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Publié le 10 Juillet 2012

Grand entretien avec Richard Prasquier : « ne pas mettre dans le même sac islamophobie et antisémitisme »

Entre l’arrivée du nouveau gouvernement français, une vague d’antisémitisme d’envergure qui dure depuis le mois de mars et des élections au CRIF qui approchent, le Président de cette organisation, Richard Prasquier, a accepté de répondre à nos questions. Entre justesse d’analyse et discours sans langue de bois, il a profité de cette tribune pour remettre quelques points sur les « i ».

Il n’y a jamais eu d’attaque contre les mosquées et de violence (ndlr : par des juifs) : cela se passe toujours dans un seul sens. Il faut en être conscient !

Richard Prasquier, vous avez rencontré, jeudi 5 juillet en fin d’après-midi, le Président français François Hollande. Que vous êtes-vous dit pendant ce rendez-vous ?

 

Je lui ai fait part de notre inquiétude – le terme est faible – à la suite de l’explosion des actes antisémites qui sont survenus après l’attentat de Toulouse (ndlr : Mohamed Merah), et dont les derniers événements sont ceux de Villeurbanne et du train Toulouse-Lyon. Comme cet événement est survenu le jour de notre entretien, nous en avons évidemment beaucoup parlé. A cet effet, François Hollande avait fait venir tout exprès le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

 

Est-ce que des promesses ont été faites ou des actions mises en œuvre par François Hollande et son gouvernement ?

 

Vous comprenez bien qu’avez des événements aussi complexes et qui durent depuis aussi longtemps, ce n’est pas un claquement de doigts qui va changer la situation. Ce qui va changer les choses, c’est une sérieuse prise de conscience de ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux et un refus de complaisance de ces actes, de ses auteurs et de l’idéologie qui les anime. Là, je crois que nous pouvons avoir tout à fait confiance dans cette prise de conscience de la part du Président de la République et du ministre de l’Intérieur.

 

Quelles sont les pistes à explorer ?

 

Il y a de nombreuses pistes à exploiter et l’éducation est un point central de ces priorités. C’est un travail de longue haleine. Ceci dit, le versant répression n’est pas suffisant, mais est indispensable, le versant éducation est à long terme, le versant prise de conscience – par la communauté nationale tout entière, je parle aussi bien des médias – est extrêmement important.

 

A quel point estimez-vous les médias coupables de cet antisémitisme ?

 

Je n’ai pas utilisé le mot coupable, je dis simplement que, lorsque je vois le dossier publié par le Nouvel Observateur jeudi 5 juillet, c’est un dossier qui tranche fondamentalement avec tout ce que nous avions l’habitude de voir. C’est un dossier qui pose les problèmes et je rends hommage aux journalistes qui ont effectué ce dossier. Pour la première fois, les choses ont été dites. Le témoignage du professeur d’histoire-géographie dans une zone sensible, Yannis Roder, est tout à fait éclairant. Cela fait des années qu’il tire la sonnette d’alarme et j’espère que cette fois-ci, ce sera entendu !

 

Pensez-vous que les médias, à travers de mauvaises informations, des insinuations, une certaine désinformation parfois, sont également coupables de ce qui se passe en France ? Pensez-vous qu’ils peuvent comprendre et accepter leur part d’erreur ?

 

Je préfère ne pas utiliser le terme de coupable ou non coupable qui ne fait qu’aggraver, par rejet, la situation. J’aimerais me concentrer sur la « prise de conscience ». Si cette dernière ne se fait pas, les conséquences sur la pérennité de la vie juive en France seront très importantes.

 

Vous aviez déclaré à JSSNews la semaine dernière, et vous avez été repris par Jonathan Hayoun de l’UEJF, vouloir faire de l’antisémitisme une « grande cause nationale ». Avez-vous fait cette proposition au Président François Hollande ?

 

Oui, nous en avons parlé. Il y a déjà un comité interministériel sur l’antisémitisme qui a été mis en place il y a quelques années, mais qui n’a jamais effectivement fonctionné. Il pourrait aujourd’hui être le lieu d’élaboration des projets qui permettront de mieux s’organiser contre le développement de ce fléau dont nous savons qu’il est devenu de plus en plus important chez certains jeunes appartenant à la communauté arabo-musulmane en France. C’est un travail qui doit être fait dans le cadre des pouvoirs publics et il est hors de question que les faits survenus récemment soient considérés comme des conflits intercommunautaires comme certains voudraient nous le faire croire. Lorsque Mme Benbassa dit que « d’un côté il y a des Musulmans qui n’aiment pas les Juifs et que je l’autre côté il y a des Juifs qui n’aiment pas les Musulmans », elle est tout à fait à côté de la plaque. Il n’y a jamais eu d’attaque contre les mosquées et de violence (ndlr : par des juifs) : cela se passe toujours dans un seul sens. Il faut en être conscient ! Je suis là à constamment répéter qu’il ne faut pas installer d’islamophobie, mais je ne mets sûrement pas l’islamophobie et l’antisémitisme dans le même camp : ce sont deux choses complètement différentes. C’est là justement tout le problème, traiter les choses pour ce qu’elles sont et de non pas les idéologiser.

 

Il y a de ce côté, selon de nombreux observateurs, un souci majeur : on dit que la vaste majorité des musulmans n’ont rien contre les juifs, mais on ne les entend jamais ! Ne pensez-vous pas que la communauté musulmane devrait en prendre conscience ?

 

Ce sont des choses dont nous parlons avec les responsables musulmans et il y a là beaucoup de réflexion à avoir. Le problème est aussi de savoir qui et quoi influence les jeunes qui sont sur cette voie de radicalisation. Et ce n’est pas une question à réponse facile. Ainsi, il n’est pas dit que les paroles de tel ou tel responsable musulman auront une influence, même s’il est important que nous entendions ces paroles.

 

Vous aviez, pendant la campagne électorale, apporté votre soutien à Nicolas Sarkozy avant de…

Je ne vais pas reprendre sur ce sujet que je considère comme clos. Je n’ai pas apporté mon soutien à qui que ce soit, je l’ai répété à multiples reprises et je vous invite à lire mon article (ndlr : paru dans le Haaretz, d’où est partie la polémique). J’ai simplement dit mon souci, dans un gouvernement qui ferait suite à l’élection de François Hollande, de l’arrivée possible dans le gouvernement des gens de l’extrême gauche et des Verts, qui se sont toujours trouvés en tête de la lutte contre Israël. Heureusement, je constate que ce n’est pas le cas.

 

Justement, quelle est aujourd’hui votre opinion sur les premiers pas du gouvernement Hollande, tant sur le traitement de l’antisémitisme que sur ce qui se passe au Proche-Orient.

 

Sur l’antisémitisme, nous avons eu des discours extrêmement clairs et fermes et sur lesquels il n’y a rien à redire. Tout de suite après l’élection, le discours de Manuel Valls au dîner du CRIF de Marseille a été d’une remarquable clarté : il a dit des choses que nous n’avions pas été habitués à entendre et tout ce que je vois aujourd’hui est sur la même ligne. François Hollande a été très empathique et à l’écoute de ce que je lui disais, et je n’ai aucun doute sur sa volonté d’éradiquer l’antisémitisme. Simplement, il ne faut pas croire que c’est quelque chose de facile : le gouvernement précédent n’avait également aucune intention de développer cet antisémitisme, bien loin de là ! Il y a des pesanteurs au sein de notre société et il faut les affronter.

 

Et à propos de la politique extérieure de la France : comment évoluent les choses depuis l’arrivée de Laurent Fabius au Quai d’Orsay ?

 

Depuis l’arrivée du gouvernement socialiste, dans les grandes lignes nous n’avons pas vu de changement essentiel. Laurent Fabius s’est exprimé à plusieurs reprises dans l’intention de poser la solidité et la fermeté de la position française vis-à-vis de l’Iran, un sujet essentiel. Nous attendons à présent de voir la lucidité des positions françaises à propos de ce que l’on appelle le « printemps arabe ». D’autres éléments ont suscité l’émotion, comme lors de la prise de position de la France lors du récent vote à l’UNESCO sur la Basilique de la Nativité de Bethléem. Il ne s’agit pas là d’un bouleversement politique majeur, mais il faut y être attentif parce que tout ce qui est actuellement en train de se mijoter visant à lutter contre la légitimité ou la légalité – comme le disent certains – de l’Etat d’Israël a des répercussions sur ce qui se passe en France. Mais dans une certaine mesure, la situation de l’antisémitisme en France est en train de se déconnecter de ce qui se passe au Proche-Orient. L’antisémitisme s’est autonomisé, organisé, ce qui est un élément de gravité supplémentaire.

 

Dans moins d’un an, il y a aura des élections au CRIF. Vous avez personnellement été attaqué lourdement par Serge Hajdenberg, dans ses éditos radio, pendant deux semaines consécutives. Il s’en prenait à votre bilan et à vos relations avec d’autres responsables communautaires, des relations tumultueuses selon lui. Qu’avez-vous à lui répondre ?

 

RP : L’assemblée générale du CRIF a voté une motion de soutien envers moi. Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais plus de 80 voix ont voté pour mon soutien, il y a eu deux ou trois abstentions et Serge Hajdenberg est le seul à avoir voté contre. Cet homme est isolé. Il représente lui-même une espèce de condensé de haine qui lui appartient, et dont les motifs ne m’appartiennent pas, mais qui sont d’une très grande profondeur. C’est un très grand acharnement. Tout ce qu’il dit ce sont des mensonges. Cette histoire est complètement derrière moi. Je pense que Serge Hajdenberg s’est, choisissez le terme entre « ridiculisé » et « déshonoré ». Je suis heureux du soutien que j’ai obtenu et je continuerai de mener à bien ma tâche en compagnie de tous ceux qui travaillent au sein du CRIF, ou aux côtés du CRIF, et qui n’ont qu’un seul objectif : le renforcement de la communauté juive de France et le soutien clair à Israël. Ce sera mon travail jusqu’au dernier jour de mon mandat et je suis certain que mon successeur reprendra mon travail dans la même voie.

 

Malheureusement pour les juifs de France, vous ne pourrez d’ailleurs pas vous représenter pour un troisième mandat…

 

Je vous remercie de votre commentaire qui ne représente pas celui de mon épouse !

 

A n’en pas douter… Mais dites-moi, quelles sont les qualités que devra avoir le prochain Président du CRIF ? Quels sont les outils dont il aura besoin pour réussir son mandat ?

 

Cela m’est très difficile à dire, car je ne veux pas m’utiliser comme exemple ; j’ai mes qualités et mes défauts et celui qui viendra après moi n’aura peut-être pas toutes mes qualités et tous mes défauts. Chacun impulse sa propre personnalité. Il faut évidemment connaître la communauté, c’est un travail du quotidien qui ne laisse pas la place à autre chose – cela demande une disponibilité extrêmement importante et un attachement sans faille à la cause qui nous relie tous. Il faut aussi une volonté et une capacité à intervenir au sein de la société civile et politique française, la France étant notre pays !

 

 

http://jssnews.com/2012/07/08/grand-entretien-avec-richard-prasquier-ne-pas-mettre-dans-le-meme-sac-islamophobie-et-antisemitisme/