Actualités
|
Publié le 29 Janvier 2019

Interview Crif - Relations entre Israël et l'Afrique : entretien avec Yaacov Jacques Revah, diplomate et ancien Ambassadeur

Rencontre avec Yaacov Jacques Revah, diplomate et ancien Ambassadeur.

Entretien mené par Marc Knobel, Historien et Directeur des Etudes au Crif

Le Crif - Benjamin Netanyahu revient d’une visite officielle au Tchad. Les relations diplomatiques entre le Tchad et Israël vont être rétablies. Que pensez-vous des liens qui se sont tissés entre les deux pays ?

Jacques Révah - Les relations diplomatiques entre Israël et le Tchad ont bel et bien été officiellement rétablies lors de cette dernière rencontre du PM Netanyahu avec le Président Idriss Déby à N’Djamena, et mieux vaut tard que jamais. Nous ne devons en penser que le meilleur et écarter toute remarque ou sous-entendue critiques sous-estimant l’importance de cet événement. Celui-ci s’inscrit dans la droite ligne des intérêts des pays et la logique de l’évolution normale des relations entre des états souverains soucieux de faire face de manière utile et efficace aux lourds défis qui les interpellent aujourd’hui. Ceux-ci sont souvent les mêmes, voire économique, lutte antiterroriste, développement etc… En l’occurrence, les liens qui se sont tissés entre Israël et le Tchad depuis l’indépendance de ce pays et de bien d’autres en Afrique, ont su se maintenir même s’il le fallait de manière officieuse au cours des années de rupture. Pour le Tchad, comme pour la majorité des pays africains, la rupture officielle ou le gel de leurs relations avec Israël, surtout autour de la crise du pétrole et la guerre de Kippour entre 1972 et 1973, ne s’étaient produits à cette époque qu’à contrecœur, sous la contrainte et sous la pression de la ligue arabe et ses ‘’fake promises’’ faites à l’Organisation de l’unité Africaine (OUA), (aujourd’hui l’Union Africaine (UA) et ses états-membres.

L’avion du Premier ministre a pu survoler le Soudan. Qu’est-ce qu’il faut comprendre de cette autorisation ?

Il faut comprendre qu’au sein du monde arabe-musulman, et il s’avère même au Soudan de Bachir, s’est amorcé un début de changement fondamental quant à l’attitude pragmatique qu’une partie du monde arabe-musulman souhaite adopter et promouvoir vis-à-vis d’Israël, de son droit à l’existence, de sa reconnaissance dans la région, et même de la nécessité de coopérer avec Israël dans l’intérêt des peuples et des états. On commence à y réaliser que le rejet historique d’Israël par le monde arabe était une grave erreur qu’il est temps de corriger dans l’intérêt de tous. Nous retrouvons cette prise de conscience d’intérêts similaires de certains de ces pays arabes qui font face eux aussi aux défis que leur impose l’islam radical et fanatique et, disons-le sans hésiter, aux menaces iraniennes.

Aujourd’hui, seules l’Ethiopie et l’Afrique du sud sont reliées directement à partir d’Israël. Or, si l’avion du PM d’Israël a pu normalement survoler le Soudan, il nous est permis de penser que des lignes aériennes régulières pourraient sous peu relier Israël à d’autres destinations en Afrique, dans l’intérêt des échanges commerciaux, touristiques et tout autre domaine témoignant de la normalisation accrue des relations, au-delà de leur aspect strictement formel.

Pensez-vous qu’Israël va établir ou rétablir des relations avec d’autres pays africains ?

Sans aucun doute. Les médias parlent déjà éventuellement du Mali, voisin du Tchad et du Niger, trois pays musulmans et importants du Sahel parmi les six ou sept derniers sur le continent qui n’ont pas encore rétablis officiellement leurs relations diplomatiques avec Israël.  Soulignons ici qu’Israël entretient aujourd’hui des relations diplomatiques pleines et officielles avec une cinquantaine de pays sur les 55 états indépendants que compte le continent, tous membres de l’Union Africaine, Afrique du Nord et Afrique sub-saharienne inclues.

Vous avez été ambassadeur d’Israël dans un pays africain. Comment se déroulait votre quotidien ? Comment percevait-on Israël dans ce pays ?

Concernant le volet africain de ma carrière, j’ai en effet été ambassadeur d’Israël, non pas dans un pays africain mais auprès de plusieurs pays essentiellement en Afrique de l’Ouest, avec résidence en Côte d’Ivoire, au Ghana ou au Togo, tout en étant accrédité aussi auprès de nombreux autres pays de la sous-région. J’ai en outre dirigé la Division Afrique au sein du Ministère des Affaires étrangères à Jérusalem en qualité de Directeur-Général adjoint de ce ministère. Au titre de ces fonctions j’ai souvent œuvré depuis les années 80 au rétablissement des relations diplomatiques, ou à leur instauration avec des pays qui n’en avaient pas encore eu ou n’étaient pas encore indépendants, le Sud Soudan par exemple en 2011.

Quant au déroulement du quotidien d’un chargé des intérêts d’Israël ou d’un ambassadeur israélien (et de sa famille) en Afrique, aussi paradoxal que cela puisse paraître dans des pays en voie de développement, même en l’absence de relations officielles, sur le plan professionnel de nombreux collègues doivent nous envier. Car malgré les entraves politiques dues au contexte de la situation au Proche et Moyen-Orient, malgré la regrettable pénétration de l’Islam radical sur le continent et de la présence du terrorisme qui mettent les gouvernements et leur autorité à dure épreuve, Israël bénéficie toujours en Afrique d’une double bonne réputation associée à son nom. Celui-ci évoque d’une part l’Histoire du Peuple d’Israël tel que relayée dans l’ancien et le nouveau testament auxquels sont attachés les nombreux croyants. D’autre part, le souvenir des bienfaits de la coopération israélienne initiée en 1958 par Golda Meïr dès l’annonce des premières indépendances, est resté comme une carte de visite. Les populations ont toujours été avides du retour des experts israéliens. Sur le plan de la vie quotidienne, sociale, culturelle, santé, scolarité des enfants etc…, il y avait certes des difficultés liées au niveau de développement, à la situation économique du pays de résidence, aux conditions climatiques, au niveau de la sécurité et bien d’autres aspects. Mais celles-ci varient d’un pays à l’autre et d’une période à une autre. Ceci dit, les souvenirs cumulés sont des vécus originaux, inoubliables et plutôt bons dans leur ensemble.

Comment les israéliens aident-ils les pays africains ?

Permettez–moi d’éviter de parler d’aide ou d’assistance mais plutôt de coopération, car aujourd’hui c’est bien de cela qu’il s’agit. L’époque du tout G to G est révolue. Aux côtés de la coopération gouvernementale, la part du lion dans les échanges se fait essentiellement par le truchement des compagnies et sociétés du secteur privé, encouragées bien entendu et soutenues par des structures étatiques puisque il relève comme nous le disions de toute façon des intérêts des pays et des populations.  Outre les domaines traditionnels de l’agriculture, du développement rural, de la gestion de l’eau et du recyclage des eaux usées, de la santé, de la promotion des femmes en coopératives et petites entreprises, de la lutte contre la désertification,  de la sécurité, se sont ajoutés ces dernières décennies ceux liés aux Hi-Tech, la télécommunication, le transfert de technologie, la lutte contre le terrorisme etc… et bien entendu la recherche d’un rapprochement politique au service de tous ces intérêts partagés et concomitants.

 

Notes :

Jacques Révah a occupé pendant 40 ans la carrière diplomatique (1975-2015) au sein du Ministère israélien des Affaires étrangères.

Principales fonctions occupées au sein du Ministère à Jérusalem :

Chargé de mission au département de la presse et de l’information,

Assistant du Directeur général,

Directeur-adjoint Département Europe occidentale,

Directeur Département Afrique occidentale et centrale, puis Chef de la Division Afrique Sub-saharienne en qualité d’Ambassadeur-Directeur Général Adjoint du Ministère (2006-2011)

Missions accomplies à l’étranger :

Vice-consul, puis Consul au Canada (Montréal 1979-82),

Premier Secrétaire en Belgique (Bruxelles 1982-84)

Chargé des intérêts d’Israël au Ghana et au Togo (près l’Ambassade de

Suisse à Accra et l’Ambassade de Belgique à Lomé 1986-87)

Ambassadeur au Togo (Lomé 1987-91)

Ambassadeur en Côte d’Ivoire (et au Ghana, Togo, Bénin, Burkina Faso)

Ministre Plénipotentiaire en France (Paris 1999-2005),

Chargé d’affaires a.i. en France (2000)

Ambassadeur, Délégué permanent auprès de l’UNESCO (2003-05),

Ambassadeur auprès du Royaume de Belgique et auprès du Grand-Duché du Luxembourg (2011-2015).

J. Révah a œuvré particulièrement au rétablissement officiel des relations diplomatiques entre Israël et les pays d’Afrique et à leur consolidation. Il a contribué au renforcement des relations bilatérales entre Israël et la France, la Belgique et le Luxembourg ainsi qu’à la normalisation des relations entre Israël et l’UNESCO, à l’action de l’UNESCO en général, à sa dépolitisation et à l’amélioration professionnelle et technique du travail de l’UNESCO dans le contexte du conflit israélo-palestinien. Chef de la délégation israélienne à la 32ème Conférence Générale de l’UNESCO à Paris (octobre 2003), puis à la 47ème Conférence internationale pour l’éducation à Genève (sept.2004), il a aussi dirigé la délégation d’Israël à la 29ème session du Comité du Patrimoine Mondiale de l’UNESCO à Durban (10-18/7/2005) qui a inscrit deux sites israéliens supplémentaires sur sa liste prestigieuse.