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Publié le 30 Janvier 2015

Diner du CRIF Rhône-Alpes : discours de Nicole Bornstein, Présidente régionale

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Lyon, jeudi 29 janvier 2012
Monsieur le Ministre,
En tout premier lieu, laissez-moi vous adresser tous mes remerciements, tous nos remerciements
- d’abord d’être parmi nous ce soir, malgré les obligations qui vous incombent et un emploi du temps que vous avez accepté d’adapter avec une entorse au protocole... pour nous honorer de votre présence !
- en second lieu, au nom de tous nos invités, au nom de tous nos amis présents ce soir, tous mes remerciements pour la formidable gestion dont vous avez fait preuve lors des évènements tragiques qui se sont succédés du 7 au 9 janvier 2015.
Malheureusement il y a eu des morts…17…et aussi des blessés.
Dés le soir du 7 janvier, la France entière s’est levée dans un élan spontané de solidarité et le dimanche 11 janvier en fut l’acmé avec plus de 3 millions de nos concitoyens dans les rues.
Aux côtés du Président de la république et du Premier ministre, ensemble, vous avez su fédérer les responsables politiques et institutionnels de tout bord, autour de la république et de ses valeurs, et rassembler des chefs d’états et de gouvernements de tous horizons qui souhaitaient montrer à la France leur solidarité et leur soutien.
Enfin , très rapidement, en ces circonstances ,vous avez décidé de la  mise en place de mesures exceptionnelles de protection des citoyens en particulier de confession juive et musulmane, mesures destinées à garantir leur sécurité et à les rassurer.
J’en profite ici pour remercier Monsieur Carinco préfet de région, Mr Doutre Directeur de la police et Mr le Gouverneur général de la place de Lyon pour le déploiement de leurs équipes. Je tiens également à remercier, en notre nom, tous ceux, hommes et femmes, qui actuellement nous protègent, devant nos lieux sensibles, 24h sur 24.
Monsieur le Ministre, avant la survenue de ces terribles journées, à vrai dire depuis la fin décembre, je réfléchissais à la teneur du discours que j’allais vous adresser !
Oui ,tentation de se taire, car nous n’avions plus rien à dire, ou du moins ,plus rien de nouveau à dire, car depuis tant d’années, tout avait été dit de différentes façons, par différents orateurs plus ou moins brillants, plus ou moins virulents, plus ou moins convaincants, mais en tous cas,  tous convaincus de la justesse de leurs propos !
Après ces trois horribles journées de janvier 2015, j’ai réfléchi et  finalement décidé de vous parler comme à un ami pour vous faire part de mon ressenti et en fait, de celui que nous partageons quasiment tous, nous, Juifs de France !
Au soir du 9 janvier tristesse et amertume nous submergent… !
Cette amertume ne date pas du 9 janvier, jour de l’attentat de l’épicerie casher,
Ne date pas du 8 janvier, jour du meurtre, de dos, de la jeune policière,
Ne date pas du 7 janvier, jour de la tuerie de Charlie hebdo,
Ne date pas du vote de la France à l’ONU, vote d’une résolution mettant implicitement unilatéralement Israël en accusation dans l’arrêt du processus de paix avec les Palestiniens
Cette amertume ne date pas non plus du résultat des votes au parlement invitant à la même injonction,
Elle ne date pas non plus de l’agression d’une famille jusqu’au viol d’une jeune femme à Créteil, en décembre dernier,
ni des défilés incessants de cet été, défilés pleins de slogans haineux, défilés dans lesquels certains élus arboraient leur écharpe tricolore, jusqu’à la mise en berne, pour les seules victimes palestiniennes, dans un arrondissement du centre de Lyon, du drapeau tricolore au fronton de la mairie,
ni des défilés de Sarcelle qui avaient généré l’attaque de synagogues et la destruction de magasins parce qu’appartenant à des Juifs
Non, notre amertume ne date pas non plus de mai 2014, après le massacre au musée Juif de Bruxelles par un jeune Français islamiste,
Ni encore de janvier 2014, avec les mots « non les Juifs la France n’est pas à toi » ou « mort aux Juifs »
Elle ne date pas non plus des quenelles, ni des spectacles antisémites -révisionniste d’un pseudo humoriste….
Non, cette amertume nous l’avions déjà en 2012, après les assassinats de Montauban et Toulouse, et aussi en 2006, avant même l’assassinat d’Ilan Alimi…La France s’était-elle levée à l’époque ?
Monsieur le Ministre, cette amertume est en fait très ancienne.
Dés 2002 dans le contexte d’une flambée de violences antisémites sur fond d’antisionisme déjà explicite dans le discours adressé ici même par A.Jaku à Mr N.Sarkosi alors Ministre de l’Intérieur.
Je cite «  nous avons, en ces moments d’épouvante, attendu un réel sursaut d’indignation de la communauté nationale comme nous l’avions connu en 1990 au lendemain de la profanation du cimetière de Carpentras… Mais ce sursaut n’est pas venu ; alors les Juifs de France se sont sentis salis, lâchés, exclus… » 
Monsieur le Ministre, si des Juifs de France ont des racines profondes en France, et j’en suis, beaucoup sont les descendants plus ou moins lointains de Juifs qui ont choisi de rejoindre la France pour ses valeurs : une France rêvée, non imaginaire, la France de Voltaire, des lumières, la France des droits de l’homme, la France de la devise « liberté, égalité, fraternité », la France accueillante, tolérante, la France quasi messianique, thème souvent développé dans les sermons de nos rabbins du 19iè siècle.
Or aujourd’hui, les Juifs de France  ont le sentiment qu’au fil de ces dernières années cette France-là, celle où ils se sentaient en sécurité, leur file entre les doigts… !
Les derniers chiffres  officiels qui répertorient les actes de racisme et d’antisémitisme  sont tombés et montrent qu’en 2014 les actes antisémites ont doublé.
51% des actes racistes répertoriés sont des actes antisémites, alors que les Juifs de France représentent moins de 1% de la population française !!
De colère étouffée en amertume accumulée, d’incompréhensions en injustices répétées, les Juifs de France ont peur et certains, de guerre lasse, choisissent de quitter la France ou songent à la quitter, ce pays, leur pays tant aimé, celui pour lequel ils se sont battus ! 5000 l’an dernier, 7000 cette année rien qu’à destination d’Israël… !  Et combien l’an prochain ?
Amertume !
Dés les jours suivants ce sinistre 7 janvier, à la radio, sur les chaines télévisées et dans la presse écrite, journalistes, sociologues, anthropologues, éducateurs, philosophes, écrivains, personnalités politiques et j’en passe y sont allés de leurs analyses et commentaires sur l’islamisme radical, le djihadisme, le terrorisme, la déliquescence de l’éducation nationale, la laïcité, le rôle d’internet et des réseaux sociaux, l’impact des prédicateurs, les chaînes émettrices du golf, les zones de non-droit, les territoires perdus de la république...
Des yeux se sont ouverts, des consciences se sont réveillées !
Enfin !
Tout cela n’avait il pas été dit et répété, année après année, ici même, lors de nos dîners annuels ou à Paris ?
Même si  personne n’est obligé d’écouter le CRIF, cet abominable lobby communautaire, de surcroit sioniste, pourquoi avoir mis sous le tapis les multiples rapports, livres, documentaires décrivant tous les ingrédients qui ont participé à l’éclosion des événements de cette sinistre semaine… Haine des Juifs, de la démocratie, d’Israël, de l’occident, de tout ce qui est appelé système et que l’on retrouve dans la théorie du complot.
Une partie de notre intelligentsia a théorisé cette haine et à force de l’expliquer en est venue à l’excuser, puis de l’excuser à parfois l’épouser….
Ceux qui ont osé tirer la sonnette d’alarme ont été la cible de cette mouvance idéologique.
Des insultes, des anathèmes ont été proférés et le terme de néo- réactionnaire a été inventé et a même fait la une d’un magasine. On a mis dans le même sac un philosophe humaniste avec des fascisants !
En cette soirée du 7 janvier, je me demande si les morts de Charlie hebdo n’auraient pas pu être évités si nous n’avions pas eu à souffrir de cette maladie de la pensée occultant à l’envi la réalité, mélangeant un angélisme béat à un activisme pervers…
Je pense à tout cela le 7 janvier au soir d’autant que sur les ondes et les plateaux télévisés beaucoup de ceux de cette bien-pensance pleuraient leurs amis assassinés.
Puis ce sont les journées du 8 et du 9 janvier, avec leur lot de terreur et de morts.
Des caricaturistes célèbres, des policiers en plein exercice, des Juifs anonymes… unis dans un même destin tragique,  cibles tristement révélatrices des symboles que ces terroristes veulent atteindre pour soumettre nos sociétés démocratiques :
La république, la liberté d’expression, et le droit à la différence et au vivre ensemble représenté par les Juifs.
Quel sera le 4ème symbole visé ?
Et voilà ce fameux jour du 11 janvier, puissante ode silencieuse à la liberté d’expression, à la laïcité et à la police, à la république française et à ses valeurs.
Il y aurait nous dit-on un avant, un après. Je préfère parler de maintenant ! Maintenant,
-Assez de la bien-pensance faite de bienveillance envers tous ceux que l’on veut désigner comme « mal insérés, faibles, victimes de la crise, de l’histoire ou de leur histoire …
 Les dérives de violence en tout genre et d’antisémitisme ou de racisme « anti tout ce qui n’est pas soi » ne doivent plus être considérées comme résultantes naturelles d’un contexte environnemental hostile, en quelque sorte un péché véniel, comme cela a été trop souvent le cas dans le passé. Mais évidemment, cela ne signifie pas que, pour autant, les difficultés économiques ne doivent pas être prises en compte, bien au contraire !!
- assez du déni, de la difficulté à nommer les choses, à utiliser les mots justes.
Ainsi, cet après-midi du 11 janvier, lorsque les représentants du club de la presse n’ont pas souhaité me voir défiler à leurs côtés, en tête de cortège, ma pancarte « je suis Charlie, je suis juive, je suis policier, je suis française » pendue à mon cou ! de leur point de vue, marcher sous la bannière de la liberté d’expression suffisait pour marquer ces trois journées ! Non ces victimes, victimes parce que juives n’étaient pas collatérales.
Comme celles de la presse, elles étaient au centre de la cible djihadiste.
Et disons-le, dans les jours qui suivirent le 9 janvier, nous avons senti, comme un malaise dans certains médias, comme une gêne à dire les faits dans leur vérité crue. L’attentat de l’hypercasher n’était pas une simple prise d’otages, mais bien un massacre de Juifs parce que Juifs !
Qu’il me soit permis, amis journalistes, de vous citer Camus : « à mal nommer les choses on aggrave le malheur du monde ! »
La pente du déni va être difficile à remonter quand on se rend compte du nombre de classes où des incidents ont émaillé la minute de silence, quand, selon un sondage récent du CSA, on apprend qu’1français sur 5 croit à la théorie du complot !
-Bien nommer les choses, c’est accepter, bien que ce soit difficile, que l’Islamisme radical, le salafisme le djihadisme qui viennent du proche et du Moyen-Orient ont trouvé en France un relai important.
Selon certaines analyses, 40% des actuels candidats au djihad ne viendraient ni des banlieues, ni de l’immigration, ce qui contredit les théories du déterminisme social... !
La guerre qui est faite là-bas contre les mécréants, les Musulmans non Islamistes, contre les Chrétiens en Irak et en Syrie, contre les Israéliens, se prolonge ici et pour ce faire, recrute des « armes humaines »  d’ici. Le mode opératoire est le même. Mêmes armes, mêmes cibles : les journalistes, les libres penseurs, les écoliers et écolières, et les représentants de l’occident et de ses valeurs, les minorités, les femmes, les Juifs…
L’Islamisme radical est le même. Le tueur est le même, passant d’une cible à l’autre.
-Bien nommer les choses ne peut qu’aider ceux de nos amis musulmans attachés aux valeurs républicaines à se démarquer de l’agissement criminel des islamo- fascistes.
Victimes là bas, ces Musulmans sont victimes ici de la confusion induite par le déni et ils subissent actuellement une inquiétante augmentation des actes racistes à leur encontre, actes que nous condamnons ici fermement.
Il y a eu ces dernières années une tendance à mettre dos à dos en les enfermant dans deux communautés, juive et musulmane.
Rappelons- le, nous ne sommes pas ennemis, nous avons trop de choses en commun. Nos traditions sont proches, et  notre foi est née dans les mêmes déserts.
-Bien nommer les choses aidera, j’en suis persuadée, à clouer le bec de ceux qui ne rêvent que d’une mythique France gauloise ! 

Car n'oublions pas que nous avons des ennemis communs, islamisme radical et extrême droite gardienne de la bête immonde, qui dans une même détestation du système peuvent  donner la main à l'extrême gauche pour une ronde diabolique.
A bien nommer les choses, c’est aussi dire que la permanente diabolisation d’Israël nous est insupportable.
Bien sûr Israël n’est pas un pays où coulent le lait et le miel, ni un pays habité et gouverné par des anges… Mais c’est tout simplement, comme la France, un pays démocratique, la seule démocratie dans cette région du monde, avec ses valeurs et ses problèmes, et qui plus est, un pays sur lequel le monde entier a, en permanence, les yeux rivés !
C’est un pays en guerre,  depuis le jour de sa naissance, il y a 68 ans, et qui lutte pour son existence, pire pour sa survie ! Et c’est ce que, nous Juifs de France, défendons.
Dans une guerre rien n’est simple.
Des victimes innocentes tombent ! Et malheureusement des enfants !
Mais jamais on a vu dans les rues de Tel-Aviv ou de Jérusalem des scènes de liesse célébrant ces morts, bien au contraire !
Nous sommes étonnés que l’antiisraéalisme ait pu trouver  tant de relais dans certaines franges de la classe politique et que même, certains l’utilisent comme une sorte de viatique à des fins électoralistes.
Défiler aux côtés de ceux qui veulent reconnaître aux Palestiniens le droit à avoir leur propre pays oui,  mais défiler main dans la main avec ceux qui brandissent les drapeaux du djihad islamique et de Daesch est bien différent, nous ne pouvons l’interdire à personne, mais appelons chacun à prendre ses responsabilités et à se garder de ses propres incohérences.
Quand l’antiisraélisme devient un sujet sur lequel se fait l’unité d’un parti, quand autour d’Israël les morts se comptent par centaines de milliers, quand les décapitations et les flagellations se pratiquent aux vues et au su du monde et que c’est contre Israël et uniquement contre Israël que l’on défile, alors on peut affirmer qu’Israël est devenu le bouc émissaire  sur lequel  les violences des uns et les hypocrisies des autres fraternisent.
Aussi, sommes-nous ulcérés par les incessantes opérations de boycott dans tous les domaines y compris le domaine culturel, pour l’usage frauduleux de qualificatifs connotés péjorativement comme colonie, apartheid, racisme… Cette diabolisation, même si certains dirigeants français s’en défendent, est un cautionnement moral aux attaques antijuives.
A bien nommer les choses m’amène à m’adresser à la presse et à ses représentants ici présents.
Mes propos ont pu parfois faire penser que je m’en prenais à la presse.
Il n’en est rien, bien au contraire !
Vous avez subi un dommage sans précédent, irréparable même si d’autres talents succèderont à ces artistes!
Votre métier est difficile. On ne compte plus le nombre d’entre vous, de tous horizons, de toutes origines, hommes, femmes, qui sont tombés au champ d’honneur du reportage de terrain.
Vous êtes la respiration nécessaire de la démocratie.
Nous savons vos difficultés à être indépendants de vos propres passions, à résister aux pressions du scoop, de l’audimat, de l’immédiateté et des erreurs qui peuvent en résulter…
Parfois, des haines peuvent s’abreuver aux visions trop simplistes, au manichéisme ; parfois des vies peuvent en dépendre.
Votre responsabilité est lourde, mais c’est tout l’honneur de votre profession !
Alors maintenant…
Sachez Monsieur le Ministre que nous avons pris acte de toutes les mesures significatives que le gouvernement nous a annoncé ces derniers jours  dans les domaines de la sécurité, du renseignement, de l’éducation nationale, de la laïcité, sans oublier celui de la justice avec la publication et la préparation de nouvelles lois pour faciliter la lutte contre le terrorisme, l’antisémitisme et le racisme , et empêcher que la propagation de haine perdure via les réseaux  sociaux et par exemple via un prétendu humoriste…. qui parcourt inlassablement la France et la Navarre…
Mais, permettez-nous  de nous inquiéter de l’ampleur de la tâche…abyssale… et des difficultés pratiques pour leur mise en œuvre !!
Néanmoins, je ne veux pas manquer de profiter de votre présence ce soir, pour adresser encore tous nos remerciements au Président de la République François Hollande et à  son Premier ministre Manuel Valls pour leurs paroles et pour avoir pris à bras le corps toute la problématique qui se pose aujourd’hui à notre société et en particulier aux Français juifs.
… Espérons que cette fois les moyens déployés seront pleinement à la hauteur de ces paroles prononcées et des mesures envisagées, que ces mesures  continueront de s’appliquer dans la concertation, au-delà de tous  les clivages politiques, au sein des écoles, des universités, des entreprises, des familles et  tout cela ,dans les plus courts délais, car on est dans l’urgence !
Monsieur le Ministre, nous sommes tous sur le même bateau !!
Les Juifs de France veulent rester debout aux côtés de tous leurs concitoyens pour  lutter, résister à tous ceux qui veulent détruire la France telle que nous l’aimons, mais entendez tout de même qu’ils sont fatigués… fatigués d’avoir peur, fatigués aussi de devoir se battre pour que leurs enfants, malgré tout, ne  perdent ni patience ni confiance en leur avenir…
Souhaitons tous ensemble que nous puissions très bientôt dire à nouveau « heureux comme un Juif en France »…
Je vous remercie.

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