pour aller vivre dans le 17e ou en tout cas dans l'Ouest de Paris et non plus à l'Est, parce qu'ils pensent être en sécurité (3).

 

Et en 2018, que se passe-t-il ?

69 % de hausse des actes antisémites sur les neuf premiers mois de l'année 2018, c’est l’information qui est communiqué par le Premier ministre dans une tribune publiée sur son compte Facebook, en novembre 2018. Fait inédit, car c'est Edouard Philippe qui dévoile ce chiffre, alors qu'habituellement le bilan annuel de l'ensemble des actes racistes est publié en janvier seulement, par le ministère de l'Intérieur.

Édouard Philippe redit sur Facebook sa détermination à « ne rien laisser passer » en matière d'antisémitisme en France. Citant le rescapé des camps nazis Elie Wiesel pour avertir du « danger » de « l'indifférence », le premier ministre assure que «le gouvernement a précisément choisi de ne pas rester indifférent», en rappelant des décisions prises ces derniers mois (4).

La proportion d'actes antisémites rapportée à la taille de la communauté juive est considérable. Pour faire court, 1 acte qualifié de raciste sur 3 au moins commis en France est dirigé contre un Juif. Les Français de confession juive sont donc proportionnellement les plus menacés.

 

Quelle expression de l’antisémitisme sur l’Internet ?

Commentant ces chiffres, Francis Kalifat, le président du Crif – qui se confie à l’AFP (5) – indique que ces chiffres « traduisent la permanence et le développement d'un antisémitisme du quotidien », une forme de « banalisation » de la haine. « C'est un cancer qui gangrène notre société. » Et sa « banalisation, depuis quelques mois » est favorisée par les messages haineux sur les réseaux sociaux et Internet, explique-t-il. Justement, Édouard Philippe dit préparer en novembre 2018 pour l’année 2019 une modification de la loi afin de renforcer la lutte contre la cyberhaine en mettant la pression sur les opérateurs du Net (6).

Francis Kalifat a raison. C’est pour cette raison que le Crif, qui tient son dîner annuel en mars 2018, annonce qu’il va créer un Observatoire de la haine sur le Web et demande au président de renforcer l'arsenal législatif.

L’expression de l’antisémitisme sur le Net ne cesse de croître. Explosion des propos négationnistes, complotistes, racistes sur les réseaux sociaux ou sur des sites ouvertement islamistes. Le Net est une jungle, il faut surfer sur Internet pour en juger et pour mesurer l’étendue du désastre. Les réseaux sociaux sont des défouloirs fous. Sur Facebook ou Twitter, les trolls (personnes qui postent des messages tendancieux sur les forums internet afin d’alimenter les polémiques) sévissent un peu partout, les extrémistes ou les islamistes investissent le Net. Au débat nécessaire et démocratique qui doit avoir lieu sur des questions essentielles et sensibles, se substitue souvent l’injure, les menaces (de mort) se multiplient.

La haine, les haines racistes, antisémites et homophobes dévastent le réseau des réseaux. Il n’est d’ailleurs plus possible de discourir tranquillement, d’alimenter le débat et la réflexion, de parler d’un sujet sans que dans la seconde, une cohorte de givrés, de malades et d’extrémistes ou de fanatiques se ruent et viennent investir et polluer le Net. C’est donc pour tenter de palier à ces difficultés qu’un rapport sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet a été remis au Premier ministre, ce 20 septembre 2018.

Les sites islamistes sont-ils terrifiants ?

Nombre d’écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les juifs et les chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-américaines et antisionistes viennent clore le tout. Elles sont si virulentes qu’elles ne doivent pas manquer d’échauffer les esprits de certains jeunes déjà perturbés, en quête d’identité et confrontés au dilemme de vivre dans un choc de cultures.

Bref, des sites fondamentalistes qualifient systématiquement l’ennemi, en appellent au djihad et encouragent les attentats terroristes, notamment contre les Juifs et/ou se déchaînent contre Israël. L’antisémitisme y est très présent.

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Notes :

1. Les actes antisémites se décomposent entre actions et menaces antisémites.

2. https://www.antisemitisme.fr

3. Entretien de Marc Knobel à BFM, le 28 mars 2018.

4. Le Figaro, 9 novembre 2018. Le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (2018-2020) comprend 21 mesures, qui sont énoncées ici : https://www.gouvernement.fr/plan-national-de-lutte-contre-le-racisme-et-l-antisemitisme-21-mesures-pour-continuer-le-combat

5. « Édouard Philippe dénonce la forte hausse des actes antisémites », AFP, 9 novembre 2018.

6. « Il nous faut aller plus loin. » C’est en ses termes qu’Emmanuel Macron en mars 2018 promettait une lutte renforcée contre la haine raciste et antisémite qui prospère sur Internet, lors du premier dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), sous son quinquennat. Devant un millier d’invités, le chef de l’État dit vouloir mener « cette année » au niveau européen « un combat permettant de légiférer pour contraindre les opérateurs à retirer dans les meilleurs délais » les contenus haineux en ligne. Devant cet auditoire, le président annonçait qu’une mission serait alors confiée par le gouvernement à Gil Taïeb, vice-président du Crif, à l’écrivain Karim Amellal et à la députée Laetitia Avia, sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet. Voir à ce sujet : Marc Knobel, L’Internet de la haine. Racistes, antisémites, néonazis, intégristes, islamistes, terroristes et homophobes à l’assaut du Web, Paris, Berg International Editeurs, 2012, 181 pages, et Marc Knobel, « Lutter contre la haine en ligne : des avancées prochaines ? », La revue civique, septembre 2018.