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Publié le 31 Août 2016

De Durban I à Durban II : Empêcher l’antisémitisme venimeux, par Alfred H. Moses

Annoncée comme une Conférence Mondiale contre le racisme, la xénophobie et l’intolérance, Durban se transforma rapidement en une nouvelle version du "Mystère de la Passion"...

... avec le peuple palestinien dans le rôle de la victime et Israël dans celui du crucificateur!

Par Alfred H. Moses, ancien Ambassadeur des Etats-Unis, publié en anglais sur le site du CAPE de Jérusalem le 6 juin 2016 
Traduction française : Menahem Macina pour upjf.org
 
Durban I : Une haine éhontée des Juifs
 
Pour comprendre le sinistre présage de ce qu’il est convenu d’appeler Durban II – quoiqu’il soit prévu que la conférence se tienne à Genève – et les possibilités de meilleurs résultats que ceux de Durban I, il est nécessaire de revenir sur cette dernière conférence. Annoncée, il y a sept ans, comme une Conférence Mondiale contre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance y Afférant, elle se transforma rapidement en une nouvelle version du "Mystère de la Passion", avec le peuple palestinien dans le rôle de la victime et Israël dans celui du crucificateur. De retour aux Etats-Unis, le défunt sénateur, Tom Lantos, membre de la délégation américaine à Durban, fit le commentaire suivant, lors d’une rencontre avec l’American Jewish Committee : « Pour moi qui ai eu une expérience directe des horreurs de l’Holocauste, ce fut la manifestation de haine des Juifs, la plus abominable et la plus éhontée que j’aie connue depuis l’époque nazie. (1)
 
Les pires moments de haine ont eu lieu au cours d’un Forum des ONG qui dura huit jours dans un grand stade de cricket, et auquel participèrent six mille représentants de près de 2000 ONG. Parallèlement au harcèlement anti-juif, il y eut des attaques contre la mondialisation, décrites plus tard par le président de la conférence – le ministre sud-africain des Affaires étrangères – comme ayant  « rendu précaires les économies des pays affectés du terrible héritage de l’esclavage et du colonialisme, qui avaient bénéficié aux seuls pays développés… et avait laissé dans son sillage une pauvreté déshumanisante absolue, une marginalisation économique, une exclusion sociale et du sous-développement. » (2).
 
Le jour de l’ouverture de la conférence, le secrétaire de l’ONU à l’époque, Kofi Annan, s’adressa à une table ronde de quatorze chefs d’Etats et de gouvernements, dont dix originaires d’Afrique, deux de petits pays anciennement communistes, originaires d’Europe – Lettonie et Bosnie-Herzégovine – et ceux de Cuba et de Palestine, Fidel Castro et Yasser Arafat. Outre Annan, la seule autre personnalité qui s’adressa à la table ronde fut le président de l’Union Sud-Africaine, Thabo Mbeki. Cette constellation de hauts dirigeants donna presque exclusivement le ton à la conférence. Elle montrait qui était là, c’est-à-dire, l’Afrique, Castro et Arafat, et – plus important – qui n’y était pas, c’est-à-dire, la majeure partie des dirigeants du monde.
 
Malgré l’avertissement du secrétaire général [des Nations unies] selon qui (3), « les accusations mutuelles ne sont pas le but de cette conférence, notre objectif majeur doit être d’améliorer le sort des victimes », la conférence fit exactement le contraire. Le quatrième jour de la conférence, les Etats-Unis et Israël s’en allèrent.
 
Sous le titre Rapport sur la Conférence Mondiale contre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance y Afférant, Durban, 31 août – 8 septembre 2001, le rapport final de la conférence exprimait sa préoccupation pour « le sort du peuple palestinien sous occupation étrangère ». Le reste du paragraphe portait (4):  « Nous reconnaissons le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et à la création d’un État indépendant, nous reconnaissons le droit à la sécurité pour tous les Etats de la région, y compris Israël, et appelons tous les Etats à soutenir le processus de paix et à l’amener à une prompte conclusion. » 
 
Même si l’on pouvait arguer que ce langage n’avait rien de répréhensible en soi, les représentants européens à la conférence firent remarquer, à juste titre, qu’il n’avait rein à voir avec une conférence sur le racisme et l’intolérance.
Dans la même veine, le rapport final reconnaissait (5) « le droit des réfugiés à retourner volontairement dans leurs foyers et leurs biens avec dignité et en sécurité, et encourageait tous les Etats à faciliter ce retour. »
 
Pour ses partisans, ce texte signifiait une seule chose et rien d’autre. Le représentant iranien le dit clairement : (6) « Le droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leur patrie. »
 
On peut se demander de quelle manière ce souci pour le sort des réfugiés s’appliquait au Soudan, au Kenya, au Rwanda, au Zimbabwe, et également à la Tchétchénie, au Tibet et partout dans le monde où des gens ont été déplacés. Mais il eût fallu un degré d’honnêteté et de droiture qui firent défaut la plupart du temps à Durban.
 
A la fin de la conférence, le représentant canadien déclara :
« Le Canada est encore là aujourd’hui, parce que nous avons voulu faire entendre notre dénonciation des tentatives, faites, durant cette Conférence, pour délégitimer l’Etat d’Israël – allusion à l’appel au retour des réfugiés -, et pour déshonorer l’histoire et la souffrance du peuple juif. Nous croyons, et nous l’avons dit dans les termes les plus clairs, qu’il était inapproprié – injuste – de s’occuper du conflit palestino-israélien dans ce forum. »
Il avait déclaré auparavant que les propos de la conférence sur les réfugiés (7) « touchaient au cœur même de la légitimité d’Israël ».  
 
Mais les choses ne se limitent pas à cela. On aurait tort de résumer Durban par le label d’"antisémitisme", ou celui d’"anti-Israël". La Conférence de Durban a été beaucoup plus nuancée et ramifiée. La représentation du Mystère de la Passion a eu lieu au Forum des ONG précédant la conférence. Elle était antisémite et anti-israélienne du début à la fin. Elle a également, de manière irresponsable, violente et sans scrupule imputé à la mondialisation la responsabilité de l’injustice économique, politique et sociale qui frappe, de nos jours, les pauvres et les défavorisés d’Afrique.
 
L’anti-mondialisation a affecté la conférence elle-même, au même titre que la condamnation de l’esclavage et du commerce des esclaves. "L’esclavage transatlantique" – entendez : les Etats-Unis – a été mentionné comme un crime social monstrueux – ce qu’il était, en effet – alors que le commerce arabe des esclaves ne fut pas mentionné. De même aussi, le colonialisme fut accusé d’être la principale cause de racisme et de discrimination contre les Africains et les gens d’origine africaine. L’apartheid, le génocide et toute une liste d’autres maux, depuis l’épidémie de SIDA jusqu’à la violation des droits des peuples indigènes, et jusqu’à la discrimination envers Rome, furent condamnés de la même manière.
 
D’une certaine manière, Durban fut "l’époque de la vengeance" africaine. En gros, Durban donnait la parole à l’Afrique noire, sous l’égide de la République d’Afrique du Sud. Toutefois, fut absente de Durban quelque reconnaissance que ce soit des maux que l’Afrique s’est infligés à elle-même depuis la fin du colonialisme, et qu’elle continue à infliger à son peuple sept ans après Durban, comme en ont témoigné les violentes agressions contre des immigrants/réfugiés à Johannesburg, au printemps 2008.
 
Une question encore plus fondamentale est de savoir si la revanche est toujours une récompense appropriée ou équitable. Une chose est de dédommager des Juifs qui ont été dans des camps de concentration nazis ou dont les biens ont été confisqués, ou les enfants des Juifs tués par les nazis parce qu’ils étaient Juifs. Le trafic d’esclaves a disparu il y a plus de sept générations. Qui va payer et à qui ira la compensation ? De plus, les gens qui vivent en Afrique aujourd’hui – et c’est la voix de l’Afrique qui s’est exprimée à la conférence – ne sont pas tous descendants d’esclaves, mais de personnes restées en Afrique et qui, s’ils étaient esclaves, l’étaient de leurs compatriotes africains.
 
Sous plusieurs angles importants, Durban a été une occasion perdue pour le combat contre le racisme. Comme l’avait dit le secrétaire général Annan, dans son discours d’ouverture (8), « les accusations mutuelles ne sont pas le but de cette conférence, notre objectif majeur doit être d’améliorer le sort des victimes ».
 
 Il est regrettable que l’on n’ait pas prêté attention à son message. Comme cela se produit souvent dans les réunions des Nations unies, les cinquante-six pays islamiques réussirent à éviter l’accusation de leurs crimes incessants contre les femmes, les minorités religieuses et les opposants politiques, tandis qu’ils passaient Israël au pinceau raciste. "Sionisme égale racisme", la condamnation adoptée par l’Assemblée Générale des Nations unies, en 1975, et annulée en 1991, reprit vie à Durban. Les pays européens et quelques autres, notamment le Guatemala, émoussèrent la formulation la plus extrême exigée par l’Iran et les pays arabes, mais acceptèrent finalement de montrer Israël du doigt dans une formulation plus modérée et équilibrée, pour proclamer que "la conférence avait été un succès".
 
Des positions rendues rationnelles
 
Une autre partie de Durban doit être examinée. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été fortement réaffirmée. Tous les Etats ont été appelés à contrer l’antisémitisme, et il y a eu la déclaration selon laquelle l’Holocauste ne devait jamais être oublié.
 
Pour une grande partie du monde musulman, ces déclarations furent le prix payé aux Européens et à d’autres pays qui étaient dans les mêmes dispositions d’esprit, en échange de leur accord sur les formules concernant Israël et les réfugiés. Chaque partie trouva des raisons à sa position en invoquant les compromis nécessaires au succès de la conférence. A Durban, les deux parties bénéficiaient à l’Afrique, située au milieu et qui dirigeait la conférence, avec l’intention d’atteindre son but d’une déclaration mondiale condamnant le racisme. Ce qui fut réalisé. Mais dans quel but ? Le racisme a-t-il pris fin ? La réponse est clairement non. A-t-il diminué de manière significative ? Il serait difficile à quiconque d’opiner avec beaucoup de conviction.
 
Les porte-parole iranien et arabe allèrent plus loin encore. Ils expliquèrent que la culpabilité pour l’Holocauste incombait à l’Europe, non à l’islam, et que la plupart des Sémites étaient arabes, pas juifs. Telle était, dirent-ils la véritable raison de la condamnation de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Les deux étaient indissociables dans la déclaration de Durban.
 
Il est probable que l’Union européenne attende
 
Durban II sera-t-il une résurgence de Durban I ? Et comment répondre à ce grief légitime sans retomber dans une rhétorique, plus vide encore, d’accusations mutuelles, et dénuée de tout progrès réel concernant la théorie du racisme ?
Les pays européens participeront-ils à Durban II. Le Canada a déjà répondu par la négative. Les Etats-Unis et Israël semblent prendre la même direction, mais leurs président et Premier ministre respectifs pourraient bien laisser la décision à leurs successeurs. 
 
Fidèle à son passé, l’Union européenne reste indécise. Les fortes critiques de la France, du Royaume Uni et des Pays-Bas n’ont pas mené à une décision formelle de l’Union européenne. Le président Nicolas Sarkozy a fait la déclaration publique la plus courageuse dans une allocution au dîner du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), en février 2008 [1]. Après avoir attendu les résultats de la première Conférence Préparatoire, terminée à ce jour, il est probable que l’Union Européenne attende encore, dans l’espoir de persuader la conférence de ne pas accéder aux exigences islamiques menaçantes de mesures de censure des caricatures du Prophète Mohammed et d’autres faits perçus comme des offenses [par les musulmans], que l’Union Européenne considère, à juste titre comme une atteinte à la liberté d’expression. S’opposer au bâillonnement la presse ne signifie pas qu’on approuve de telles représentations graphiques.
 
Toutefois, le problème de la liberté d’expression comme opposée à la "défense de l’islam" n’est plus d’actualité. La question est de savoir ce qui peut être fait pour empêcher Durban II de devenir ce que Tom Lantos décrivait comme « une manifestation éhontée de haine des Juifs » et un renouvellement de la focalisation sur Israël, en tant que coupable, et sur le peuple palestinien en tant que victime. Après la question « Que devons-nous faire ? », vient l’autre question : « Que pouvons-nous faire ? ».
 
Trois aspects de Durban doivent être examinés : l’antisémitisme, les tentatives visant à délégitimer Israël, et la manière de répondre aux revendications légitimes de manière à ce que les Juifs et Israël ne soient pas mis en position d’accusés, ou, pour le dire autrement, ne se retrouvent pas du mauvais côté de l’histoire, y compris de celle qui est encore à écrire.
 
Combattre pour rester différent
 
Commençons par l’antisémitisme. Pourquoi, deux générations après l’Holocauste et soixante ans après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de René Cassin, l’antisémitisme semble-t-il proliférer ?
Comment expliquer que les Protocoles des Sages de Sion, un faux tsariste qui remonte à 105 ans, soient devenus la lecture favorite de la famille royale saoudienne, et qu’ils fassent l’objet d’une série télévisée égyptienne durant le Ramadan ? 
 
Dans l’intérêt de l’exactitude historique, nous devons reconnaître que l’antisémitisme n’a pas commencé dans l’Europe du XIXe siècle. En vérité, la révolte des Maccabées contre l’hellénisation forcée fut une bataille culturelle, et la révolte contre Rome, une guerre d’indépendance. De tels conflits se sont produits tout au long de l’histoire de l’humanité. Ils ne sont pas l’apanage des Juifs. Mais les choses ont changé avec la dispersion des Juifs.
 
Après l’expulsion de ce qui devint plus tard la Palestine, les Juifs n’avaient plus de territoire à défendre. La Terre d’Israël était seulement un point de référence d’où les Juifs étaient partis et auquel ils aspiraient à revenir. Jusqu’à ce jour, une grande partie du rituel de prière parle du retour à Sion et de la reconstruction des murs de Jérusalem.  
 
Après la dispersion, l’antisémitisme fut majoritairement un phénomène chrétien – bien qu’il fût loin d’être inconnu dans le monde musulman – souvent attisé par des dirigeants politiques et ecclésiastiques guidés par leurs propres objectifs. Interprétations scripturaires conflictuelles, accusations de déicide, et la tendance humaine à avoir peur et à se méfier de gens d’appartenance ethnique, de religion, de culture et de langue différentes, contribuaient à cette hostilité. Les Juifs étaient les boucs émissaires qu’on rendait responsables de tout, depuis la peste bubonique – les Juifs étant accusés de causer la Peste noire en empoisonnant les puits -, jusqu’aux défaites militaires. Ce fut la première salve de Hitler.
 
La tragédie de l’Holocauste fut encore plus indescriptible. Son fondement n’était ni territorial ni religieux, mais reposait sur une haine primaire uniquement basée sur la race. Sans souscrire à la thèse de La banalité du mal, de Hanna Arendt, il y a, en effet, quelque chose de banal dans les accusations raciales à l’encontre d’un peuple de la même race. Que ce soit banal ou non, six millions de Juifs sont morts. Les nazis ont réussi à déshumaniser le Juif, décrit comme un animal prédateur, un reptile, ou un insecte venimeux.
 
Aujourd’hui, après plus de soixante ans, l’antisémitisme est-il destiné à survivre, sous quelque forme que ce soit ? Dans des commentaires formulés devant une audience majoritairement juive, à Washington DC, en novembre 2007, le président Sarkozy affirma que l’antisémitisme ne pouvait être expliqué. Il est inexplicable, dit-il, et, par définition, l’inexplicable ne peut être expliqué. Je suis en désaccord, non avec la logique du propos, mais avec sa forme. Expliquer n’est pas excuser. L’antisémitisme ne peut jamais être excusé. L’expliquer, comme je viens d’essayer de le faire en très peu de mots, est une obligation qui nous incombe en tant que Juifs.
 
Les Juifs ont aussi l’obligation de ne pas s’estimer responsables de l’antisémitisme. Quelque gênante que puisse être, pour les antisémites, notre présence individuelle ou collective, cacher ou diminuer nos différences ne devrait pas être la réponse. Par exemple, me dit-on, dans les années 1930, l’American Jewish Committee recommanda aux Juifs de ne pas lire des journaux en yiddish dans le métro de New York, pour ne pas attirer l’attention sur eux en tant que Juifs. J’étais un jeune garçon à l’époque, mais j’espère que si j’avais été plus âgé, j’aurais dit exactement le contraire : Les Juifs auraient dû lire des journaux en yiddish dans le métro, même s’ils étaient incapables de lire ou de comprendre le yiddish. Cacher nos différences signifie que nous renonçons à notre judéité. C’est une oblitération de soi, non une acceptation.
 
Tant que nous garderons notre spécificité, nous ne serons pas considérés comme faisant partie des nations, ce qui est une manière élégante de dire que nous ne disparaîtrons pas. Et tant que nous garderons notre spécificité, il est vraisemblable qu’il y aura de l’antisémitisme, sous une forme ou sous une autre. La spécificité suscite des détracteurs. Cela ne changera pas. Notre spécificité devrait être considérée comme un attribut positif, dont dépend notre survie en tant que peuple.
 
Tout en luttant pour maintenir notre spécificité, nous devons, en même temps, être absolument fermes dans notre lutte contre l’antisémitisme d’où et à chaque fois qu’il se manifeste. L’antisémitisme qui s’est manifesté à Durban ne doit pas se répéter. Il n’a sa place nulle part, et certainement pas dans la reprise d’une conférence pour combattre le racisme et l’intolérance. Ce message doit être exprimé énergiquement, pas seulement à nos amis d’Europe et d’ailleurs, mais aussi aux principaux sponsors africains de la conférence, qui ont le plus grand intérêt pour le résultat du processus de Durban.
 
Le même message doit être envoyé au monde musulman. Durban a lié antisémitisme et islamophobie. Durban a attiré l’attention « sur l’émergence d’actes et de mouvements violemment racistes basés sur des concepts raciaux et diffamatoires, à l’encontre des communautés juives, musulmanes et arabes. » (9). Nous devons leur rappeler que l’intolérance nourrit l’intolérance. Si le monde veut dépasser sa pitoyable situation actuelle, c’est un lieu excellent pour commencer.
 
Les Palestiniens devront se doter de dirigeants responsables
 
Qu’en est-il d’Israël ? Le problème est-il seulement territorial ? Le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif démocratique est-il seulement une question de frontières, ou, depuis l’émergence d’un extrémisme islamique, n’est-il pas devenu quelque chose de plus : une guerre de religions, incluant un impératif moral qui ne tolère pas de compromis et encore moins de compromis territorial ?
 
En adoptant la solution à deux Etats, le gouvernement d’Israël a déjà offert un compromis. Il y a vingt ans, Yitzhak Rabin m’a dit qu’il y avait trois choses qu’aucun gouvernement israélien n’accepterait jamais : 1) la reconnaissance de l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine] ; 2) la création d’un Etat palestinien indépendant en Judée et en Samarie ; 3) une présence militaire arabe dans les territoires. Ces trois choses ont été depuis offertes par quatre Premiers ministres israéliens, de Yitzhak Rabin à Ehud Olmert. Il incombe dorénavant, sans conteste, au peuple palestinien de se doter de dirigeants responsables et efficaces et de trouver la manière de créer les institutions qui leur sont nécessaires pour gouverner leur existence. Tant qu’ils ont les yeux rivés sur Tel Aviv et non sur Ramallah, Jenine et Naplouse, la paix n’est pas probable.  
 
Le processus de paix dans toutes ses parties est fondamentalement un problème israélo-palestinien. Les Juifs, toutefois, ont une responsabilité dans la manière dont Israël est perçu dans les pays où ils vivent, où que ce soit dans le monde. Il ne peut y avoir de compromis sur la question fondamentale de la légitimité d’Israël et, en fin de compte, sur sa sécurité.
 
Associer Israël au racisme, comme ce fut le cas à Durban, est une évidente tentative, faite par ses ennemis, de délégitimer Israël et finalement de miner sa sécurité. Sur ce point nous devons être parfaitement clairs. Bien qu’il n’y ait pas lieu de chercher de la logique là où l’on ne peut en trouver, il reste qu’Israël est le seul pays au monde, qui, en moins de deux décennies, a tendu et ouvert les bras pour faire venir d’Ethiopie sur son territoire cent mille Africains, et il consacre aujourd’hui de grosses sommes d’argent pour aider ces immigrants à faire partie de la société israélienne dans son ensemble.
 
Le conflit israélo-palestinien n’a rien à voir avec la race et ne mérite pas ce dénigrement. Si les Arabes et les Juifs sont des Sémites, comme les ennemis d’Israël l’ont prétendu à Durban, le conflit israélo-palestinien ne peut porter sur la race. Les affirmations contraires doivent être présentées pour ce qu’elles sont : des mensonges sans consistance.
 
Particularisme et universalisme
 
C’est une étrange équation que celle-ci. Pour les ennemis d’Israël, Israël = Juif = Occident = chrétienté/laïcité = anti-islamisme. Ce n’est une formule raisonnable pour personne, Africain, Asiatique, ou Occidental.
 
Quand les Juifs parlent de l’antisémitisme et d’Israël, ils parlent de leur particularisme, mais l’universalisme fait également partie de leur tradition. La foi en un Dieu unique oblige à une vision universelle des choses. On a appris aux Juifs, il y a trois mille ans, qu’il ne doit y avoir qu’une seule loi pour l’étranger et pour le citoyen de naissance [2]. La justice sociale a toujours fait partie de leur tradition. Beaucoup de jeunes Juifs américains d’aujourd’hui parlent davantage de "tikkun olam" (amélioration du monde) que de "Shema Israel" (l’invocation liturgique : Ecoute, Israël). On entend plus souvent parler de l’universel que du particulier. Ce n’est pas le choix de tous, mais c’est le choix que font de plus en plus de jeunes Américains.
 
Il est important que les Juifs comprennent les griefs légitimes des autres, comme ils ont été exprimés à Durban par des pays africains. Céder ce terrain aux pays islamiques serait une tragédie de dimensions historiques pour nous autres Juifs. Ce que nous récolterons en échange de notre réaction positive ne sera vraisemblablement pas de la gratitude. C’est rarement le cas. Mais la récompense consiste à savoir qu’on a agi quand des appels à la justice ont retenti.
J’ai toujours eu une aversion pour l’aphorisme de Hillel – « Si je ne suis pas pour moi, qui sera pour moi ? Si je ne suis pas pour d’autres, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, quand ? ». Cela fait trop ingénieux, trop posture morale. Mais, alors que je me tiens devant vous aujourd’hui, il m’est difficile de trouver des mots qui expriment mieux à la fois le particulier et l’universel dans notre tradition. 
 
Pour conclure, passons du plan moral au terrain pratique. Nous ne pouvons rien contre le fait que ceux qui veulent détruire Israël se posent en champions de la cause antiraciste dans le monde. Il nous faut rappeler aux gens que ce sont deux Juifs sud-africains, Helen Suzman et Harry Schwarz, qui ont eu le courage de parler haut en faveur de Nelson Mandela, et de lui rendre visite en prison. Il nous faut également rappeler au monde que nous avons vêtu les pauvres et nourri les affamés, non par pitié, mais par souci de justice. Tout aussi inébranlable que notre amour d’Israël est notre conviction que la véritable noblesse consiste à aider les autres.  
 
Appel à l’action
 
Y a-t-il un appel à l’action de notre part ? La réponse est un oui catégorique.
 
Premier point : Qu’il n’y ait pas de réitérations des effluves empoisonnés d’antisémitisme qui furent émis à la veille de Durban. Si nous ne sommes pas pour nous, qui le sera ?
 
Deuxième point : Qu’il n’y ait pas de lien entre le conflit israélo-palestinien et le racisme. Le conflit israélo-palestinien a de nombreuses facettes, mais la race n’en fait pas partie. Ce n’est pas à cause du conflit entre Israël et la Palestine que l’immigrant africain se voit interdire l’accès à l’Europe. Ce n’est pas à cause du conflit entre Israël et la Palestine que la femme africaine meurt du SIDA. Ce n’est pas à cause du conflit entre Israël et la Palestine que l’enfant affamé se voit refuser de la nourriture. La réponse ne consiste pas à chercher une formulation équilibrée pour décrire le conflit israélo-palestinien, comme le pensent certains pays amis, elle consiste à ne pas recourir à nouveau, lors de Durban II, à ce lien insidieux, directement ou par référence rétroactive.
 
Les points 1 et 2 sont pour nous des lignes rouges et devraient l’être pour les ONG qui pensent de même, et pour tous les pays qui sont décidés à dépolitiser l’exercice des droits humains par les Nations Unies.
 
Troisième point : Le racisme est la traduction exponentielle de la spécificité. Il est de notre intérêt, en tant que Juifs, de savoir prendre la température du racisme. Une température élevée est mauvaise pour nous et pour le reste du monde. Helen Suzman le savait instinctivement quand elle vint rendre visite à Mandela en prison. De même aussi Abraham Joshua Heschel quand il marcha, bras dessus, bras dessous, avec Martin Luther King à Selma, en Alabama. Ne soyons pas embarrassés de dire aux officiels d’Afrique et d’ailleurs que cela reste notre appel.
 
Notes :
* Allocution de l’Ambassadeur Alfred H. Moses, Président de UN Watch, à la conférence du Jewish International Leadership, intitulée "Que faire concernant Durban II", à Genève (Suisse), le 27 Mai 2008. 
(1) Tom Lantos, "The Durban Debacle: An Insider’s View of the World Racism Conference at Durban" [La débâcle de Durban: Point de vue d’un initié sur la Conférence Mondiale sur le Racisme], Fletcher Forum of World Affairs, Vol. 26, No. 1 (2002). [Document en format pdf.]
(2) Déclaration de son Excellence Madame Nkosazana Dlamini Zuma, Ministre des Affaires étrangères de la République d’Afrique du Sud et Présidente of la Conférence Mondiale contre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance y Afférant, Rapport de la Conférence Mondiale contre le Racisme, la Discrimination Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance y Afférant, Durban, 31 août - 8 septembre 2001, UNGA A/CONF. 189/12, 25 janvier 2002, document au format pdf (N0221543.pdf), 172. 
(3) Déclaration de M. Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, in Report of the World Conference, 150. 
(4) Report of the World Conference, General Issues No. 63, 18. 
(5) Report of the World Conference, General Issues No. 65, 18. 
(6) Report of the World Conference, General Issues No. 65, 126. 
(7) Report of the World Conference, General Issues No. 65, 119-20. 
(8) Déclaration de M. Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, in Report of the World Conference, 150.
[9) Report of the World Conference, General Issues No. 61, 18. 
 
 Notes du traducteur :
[1] Voir "President Sarkozy: France to «disengage» from UN’s Durban II racism conference if abuses recur".  
[2] cf. Exode 12, 49.
 
L’Ambassadeur Alfred H. Moses est président de UN Watch, Genève (Suisse). De 1991 à 1994, il a été président de l’American Jewish Committee. Il a occupé la fonction de Conseiller Spécial et de Conseiller Spécial du Président des Etats-Unis, sous Jimmy Carter. En 1994, le Président Clinton l’a nommé Ambassadeur des Etats-Unis en Roumanie, poste qu’il a occupé durant trois ans. En 1999, le Président Clinton l’a nommé Représentant Présidentiel Spécial pour le conflit chypriote. Il est resté en poste jusqu’à la fin de l’administration Clinton. Durant plus de cinquante ans, il a fait partie du cabinet juridique Covington & Burling LLP, de Washington, DC. Il est aujourd’hui co-fondateur et Directeur des Opérations du Groupe Promontory Financial, de Washington, DC.
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