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Publié le 25 Mars 2020

Interview Crif - Comment gérer le confinement en famille ? Entretien avec le Docteur Sabbah, pédopsychiatre

Dans le cadre de la crise que nous traversons tous en ce moment, nous avons interrogé le Docteur Sabbah, pédopsychiatre, afin de profiter de ses conseils quant à la communication et l’organisation avec les enfants (petits et grands) pendant cette période difficile.

A la maison confinés en famille : comment gérer ses angoisses, comment gérer le confinement "tous ensemble" ?

 

Crif : Bonjour Docteur Sabbah, beaucoup de parents sont angoissés à ce qu’ils peuvent dire ou pas à leurs enfants, à ce qu’il vaut mieux garder pour soi, que préconisez-vous ?

Docteur Sabbah : Il faut absolument en parler : les enfants sont exposés quoi qu’il arrive que ce soit à la télévision, sur Internet, ce qu’ils entendent des discussions autour d‘eux et aussi ce qu’ils ressentent des inquiétudes de leurs parents.

En tant que pédopsychiatre, je suis étonnée du fait que les parents ne se font pas confiance en leur capacité à rassurer et informer leurs enfants. Il faut se laisser guider par son bon sens : on ne parle évidemment pas de la même façon à son enfant selon sa maturité. Il n’y a pas de réponse toute prête. Il y a des enfants de 6 ans très matures, d’autres moins. Il faut s’autoriser à dire aux enfants que l’on ne sait pas, que l’on n’a pas toutes les réponses. Il ne faut pas à tout prix rassurer en mentant, ou faire peur aux enfants en disant « tu vas tuer papi et mamie en leur faisant un bisou ». Il faut leur expliquer que les personnes âgées sont plus fragiles, et que ne pas aller les voir réduit le risque de leur transmettre le virus. Des dessins, des schémas que j’ai vu fleurir sur internet peuvent être d’excellents moyens pour expliquer le fonctionnement d’une pandémie.

De plus en plus jeunes, les enfants ont accès à internet, via l’ordinateur ou les smart phones. C’est le moment de les éduquer aux fausses nouvelles et aux nouvelles simplistes : comme elles sont plus « cliquées », elles apparaissent en premier, et en plus, plus un article est sensationnel, plus ils vont cliquer. Il faut leur rappeler que la vérité n’est pas forcément sur internet. Il peut y avoir des choses fausses même sur Wikipédia.

On entend tout et n’importe quoi sur le coronavirus : il faut toujours douter de ce que l’on entend. Non pas pour être complotiste, mais en ayant conscience que tout peut changer demain, car c’est une situation inédite pour tout le monde.

 

Crif : Que faire si l’on est très angoissé ?

Docteur Sabbah : Si l’on est très angoissé, il faut le communiquer aux enfants, avec calme et raison. Par exemple « j’ai peur pour papi et mamie, car ils sont plus fragiles, mais en même temps, je sais que beaucoup de scientifiques travaillent sur une solution ». Le risque 0 n’existe pas, même en respectant les gestes barrières il faut l’accepter. On le sait, pour qu’une épidémie cesse, il faut que plus de 50% de la population soit immunisée c’est à dire infectée dans le cas du coronavirus pour lequel il n’existe pas encore de vaccin. Dans le cas de l’épidémie qui nous touche, le plus important, c’est que tout le monde ne l’attrape pas EN MÊME TEMPS, car c’est ce qui saturera les services d’urgence et de réanimation.

 

Crif : Les familles sont désormais confinées ensemble, d’un côté les enfants qui ont l’école à la maison, et de l’autres les parents qui télétravaillent. Comment gérer ?

Docteur Sabbah : C’est en effet une situation compliquée, notamment pour la gestion des espaces. Avant, quand les parents étaient en télétravail, les enfants étaient à l’école.

C’est très dur pour les parents : les jeunes enfants ne peuvent pas être en totale autonomie, mais en même temps il y a moins d’enjeux scolaires que pour les lycéens. Du coup on peut travailler puis leur faire prendre des petites pauses  pour faire des activités manuelles comme la pâte à modeler, le dessin où ils pourront être en autonomie.

Il est fondamental de créer, rédiger et afficher un emploi du temps, visuel ou écrit selon l’âge, pour remettre des repères. Créer un emploi du temps de disponibilité/non disponibilité pour que chacun sache et respecte les créneaux horaires. Si on a des réunions, il faut « sanctuariser » ces moments, et expliquer : « maman est là mais c’est comme si maman n’était pas là ». Il faut bien délimiter les temps de récréation et le temps de travail, pour les grands comme les petits. La routine rassure dans ces temps de grande incertitude.

Les plus jeunes n’ont pas besoin de travailler des heures et des heures. C’est bien de redécouvrir la manipulation (peinture, pâte à sel etc) plutôt que rester devant l’’écran toute la journée. Les écrans c’est bien sur des temps bien définis, et l’on peut aussi leur mettre du contenu éducatif (c’est pas sorcier etc…). Pour les plus jeunes enfants, le plus dur est de faire abstraction de la présence visuelle de leurs parents. Sur le site du CNED, des exercices sont disponible en ligne. Le mieux pour les parents est de commencer par donner aux enfants des exercices faciles, même de la classe inférieure, histoire de les mettre en situation de succès au départ. Ainsi, les enfants seront plus enclins à travailler que s’ils butent sur les premiers exercices. Il est important que les enfants aient confiance en eux, et pour cela, réussir les premiers exercices faits à la maison peut considérablement aider. 

Pour les ados, c’est plus compliqué, ils vivent « le grand rêve de leur vie », à la maison confinés, terrain connu du tout numérique. Rêve teinté de cauchemar car ils ont les parents sur le dos en permanence! C’est le bon moment de permettre à l’ado d’être dans son biorythme. Se lever et se coucher un plus tard c’est bien, ça ne sert à rien de les réveiller à 7h tous les matins ce d’autant qu’il n’y a plus les temps de trajet pour se rendre au lycée. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il faut les laisser être sur les jeux vidéos jusqu’à 4h du matin, évidemment. Un fragile équilibre est à trouver. Les ados, ils sont pour la plupart autonomes dans le travail. Il faut donc établir des contrats. Néanmoins, il est plus dur de contrôler leur accès à internet qui est également utilisé pour faire leur travail scolaire alors il faudra vérifier que les cours sont suivis et les devoirs envoyés en temps et en heure.

 

Crif : Selon la durée du confinement, quelles sont les perspectives d’évolution de la situation ?

Docteur Sabbah : On n’a jamais vécu ça. C’est comme si l’on était tous en train de passer de l’autre côté d’une muraille, ensemble, et que l’on rentrait dans un monde que nos parents ou grands-parents n’ont pas connu. La guerre, la famine, autre chose certes, mais l’enfermement, personne ne l’a vécu. On va devoir inventer nos propres rituels. Au moment où je vous parle, je vois trois jeunes filles sur leur tapis de sol, à 3 mètres d’intervalle, faire de la gymnastique ensemble dans la rue. Je pense que les ados vont peut-être même finir par se lasser des écrans, à cause de la saturation. Certaines familles reprennent les jeux de société, même avec les grands ados, qui sont à nouveau demandeurs. Ce qui est intéressant c'est que nous avons tous la possibilité d’inventer pour quelques semaines une nouvelle vie.

L’être humain a des capacités adaptatives extraordinaires, on a des ressources et on va créer des liens en dehors de la distance physique. On va pouvoir être connectés un peu plus avec nous-mêmes.

 

Propos recueillis par Sophie Taïeb