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Publié le 11 Octobre 2017

#Entretien #Crif - Le psychiatre et philosophe Viktor Frankl, rescapé des camps et la conception spiritualiste de l’être humain : notion de "Dieu inconscient" et résilience

Entretien entre Marc Knobel et Georges-Elia Sarfati, Professeur des universités, linguiste, traducteur et philosophe. Directeur de l’Ecole française d’analyse et de thérapie existentielles (logothérapie) V. Frankl.

Marc Knobel : Dans un récent article paru dans Le Figaro, il est question de l’activité thérapeutique que vous développez en France à partir de la méthode de Viktor Frankl. Pouvez-vous nous dire qui est V. Frankl ?

Georges-Elia Sarfati : V. Frankl est un psychiatre et philosophe né à Vienne en 1905 et décédé dans la même ville en 1997. Nous commémorons cette année le vingtième anniversaire de sa disparition. Frankl a d’abord été proche de Freud, puis d’Adler, avant de fonder sa propre conception thérapeutique, la ‘’logothérapie’’. Dans les années 30, à Vienne, Frankl a développé des consultations de médecine sociale, notamment en milieu étudiant, où le suicide était fréquent. En pleine crise économique, les jeunes gens avaient la perception traumatique d’un avenir bouché. L’absence de perspective était un facteur évident de désespoir. Frankl a appelé ce mal de l’époque ‘’la névrose du chômeur’’, analogue de la ‘’névrose du dimanche’’, que connaissent inversement celles et ceux qui se trouvent désœuvrés en dehors des contraintes professionnelles… Il a alors compris qu’il y avait lieu de concevoir une autre orientation psychologique pour traiter ce mal de vivre extrêmement destructeur, mais qui n’avait sa place dans aucune nosographie. Au bout d’une année d’activité dans les différents centres de conseil ouverts, grâce à son initiative, dans les principales villes d’Autriche, le taux de suicide avait chuté de plusieurs centaines à zéro…   

Mais l’histoire de Viktor Frankl est aussi, comme des millions de Juifs de sa génération, celle d’une victime du nazisme, puisqu’il a été déporté avec ses parents et sa première épouse. Ses parents sont morts au camp de Theresienstadt, sa femme à Auschwitz, et lui-même est un rescapé. Après la guerre, il est revenu à Vienne, où il a exercé pendant plus d’un demi-siècle : d’abord auprès d’un public marqué par les traumatismes de la déportation, puis auprès d’un public de plus en plus large, adultes et jeunes gens. Frankl a été directeur de la clinique neurologique de Vienne. A côté de son activité thérapeutique inlassable, qui a renouvelé la compréhension et le traitement de la souffrance, il est l’auteur d’une œuvre écrite considérable, largement traduite dans toutes les langues, y compris en Hébreu depuis la fin des années soixante… Il était peu connu en France, bien que la méthode thérapeutique dont il est le fondateur existe depuis l’entre-deux guerres, et qu’elle soit fortement représentée, notamment dans la plupart des pays européens, aux USA, en Amérique latine, et en Israël. Si certaines personnes connaissent Frankl en France, c’est notamment grâce à son premier ouvrage, récemment republié, le plus couramment lu, qui est l’un des livres les plus significatifs sur les leçons humaines de l’expérience concentrationnaire. Pour ma part, je m’efforce de rendre accessible en traduction française certains de ses livres importants car Frankl a été méconnu en France jusqu’à une date très récente. Il a développé une conception spiritualiste de l’être humain, et parle d’autre part du ‘Dieu inconscient’’, notion qui désigne chez lui l’absolu personnel, qu’il importe à chacune et à chacun de connaître pour affirmer son projet de vie. Il fonde sa clinique de la résilience sur le concept d’inconscient spirituel, qui redéfinit en extension le concept d’inconscient pulsionnel défini par Freud. Pour des raisons historiques qui lui sont propres, la conception française de la laïcité fait mauvais ménage avec ce qui, de près ou de loin, peut évoquer la chose spirituelle, inévitablement confondue ou associée avec le thème religieux. Une première traduction du Dieu inconscient de Frankl, dans les années soixante-dix, s’était heurtée à une fin de non-recevoir. Mais force est d’admettre que ce refus reposait sur un profond malentendu, puisque la spiritualité ne se confond pas nécessairement avec la référence religieuse. D’autre part, il faut bien avouer que le champ thérapeutique a longtemps souffert de l’hégémonie presque sans partage d’une certaine psychiatrie, et d’une certaine psychanalyse. Elle doit aujourd’hui s’affronter aux modèles expérimentaux, que Frankl, et pour cause, qualifie de modèles réductionnistes, puisqu’ils réduisent l’être humain à l’ensemble de ses déterminismes, en ignorant la dimension proprement personnelle, c’est-à-dire spirituelle des individus.

Comment pourrait-on définir l’apport de V. Frankl ?

GES : V. Frankl est le fondateur de l’Analyse existentielle et de la Logothérapie. Le second terme est plus couramment employé que le premier, sans doute par commodité. Pourtant, il s’agit de les distinguer, puisqu’ils désignent deux versants distincts mais complémentaires de sa pensée. L’Analyse existentielle représente le versant philosophique de la logothérapie qui constitue, à proprement parler, le versant clinique. L’Analyse existentielle pose avant tout une certaine conception de la condition humaine, qui est d’un côté, déterminée par la ‘’triade tragique’’ (la finitude, la souffrance et la culpabilité), et d’un autre, par des aspects positifs, tels que la conscience, la liberté, la responsabilité. A cela s’ajoute une théorie très originale de la motivation humaine. Pour Frankl, l’être humain se caractérise d’abord par le fait qu’il est en quête de sens, ou, pour dire les choses autrement, en quête de raisons de vivre. La recherche du sens prime le principe de plaisir (Freud), ou le principe de puissance (Adler). Partant de là, Frankl décrit l’existence comme une dynamique spirituelle : En tant que telle, l’existence est sensée, tant qu’elle repose sur des valeurs authentiques, assumées comme telles. Mais il faut préciser que la pratique de l’analyse existentielle s’appuie principalement sur le dialogue, compris comme moyen de reconnaissance de l’altérité du patient, et permettant de le faire advenir à sa vérité. Pour Frankl le sens de la vie est indissociable de la notion de valeurs, puisqu’il développe une conception existentielle du sens, qui l’amène d’abord à réfléchir à ce qu’il appelle les ‘’sources du sens’’. Il isole ainsi trois sources de sens, qui correspondent en fait à trois groupes de valeurs. D’une part, ce qu’il qualifie de valeurs d’expérience : l’amour, la nature, la culture ; d’autre part, ce qu’il appelle les valeurs de créativité : le travail, l’engagement pour une cause, la réalisation d’une œuvre ; enfin, ce qu’il nomme les valeurs d’attitude, lesquelles désignent tout particulièrement la manière dont l’être humain soumis à une épreuve existentielle fait positivement face à sa souffrance… Afin que l’apport de Frankl ne reste pas lettres mortes, j’ai fondé l’Ecole française d’analyse et de thérapie existentielles (logothérapie) - affiliée à l’Institut V. Frankl de Vienne- pour assurer la formation des analystes existentielles et des logothérapeutes de langue française. Les formations se conçoivent par groupes restreints, de manière à privilégier une transmission personnalisée. L’enseignement que nous dispensons s’adresse à toute personne désireuse de venir en aide aux autres en se familiarisant avec cette discipline bienfaisante.

Les conceptions de Frankl me paraissent bien différente de celles auxquelles nous sommes habitués en psychologie, elle est par ailleurs très en phase avec l’état actuel de nos sociétés !

GES : C’est justement cela qui fait l’originalité de V. Frankl. Avec l’analyse existentielle, nous quittons définitivement le cadre de la conception psychosomatique de l’être humain, pour nous ouvrir à une troisième dimension, celle que Frankl nomme la dimension noétique –c’est-à-dire spirituelle- qui est selon lui la dimension spécifiquement humaine. C’est une perspective unique dans le champ thérapeutique, psychologique ou médical, puisque selon Frankl l’esprit demeure en toute circonstances la partie saine de la personnalité, et c’est à l’esprit du sujet (non à son seul psychisme) que s’adresse le thérapeute. Il en déduit une conception inédite de la souffrance. En effet, pour Frankl, toute souffrance n’est pas nécessairement une maladie. Souffrir est inhérent à la condition humaine, et la première forme de la souffrance est d’ordre existentiel… Nous pouvons souffrir d’un changement de vie, ou de cadre de vie, nous pouvons souffrir d’un travail qui ne nous apporte pas de satisfaction, ou bien souffrir d’un conflit, d’un dilemme moral, ou encore d’une séparation, d’un divorce, ou d’une disparition. Mais aucune de ces épreuves de l’existence n’est à proprement parler une pathologie. En revanche, une souffrance existentielle est toujours susceptible d’enlever une part de la valeur que nous accordons à notre vie. A plus forte raison, un évènement traumatique ou une maladie sérieuse entraîne-t-ils souvent une crise existentielle, qui peut être grave. Cette crise se traduit le plus souvent comme une perte de sens, c’est-à-dire un affaiblissement de notre système de valeurs : la vie nous paraît absurde, le monde insensé, tout nous paraît terne, etc. Frankl a donné le nom de souffrance noogène (c’est-à-dire spirituelle) à cet état de ‘’vide existentiel’’. Il faut ici comprendre que le vide existentiel est la conséquence directe d’une perte d’investissement spirituel. La perte de sens est inextricablement liée à une perte de repères. Comme nous le comprenons, la souffrance humaine fondamentale est donc une souffrance morale. Frankl a retrouvé un enseignement fondamental de la Bible : « l’homme ne vit pas que de pain »… L’être humain ne se trouve pas seulement justifié à ses propres yeux dès lors qu’il a satisfait ses besoins fondamentaux, il a aussi des aspirations spirituelles, qui si elles demeurent sans réponse peuvent provoquer de véritables maladies… Le sujet cherchera à combler le vide existentiel par des conduites addictives, des nouvelles formes de dépression ou de violence, des atteintes psychosomatiques… Comme vous le voyez, Frankl va à l’essentiel : bien qu’il soit médecin, psychiatre et psychanalyste, il ne développe pas de conception psychopathologique de l’être humain, mais une conception philosophique qui renouvelle ‘’l’image de l’homme’’ dans le contexte médical. Là réside son génie…

A sa manière, Frankl est en effet un penseur de la modernité tardive, de la modernité post-industrielle. Dès après la défaite du IIIè Reich, il a décrit la ‘’névrose noogène’’ comme ‘’la névrose collective de notre temps’’. Avec les deux totalitarismes, le nazisme et le stalinisme, avec la menace nucléaire, avec le développement de la société de consommation, et la crise de l’économie et du travail, Frankl a diagnostiqué un phénomène de désymbolisation, qui est à l’origine de l’égarement, et des formes d’anomie contemporaines. Il observe que le ‘’vide existentiel’’ s’est emparé de larges fractions de la société, et constate que cela est souvent consécutif à l’effondrement des traditions, mais aussi à la crise de la transmission. La souffrance existentielle des individus est le symptôme d’une forme inédite du ‘’malaise dans la civilisation’’ diagnostiqué par Freud dans les années 20 du XXè siècle. A travers la description de cette forme atypique de la souffrance psychique, Frankl pose plus généralement le problème de la définition même du projet de société… La logothérapie intéresse par conséquent tous les secteurs de la vie sociale, pas uniquement le domaine de la clinique. Tout dépend donc ce que l’on entend par ‘’thérapie’’. Pour les thérapeutes judéo-alexandrins de l’Antiquité, la notion de thérapie désigne à la fois le traitement de la souffrance et le fait de relier le patient à plus grand que soi. La logothérapie ne procède pas autrement : la délimitation de la souffrance ou la compréhension d’un problème sont un préalable au dépassement de soi. Aujourd’hui, il est certes important d’en faire bénéficier le secteur médical et psycho-médical, toutes orientations confondues : médecins généralistes, psychiatres et neurologues, psychologues cliniciens, psychanalystes, thérapeutes de toute obédience, infirmier(e)s, etc., mais il est tout aussi important de familiariser tout autre acteur social en charge du lien et de la relation, avec ses principales notions : les éducateurs et les pédagogues, aussi bien que les praticiens du travail social, ou encore les juristes, les acteurs du monde économique et ceux du monde du travail. Le spectre d’intervention est proportionnel à l’importance de la question du sens, qui est une question commune à toutes les pratiques sociales. Sans ouvrir un grand débat philosophique, je rappellerai seulement que V. Frankl a été fortement influencé par la philosophie du dialogue de Martin Buber : Je et Tu. La relation authentique est par elle-même thérapeutique, puisqu’elle constitue un facteur de reconnaissance, et par voie de conséquence de réhumanisation.

Revenons à l’initiative dont la presse commence de parler. Comment avez-vous introduit la méthode de V. Frankl dans le contexte hospitalier, et comment pratiquez-vous cette méthode auprès des patientes ?

GES : J’étais soucieux d’implanter l’analyse existentielle et la logothérapie au meilleur niveau, dans le contexte hospitalier, étant donné les précédents remarquables que leur application a connu notamment au Japon et aux USA, dans la clinique du traumatisme psychique ainsi qu’en oncologie. Parmi les interlocuteurs les plus réceptifs, il s’est avéré que le Dr Alain Tolédano s’est vite montré très curieux, et n’a pas tardé à donner son feu vert. Nous abordons maintenant la troisième année d’activité au sein de l’Hôpital Hartmann (Neuilly s/Seine), où se sont développés des groupes de parole avec des patientes atteintes d’un cancer. Grâce à ma collègue Isabelle Delattre, ce projet a pris forme. La rencontre s’est faite sur l’essentiel : Pour V. Frankl, il importe avant tout de reconnaître l’homo patiens (la personne souffrante) dans son intégrité et sa dignité, puisque nous entrons d’abord en relation avec une personne, avant d’entrer en lien avec un(e) patient(e). Or le Dr Tolédano plaide pour le développement d’une médecine personnalisée, et l’Institut Raphaël –autre nom de la Maison de l’après cancer- par l’impulsion qu’il lui a donnée repose sur ce postulat éthique. Nous avons donc conçu plusieurs groupes de parole. Nous parlons volontiers de ‘’logogroupes’’, parce qu’il s’agit avant tout de centrer les échanges sur une vaste diversité de thèmes significatifs. Les rencontres ont lieu une fois par semaine, et durent environ deux heures. Au terme d’un premier tour de parole, où nous prenons connaissance de la situation de chaque personne, nous abordons des questions qui touchent avant tout à l’organisation de la vie quotidienne, aux centres d’intérêts, au système relationnel de chacun(e), aux évènements caractéristiques de l’histoire familiale, à la manière d’envisager l’avenir (ce qui ne va pas d’emblée de soi). Le premier effet, assez rapide, de ces rencontres, c’est de sortir de l’isolement social et affectif, qui est souvent le lot des personnes souffrantes. Des liens de solidarité et de sympathie s’établissement au fur et à mesure des sessions, tandis que grâce à ces interactions constantes, peu à peu se pose la question ducaractère qualitatif des choix de vie. Cette transformation n’est jamais longue à se traduire bien souvent par de véritables changements : des prises de conscience ont lieu, des projets longtemps imaginés se concrétisent, le plaisir de vivre une vie sensée, devient une priorité. Pratiquement, la parole thérapeutique libère souvent d’années de silence, elle introduit unenécessaire clarification dans l’existence de chaque participant. Cela tient essentiellement au fait que chaque patient explicite ses priorités, conscientise les valeurs qui lui tiennent à cœur, et décide de continuer à vivre, sans plus céder sur son désir. Corrélativement, les atteintes de la maladie sont atténuées, et à minima l’état clinique se stabilise. La recherche du sens est un processus des plus concrets, qui passe par des phénomènes souvent élémentaires, qui inversent la progression de la maladie. La leçon qu’il faut en tirer est simple : la logothérapie pose la question du sens de nos actes, et du bien fondé de nos choix, de leurs conséquences éthiques, aussi bien pour nous-mêmes que pour les autres. Si nos actes font corps avec de véritables valeurs, nos perspectives existentielles nous portent, ce qui est, du point de vue immunitaire, un facteur de bonne santé mentale et physique… Tout cela vérifie l’hypothèse de Frankl, hypothèse selon laquelle il est possible de faire barrage à la souffrance en affirmant ce qu’il appelle des ‘’orientations de sens’’. Bien entendu, nous rendons régulièrement compte des résultats obtenus dans des publications scientifiques.

Dans une correspondance personnelle que nous avons eue au sujet de V. Frankl, vous me disiez qu’une meilleure connaissance de sa pensée pourrait constituer un apport précieux pour la communauté juive de notre pays. Pourquoi ?

GES : Bien avant que j’y apporte ma modeste contribution, deux personnalités spirituelles aussi différentes que le Rabbin Léo Baeck –compagnon de déportation de V. Frankl à Theresienstadt- et le Rabbin Schneerson, ont considéré que la logothérapie de V. Frankl était la méthode thérapeutique la plus proche de l’esprit du judaïsme.  Que recouvre cette appréciation ? Elle indique tout simplement, que du fait de la place centrale qu’elle accorde aux valeurs d’existence, et, plus précisément à l’idée de sens de l’existence, la méthode de Frankl rejoint l’intuition biblique fondamentale selon laquelle chaque personne possède une vocation à accomplir. Mais il y a plus encore : dans son commentaire du Livre des Proverbes, le Gaon de Vilna dit que le libre arbitre a été donné à l’homme pour qu’il fasse un bon usage de son mazal. Nos sociétés sont saturées par les idéologies déterministes de toute sorte… Or V. Frankl avec sa critique du déterminisme systématique ne dit pas autre chose : Nous sommes libres, mais même sous le poids de la souffrance –et quelle plus grande impression de fatalité que celle que nous inspire la souffrance ?-  il nous est possible d’affirmer un choix digne. Dans cette perspective, l’on peut affirmer sans grand risque d’erreur, que quiconque accorde de l’importance à l’idée de vie spirituelle, tirera la même conclusion ; à savoir que la logothérapie est incontestablement reliée à la source de vie, que ses perspectives dérivent de et mènent vers l’Arbre de vie. La communauté juive connaît des formes de pauvreté, y compris de misère morale, il y a des familles divisées, des personnes malades et isolées, etc. Les perspectives de la logothérapie peuvent changer bien des choses si elles étaient mieux connues, davantage diffusées chez les différents professionnels de la relation d’aide. Je n’oublie pas les personnes emprisonnées, sujet souvent tabou : La logothérapie permet de penser l’avenir dans des termes constructifs, etc. C’est en cela que réside l’humanisme fondamental de Frankl, un humanisme dans lequel peuvent se reconnaître non seulement les Juifs, mais quiconque est habité par le souci spirituel, religieux ou pas. Par-delà la communauté juive de France, les idées de Frankl parlent évidemment à toute personne pour laquelle l’idée que la sagesse guérit possède une signification. Il me semble que l’analyse existentielle rejoint sur bien des points la compréhension monothéiste de la vie, comprise comme projet sensé, régi par l’exigence de solidarité. L’idée que chaque être humain a été créé pour faire ‘’rayonner la gloire de Dieu en ce monde’’, l’enseignement primordial des Proverbes selon lequel la meilleure manière de ne pas ‘’commettre le mal’’ (c’est-à-dire d’affirmer des contre-valeurs), c’est de ‘’faire le bien’’ (c’est-à-dire d’affirmer d’authentiques valeurs de vie) se trouve intuitivement au cœur de la pensée de Frankl. J’y vois, pour ma part, une version sécularisée de la médecine spirituelle (refoua’t hanefesh), et de l’impératif de l’action réparatrice (tikkum olam). En l’occurrence, la bonne volonté et la compétence des praticiens qui se reconnaissent dans le judaïsme, comme l’implication des responsables communautaires, décideurs et éducateurs-  se trouveraient fortifiées par la connaissance de cette pensée.

 Georges-Elia Sarfati est également Professeur de pensée et de philosophie juive à l’Institut Elie Wiesel (Paris). Voir le site suivant : www.efrate.org