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Publié le 9 Juillet 2013

Hommage à Serge Benattar

Alors que le Yorzheit, les prières marquant la deuxième année de la disparition de Serge Shimon Benattar (za'l), fondateur de l’hebdomadaire « Actualité Juive », ont eu lieu le mercredi 3 juillet 2013, 25 Tamouz, son épouse Lydia Benattar a accepté de revenir sans langue de bois sur les épreuves surmontées depuis sa disparition. Entretien en toute simplicité avec la directrice et rédactrice en chef du journal de la communauté juive de France. 

Actualité Juive : Depuis deux ans,vous dirigez seule l’hebdomadaire Actualité Juive dont vous êtes la directrice de publication et la rédactrice en chef. Le journalisme est-il une découverte ?  

 

Lydia Benattar : Pour répondre à votre question concernant mon expérience au sein de la communauté juive de France et dans le journalisme depuis près de trente-cinq ans, il est nécessaire de revenir au début de mon histoire au côté de celui qui deviendra mon époux, Serge.  

 

Il faut préciser que nous avons toujours été le binôme inséparable que vous connaissez tous. Et notre militantisme n’est plus à démontrer depuis trois décennies dans la communauté. D’abord chacun de notre côté. Serge a ainsi créé avec d’autres l’antenne du Bné Akiva de Toulouse et fréquentait le mouvement Orly de la rue Basfroi. J’ai moi-même été louvette aux EI et le souvenir du Quarantième reste mémorable. 

 

« Nous étions deux, mais nous ne faisions qu’un »

 

C’est en Israël que nos routes se sont croisées, lui le juif pratiquant originaire d’Oran et moi de famille ashkénaze à 100 % d’origine polonaise assimilée et française. Le miracle a eu lieu dans une auberge de jeunesse en Israël, devant d’un feu de camp. Serge jouait de la guitare et je suis devenue sa groupie. Imaginez la révolution dans nos familles!

 

Depuis, notre engagement communautaire a été multiple, du côté de mon mari comme du mien. C’est en 1979 que nous avons créé l’ancêtre d’Actualité Juive, le journal «Aleph », une expérience qui a quand même duré presque deux ans et a été écourtée faute de moyens à notre grand désespoir. Entre-temps, nous avons eu trois enfants qui étaient scolarisés en écoles juives et aient fréquenté différents mouvements de jeunesse, l’un de nos fils a même fait l’armée en Israël.

 

« Ce Journal, fondé par Serge, représente l’aventure de notre vie »

 

Ce parcours avec la communauté a conduit Serge à créer Actualité Juive à mon insu, certes, car j’y entrevoyais de nouvelles difficultés, même si l’expérience d’Aleph m’avait à demi convaincue. Un mois après, mon mari m’a demandé de l’aider et j’ai accepté, pour un court moment lui avais-je précisé.

 

C’était inimaginable le travail que nous devions réaliser et pourtant à nous deux, nous faisions tout : le secrétariat, la distribution, les articles et j’en passe. Et comme on dit de manière triviale, « la mayonnaise a pris » et la communauté a formaté Actualité Juive selon les besoins de l’époque. C’était il y a 32 ans, une belle histoire, notre quatrième enfant était né.

 

Au bureau et à la maison, nous étions censés avoir deux postes bien distincts, mais le journal était le centre de notre vie, de nos conversations : nous étions deux, mais ne faisions qu’un. Pour Serge, le journal était sa vie, sa passion, sa mission. J’ai épousé le tout et je l’ai épaulé dans l’ombre sur tous les fronts. Voilà pourquoi et comment je n’ai pas appris le métier, je l’ai vécu. Ce que je ressens pour la communauté et le journalisme que je connais, je l’ai inscrit en moi depuis 35 ans.

 

Relever le défi d’être directrice de l’hebdomadaire de la communauté le plus populaire parmi les francophones a-t-il été aisé ?

 

Pas vraiment !À l’enterrement de Serge, le 28 juillet 2011, 25 Tamouz 5771, les personnalités présentes - les rabbins, les amis, les lecteurs, la famille - tous étaient unanimes pour demander qu’Actualité Juive, le journal de la communauté continue. Mais comment ? Et si j’ose dire, c’était comme si Serge avait orchestré son décès, car il nous a quittés le soir de la dernière parution avant les grandes vacances, nous laissant un mois de deuil et la question de la reprise d’Actualité Juive repoussée à la fin du mois d’août.

 

 J’étais effondrée, incapable de parler, de me concentrer, j’aurais même voulu partir avec lui… J’étais anéantie, les enfants et l’équipe du journal aussi. Mais il fallait que je relève le challenge non pour moi, mais pour continuer à suivre le chemin qu’il avait tracé. Et qui existe encore… toujours. Rien ne m’a été épargné et je vous passerai les détails par pudeur. Ceux qui pensaient que j’allais être « la potiche de service » se sont complètement fourvoyés et les épreuves qui auraient dû finir de m’anéantir m’ont au contraire renforcée.

 

J’ai alors compris le sens de la résilience et j’ai repris les rênes, en mettant à profit ce qui était au plus profond de moi, à savoir mon expérience au côté de Serge. D’autres médias et certains journalistes déjà en désaccord avec Serge ont continué leurs procédures judiciaires intentées contre le journal… Mais rien ne m’a déstabilisée. J’ai décidé d’assumer tout ce qui pesait sur mes épaules en sachant bien que j’étais observée de tous et attendue au tournant. J’étais certaine que nous devions rester coûte que coûte le journal de la communauté juive de France sans laisser le champ libre aux journaux gratuits arrivés sur le marché.

 

Voilà comment à force de volonté, j’ai relevé le défi depuis deux ans, d’être la première femme directrice de l’hebdomadaire de la communauté. Petite-fille de trois grands-parents déportés morts de faim et de froid parce qu’ils étaient juifs, je me devais de le faire en leur mémoire et surtout pour celle de Serge ainsi que pour encourager mes enfants et mes petits-enfants.

 

Concernant la ligne éditoriale de la publication, votre souhait a toujours été de continuer celle insufflée par votre époux, Serge Benattar…

 

La halakha dit qu’un défunt est encore plus présent après sa disparition. Au départ, ces paroles m’ont paru ridicules. Qu’est-ce qui pourrait remplacer son absence physique ? Qui pourra me réconforter dans les moments de doute ? Mais progressivement, j’ai dû admettre que c’était vrai : Serge me guide. Il disait souvent : « On a la brakha ».

 

Peu à peu, je rallume les lumières de ma vie, mais ce n’est pas facile, car le chagrin est toujours là. Je suis mieux qu’il y a un an, mais moins bien qu’il y a trois ans. Je reste dans la même ligne éditoriale et je pense à chaque instant à ce qu’il aurait dit ou comment il aurait réagi. Il est toujours présent près de moi, en silence certes, mais ses vibrations me donnent des forces.

 

« Peu à peu je rallume les lumières de ma vie, mais ce n’est pas facile, car le chagrin est toujours là »

 

Les célèbres éditos de Serge ont disparu. Lorsque j’ai voulu en republier quelques-uns, j’ai été critiquée. Personne ne pourra le remplacer puisqu’il était unique alors je préfère qu’il n’y ait plus d’édito pour l’instant. Concernant l’organisation interne, d’anciens journalistes formés par Serge sont venus rejoindre l’équipe tandis qu’une partie du noyau dur est restée, formant ainsi une rédaction solide et unie. J’ai choisi de faire une rédaction collégiale où chacun est investi avec des réunions hebdomadaires et où le choix des unes et des dossiers est discuté avec tous et toutes.

 

Nous recevons également ensemble nos interlocuteurs, responsables et directeurs de la communauté. C’est une innovation dans la presse, dont vous pouvez constater les résultats toutes les semaines. Peu s’en plaignent, les lecteurs encore moins. Ainsi, je ne suis pas trop à l’avant de la scène, détestant, comme mon mari, les honneurs.

 

Par votre personnalité atypique et déterminée, pensez vous avoir apporté de la nouveauté à « Actualité Juive » et même, osons le dire, dans le paysage communautaire ?

 

D’abord, je suis une femme anticonformiste, pour le respect de la parité et peu connue jusqu'à présent. On commence maintenant à mieux me situer. Je suis sans détour, sensible aux détails, avec le sens des valeurs et très ouverte. Le journal en est le reflet.

 

Nous pouvons à la fois faire paraître un article sur le 3 tamouz, date de décès du Rabbi et être en même temps à l’écoute des Libéraux. Pour rester dans une communauté plurielle, nous n’hésitons pas à contracter des partenariats comme dimanche dernier pour le jubilé du Centre communautaire au parc de la Brèche à Créteil où plus de 5700 personnes étaient présentes. Pour la petite histoire, notre logo a été enlevé dans certains médias qui ont publié l’affiche de cette manifestation.

 

Nous allons essayer d’accentuer les rapprochements et vous découvrirez peu à peu ce que rassembler signifie. Il faut unir notre communauté qui semble parfois désorganisée, voire égarée en suivant comme des moutons de Panurg e, si j’ose dire, des manifestations non officielles qui n’ont pas lieu d’être. Les choses bougent dans la communauté, et nous devons faire face aux vrais dangers qui nous préoccupent nous, Juifs de France, plutôt que d’alimenter des querelles intestines.

 

Par exemple, les prochaines élections au Consistoire vont créer beaucoup de remous dès la rentrée et nous essaierons d’être impartiaux comme à l’accoutumée. C’est aussi la raison pour laquelle tant que nous n’aurons pas de grand rabbin de France élu nous ne ferons pas de Petit Déj’…

 

Comment avez-vous affronté avec la rédaction et sans Serge Benattar les grandes épreuves qui ont secoué la communauté ces deux dernières années ?

 

Lors de l’attentat de Toulouse, u n choc pour tous, nous avions une correspondante sur place qui a suivi la tragédie et assisté à l’ensemble des manifestations et commémorations qui ont suivi. Plus récemment, concernant la crise qu’a traversée le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, l’ami et le collaborateur du journal depuis de longues années, nous avons choisi de rester fidèles à nos idées et à celles de Serge en continuant à soutenir l’homme brillant qu’il est. D’ailleurs nos colonnes lui sont toujours ouvertes.

 

Quels sont les nouveaux challenges qui seront relevés dès la rentrée ?

 

À Actualité Juive, nos projets sont multiples et nous allons de l’avant. Le deuxième tome du livre des Éditos de mon défunt époux paraîtra prochainement et vous allez découvrir notre site Internet fin août. Les vœux de Serge se réalisent petit à petit. Pour conclure, je voudrais vous rassurer et vous dire qu’Actualité Juive se porte bien.

 

Je vous remercie tous très sincèrement pour votre confiance, votre fidélité et vos encouragements. Rien ne serait possible sans vous les lecteurs, les annonceurs fidèles ou infidèles (lowcost oblige !) et surtout l’équipe, mes enfants et tout le staff du bureau. Un grand merci pour m’avoir permis d’être et de renaître aussi, peut-être.

 

Propos recueillis par Sandrine Szwarc

 

(Article publié dans le n° 1261 du jeudi 4 juillet 2013 d’Actualité Juive)