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Publié le 22 Juillet 2019

Crif/Vel d'Hiv - Lorsque Florence Parly, ministre des Armées parle de l’Affaire Dreyfus : retour sur les polémiques

Lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, ce 21 juillet 2019, Florence Parly a fait brièvement allusion à l’Affaire Dreyfus. Pourtant, il n’a pas toujours été facile pour l’armée d’évoquer l’Affaire, ces dernières armées. Retour sur quelques polémiques.

Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif

Lors de son allocution, Florence Parly, très émue, a notamment déclaré « N'oublions jamais que la France a trahi ses propres enfants. Ces enfants aimants, pétris des valeurs qui l'avaient fait naître. Comment pourrait-on être chassé d'un pays qui proclame les valeurs de liberté, égalité, fraternité. » La ministre a fait également allusion à l’Affaire Dreyfus : « Lorsque je pense à Alfred Dreyfus, lorsque je lis chaque nom inscrit sur le mur du jardin des enfants du Vél d’Hiv’, la même question revient sans cesse : que seraient-ils devenus si leur avenir ne leur avait pas été arraché ? Quel destin les attendait ? Le véritable courage, c’est celui de la vérité. 120 ans après le procès de Rennes, les Armées doivent regarder leur histoire en face. 120 ans plus tard, il est encore temps que les Armées redonnent à Alfred Dreyfus tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôté. Et j’y veillerai personnellement (1). »

Pourtant, il fut un temps (pas si lointain) ou l’armée avait énormément de mal à évoquer l’Affaire Dreyfus. 

L’Hommage au Capitaine Dreyfus dont l’armée ne voulait pas

En 1985, l’Affaire Dreyfus provoque toujours une vive réaction. « Une nouvelle affaire Dreyfus ? » s’interroge René Bernard dans L’Express, du 9-15 août 1985, après la polémique qui prend forme lorsque l’on envisage d’élever une statue du capitaine Alfred Dreyfus. Quatre-vingt ans après la victoire des dreyfusards, le nom de l’officier est en effet inscrit sur la liste des personnages historiques auxquels le président de la République François Mitterrand décide de rendre hommage. Sollicité par Jack Lang, ministre de la Culture, Louis Mitelberg, dessinateur éditorialiste de L’Express, peintre et sculpteur, connu sous le pseudonyme de Tim, réalise la sculpture. Coulée en bronze, elle représente le capitaine en pied, tenant son sabre brisé devant le visage. Tim propose de l’installer dans la cour de l’école militaire, à l’endroit même où Dreyfus fut dégradé. Jack Lang est d’accord mais il se heurte au refus de Charles Hernu. Le ministre de la Défense allègue que la cour de l’Ecole n’est pas accessible au public, et propose les jardins de la montagne Sainte-Geneviève qui abritent les locaux de l’Ecole polytechnique où Dreyfus fut étudiant (2). François Mitterrand, lui-même est hostile à l'idée d'installer la statue à l'École militaire, estimant qu'« il faut donner aux militaires un exemple, pas un remords (3) »

Résultat de cette polémique ? L’Hommage au Capitaine Dreyfus réalisé par Tim reste dans la fonderie du sculpteur pendant deux ans. Finalement, le 9 juin 1988, le ministre de la Culture l’inaugure dans le jardin des Tuileries, près de la terrasse dite du « bord de l’eau ». « L’honneur de l’officier injustement condamné est lavé dans le bronze dont on fait les statues » commente alors Le Monde (11 juin 1988). Quelques jours plus tard, le lundi 20 juin, Charles Dreyfus, petit-fils du Capitaine, révèle que la tombe de son grand-père, située au cimetière du Montparnasse, a été profanée au début du mois : on y a tracé à la peinture des croix gammées et inscrits différentes injures antisémites.

Il faudra des années pour trouver un endroit où installer cette statue de Tim. Elle trouva finalement un point de chute dans le square Pierre Lafue (VIème) en octobre 1994, pour le centième anniversaire de l’affaire. La statue est inaugurée par Jacques Chirac, qui qualifie l’affaire Dreyfus de « triple scandale : le scandale de l’injustice, le scandale de l’antisémitisme et de la xénophobie et le scandale de la division nationale. » « Autant de menaces qui continue de peser sur le continent européen et même sur la France » affirme le maire de Paris. En octobre 1994, une plaque rappelant que le capitaine Dreyfus finit sa vie dans le XVIIème arrondissement est apposée sur la façade de la rue des Renaudes qu’il occupa, à l’initiative des descendants de l’officier. Cette cérémonie se déroule en présence de Bernard Pons, député de Paris et de Pierre Rémond, maire du XVIIème arrondissement. Plusieurs autres personnalités dont Robert Badinter, président du Conseil Constitutionnel et Jean Kahn, président du CRIF, sont présents.

En juillet 2000, à la suite d’un vote unanime du Conseil de Paris, une voie parisienne reçoit le nom de Dreyfus. La Place Alfred Dreyfus se trouve dans le 15ème arrondissement de la capitale au carrefour de l’avenue Emile Zola, de la rue du Théâtre et de la rue Violet.

En 2006, à l'occasion du centenaire de la réhabilitation de Dreyfus, Jack Lang et le maire de Paris de l'époque, Bertrand Delanoë expriment leur souhait de voir la statue transférée dans la cour de l'École militaire, mais les militaires, notamment le général Henri Bentégeat, alors chef des Etats-Majors des armées continuent de s’y opposer. Libération du 12 juillet 2006 raconte que le chef d’état-major, le général Henri Bentégeat, indique sur RTL qu’un transfert de cette statue est « un choix fondamentalement politique », et qu’il « n'y a pas de demande, au sein des armées, pour de nouvelles cérémonies ». Ce refus est justifié par le fait que « dans les armées, on n'a pas l'habitude de célébrer ses erreurs. On célèbre d'abord ses victoires », explique le chef d’état-major (4). 

Une note indélicate du SIRPA Actualités

L'Affaire rebondit de façon inattendue à la suite de la parution dans une publication de l'armée, le SIRPA Actualités, du 31 janvier 1994, d'un article controversé et d'une analyse plus que tendancieuse sur l'Affaire Dreyfus, placée sous la responsabilité du colonel Paul Gaujac, chef du service historique de l'armée de terre (le SHAT). Paul Gaujacmet sérieusement en doute l’innocence de Dreyfus. Mais, dès parution de l'article, le ministre de la Défense, François Léotard décide de mettre fin aux fonctions du colonel (5). 

L’armée de terre reconnaît enfin que l’affaire était une « conspiration »

Il faut attendre le 7 septembre 1995 (seulement) pour que l'armée de terre reconnaisse officiellement que l'affaire Dreyfus était une « conspiration » contre un « innocent ». Devant le Consistoire central, le général Mourrut, chef du service historique de l'armée de terre (SHAT), avoue alors qu'il s'agissait « d'un fait divers judiciaire provoqué par une conspiration militaire, qui aboutit à une condamnation à la déportation ­celle d'un innocent ­ en partie fondée sur un document truqué ». 

La discrétion pour l’inauguration d’une plaque commémorative en hommage à Dreyfus

Le 2 février 1998, Alain Richard inaugure une plaque commémorative en hommage au capitaine Dreyfus dans la cour de l'Ecole militaire à Paris. Là même où il fut dégradé par ses pairs le 5 janvier 1895. Cette initiative ne fait pas que des heureux dans l'armée de terre. « C’est maladroit », estime un officier supérieur, cité par Jean-Dominique Merchet de Libération (2 février 1998). « Est-ce vraiment encore une question importante? », se demande un autre, alors qu'un troisième y voit « la main du Mrap ou de la Licra », deux associations antiracistes.  

Libération raconte que pour la cérémonie, le ministre de la défense avait pourtant choisi la discrétion afin de ne pas fâcher ses troupes. Tous les grands chefs militaires ont été « invités » à cette cérémonie; mais le cabinet d'Alain Richard assure qu’« aucun message de convocation » n'avait été envoyé. C'est à dire qu'aucun officier n'a expressément reçu l'ordre de se rendre à l'Ecole militaire. Redoublant de prudence, le ministère précise même que cette cérémonie n'aura « aucun caractère ostentatoire » et qu'un nombre « volontairement restreint de civils et de militaires » ont été invités.

Dreyfus, général à titre posthume ?

Nous le voyons ici, il fut difficile pour l’armée d'évoquer l’Affaire. La déclaration de la ministre changera-t-elle la donne ?

Le journal L’Opinion du 21 juillet 2019 révèle que le célèbre lieutenant-colonel Alfred Dreyfus, accusé à tort de trahison au profit de l’Allemagne avant d’être innocenté 12 ans plus tard, pourrait être nommé général à titre posthume. Selon le journal, cette phrase ouvre la voie à une réparation posthume sur cette affaire (6).

À suivre donc…

 

Notes : 

1)   https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly/discours-de-florence-parly-ministre-des-armees_ceremonie-de-commemoration-de-la-rafle-du-vel-d-hiv

2)   Marc Knobel, « Chronique dreyfusienne. L'hommage au capitaine Dreyfus », Les Cahiers Naturalistes, Nº63, 1989, p. 256.

3)   Jean Daniel, Le Nouvel observateur, 5-11 janvier 2006, p. 11.

4)   Jean-Dominique Merchet, « Un beau discours et pas de statue pour le Capitaine Dreyfus », Libération, 12 juillet 2006.

5)   Cf. Marc Knobel, « Il y a toujours des antidreyfusards », L’Histoire, n°173, janvier 1994, pp. 116-118 et Lendemains - Vergleichende Frankreichforschung, Les derniers antidreyfusards ou l’antidreyfusisme de 1906 à nos jours, tome 77, 1995, pp. 20-29. Voir aussi « Les Derniers antidreyfusards et l’antidreyfusisme de 1906 à nos jours », in Michel Denis, Michel Lagrée et Jean­Yves Veillard (eds.), L’Affaire Dreyfus et l’opinion publique en France et à l’étranger, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 1996.

6)   https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/exclusif-dreyfus-pourrait-etre-nomme-general-a-titre-posthume-193349

 

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