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Publié le 25 Juillet 2014

Discours de Madame Émilie Louault, prononcé le dimanche 20 juillet 2014 à Tours

La première fois que j’ai pris connaissance de l’histoire de François et Ernest, j’avais une quinzaine d’années.

Avec deux cousines de mon âge, nous étudiions la Seconde Guerre mondiale au collège. Tout naturellement, nous nous sommes empressées d’aller voir notre grand-mère Jeanne, âgée de plus de 80 ans, pour qu’elle nous raconte ses souvenirs. C’était une grande chance pour nous de pouvoir recueillir son témoignage, qui portait essentiellement sur la vie quotidienne à cette époque.

Et puis un jour, elle nous a donné timidement quelques feuillets remplis de son écriture. Ce qu’elle n’avait pas vraiment réussi à dire, elle nous l’avait écrit.

Au début de l’année 1942, mes grands-parents sont cultivateurs et font face à un travail quotidien difficile à gérer. La main-d’œuvre manque et les bons chevaux de travail ont été réquisitionnés. Ma grand-mère a tout juste trente ans et déjà quatre jeunes enfants dont il faut s’occuper. Sans compter les quelques vaches à traire matin et soir.

Alors, lorsqu’on leur demande s’ils peuvent héberger deux jeunes Juifs allemands âgés de 17 et 19 ans, ils n’hésitent pas longtemps, eux qui ont déjà pris l’habitude d’ouvrir leur porte aux réfugiés qui fuyaient sur les routes.

Mes grands-parents pensent qu’il faut faire quelque chose pour ces jeunes garçons, et que par leur travail François et Ernest rendraient aussi de grands services.

Pendant près de deux ans, ils ont vécu à Norçay, un hameau de Chédigny, avec mes grands-parents et leur famille, considérés comme leurs enfants. François travaillait avec Bernard, mon grand-père, tandis qu’Ernest avait été embauché pour aider une voisine.

Ce fut un havre de paix pour eux qui avaient subi tant d’épreuves auparavant : leur père était mort dès 1938 en camp de concentration, où il avait été déporté pendant la nuit de Cristal. À l’école, ils avaient subi les humiliations infligées aux enfants juifs : croix jaune sur leur blouse d’écolier, coups et brimades de toutes sortes.

Mais un matin, François et Ernest ont été arrêtés suite à des dénonciations. Ayant réussi à s’enfuir, ils se sont engagés dans le maquis où ils ont combattu jusqu’en mai 1945.

Après la fin de la guerre, ils sont revenus voir mes grands-parents et ont toujours gardé de forts liens avec eux.

En 2002, pour ses 90 ans, ma grand-mère Jeanne a été honorée du titre de « Juste parmi les Nations », ainsi que mon grand-père Bernard à titre posthume, étant décédé au début des années 80. Elle n’a jamais trop compris pourquoi elle recevait tous ces honneurs et en était même gênée. Inlassablement, elle aimait à dire qu’avec Bernard ils n’avaient rien fait d’extraordinaire et que tant d’autres personnes en avaient fait autant sans être récompensées.

La dernière phrase de son récit écrit est de François, prononcée une des rares fois où ils ont reparlé de cette époque :

« Je me souviens que chaque fois que j’ai été en difficulté, j’ai trouvé des personnes au grand cœur qui m’ont aidé. Ce sont ces souvenirs-là qu’il faut garder ».