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Publié le 29 Janvier 2019

Interview Crif - Rencontre avec Andreas Pantazopoulos sur l’antisémitisme en Grèce

Andreas Pantazopoulos, politiste et professeur à l'Université Aristote de Thessalonique fait le point sur le climat antisémite en Grèce.

Entretien mené par Marc Knobel, Historien et Directeur des Etudes au Crif

Le Crif - L’ambassadrice d’Israël en Grèce, Irit Ben-Abba, a reproché à l’Église orthodoxe grecque d’être le chef de file de l’antisémitisme dans le pays. Ben-Abba a fait ces déclarations dimanche lors d'une cérémonie à l'occasion de la Journée internationale du souvenir de l'Holocauste, deux jours à peine après le dépôt d'un monument commémorant les Juifs de Thessalonique, situé à l'Université de Salonique. Que pensez-vous de cette accusation ?

Andreas Pantazopoulos - Il faut admettre qu’en Grèce, l’Église orthodoxe n’a pas fait son aggiornamento en éliminant les stéréotypes antijuifs de son rituel. Une telle attitude entretient ces stéréotypes péjoratifs dans une grande partie de l’opinion publique. Qui plus est, nombre des membres de l’Église et souvent même ceux qui sont à sa tête demeurent silencieux face aux diverses attaques antisémites perpétrées de manière récurrente contre les lieux de mémoire et de culte juifs. La profanation récente, particulièrement acharnée, du monument situé dans l’université Aristote de Thessalonique (une université bâtie à l’emplacement de l’ancien cimetière juif…) n’a pas suscité de leur part de condamnation immédiate. Ce n’est qu’au bout de deux jours, et après les déclarations de l’ambassadrice d’Israël en Grèce et celles du président israélien, que l’archevêque d’Athènes et de toute la Grèce Iéronymos a condamné sévèrement cet acte.

Par ailleurs, il convient de noter l’existence, au sein de l’Église orthodoxe, d’une forte tendance autoproclamée « antisioniste », celle des quelques métropolites et d’une partie du bas clergé qui croit à l’authenticité des « Protocoles des Sages de Sion !». Le fait qu’il y ait aussi quelques métropolites progressistes n’ôte rien à cette image négative. Le silence assourdissant de l’Église doit être considéré en parallèle avec le profond courant nationaliste qui prend de l’ampleur ces dernières années en Grèce. Un courant issu de la crise économique, mais exacerbé par la ratification par le parlement hellénique du récent accord signé entre le gouvernement grec et le pays voisin, l’ARYM, sur sa nouvelle appellation de « Macédoine du Nord ». En marge des vastes mobilisations qui ont eu lieu dernièrement contre cet accord, des groupes d’extrême droite ont profané à plusieurs reprises le monument de l’Holocauste à Thessalonique (ville dont 97 % de la population juive a été exterminée dans les camps nazis) et les slogans stigmatisant le « sionisme » comme responsable ont fleuri (1). Au lendemain de cette dernière profanation du monument de Thessalonique, un groupe de nationalistes et de partisans de l’extrême droite qui manifestaient à propos de la Macédoine a tenté d’empêcher dans cette même ville une cérémonie en présence du président de la République consacrée aux victimes de la Shoah. Cette combinaison de l’antisémitisme religieux avec l’antisémitisme nationaliste constitue un mélange détonnant qu’exploitent toutes les organisations et les groupes d’extrême droite, particulièrement actifs ces derniers temps. Ce lien entre l’identité religieuse et l’identité nationale dans l’histoire grecque reste d’ailleurs une constance à élucider.

Est-il difficile selon vous d’être de confession juive et de vivre en Grèce aujourd’hui ?

Jusqu’à présent, heureusement, aucune agression n’est à déplorer contre des citoyens grecs de confession juive. Il s’agit de dégradations et de slogans inscrits sur des monuments consacrés à la Shoah, sur des Synagogues et dans des cimetières. Et bien entendu, d’articles antisémites en assez grand nombre, publiés principalement (mais pas exclusivement) dans des revues ou sur des sites d’extrême droite. Autre fait à signaler, les autorités grecques n’ont jusqu’à maintenant appréhendé aucun auteur de ces actes répréhensibles. Les condamnations rhétoriques par les gouvernements successifs et par les partis politiques ne s’accompagnent pas de résultats concrets. Et c’est révoltant.

Comment lutter contre l’antisémitisme en Grèce ?

Il est vrai que ces dernières années, des efforts sont entrepris dans le domaine de l’éducation afin de combattre l’ignorance de la Shoah et les préjugés antijuifs. Cependant, les résultats seront faibles si la société civile ne fait pas sienne la lutte contre un antisémitisme en pleine expansion dans le monde actuellement – ce qu’elle est encore loin de faire. Ce qu’il faut surtout, c’est des ruptures radicales dans les institutions, par exemple dans l’Église orthodoxe, ainsi qu’un débat sérieux sur l’identité nationale, perçue en Grèce en termes ethnicistes et religieux. L’indifférence, l’ignorance, les préjugés négatifs sont à l’œuvre aux fondements de l’opinion publique, sans véritable contre-courant.

Note : 

(1) https://www.conspiracywatch.info/la-grece-la-macedoine-et-les-protocoles-des-sages-de-sion.html

 

Le Crif vous propose de lire ou relire le dernier numéro des Etudes du Crif consacré aux Juifs de Grèce, une étude brillament menée par Anastasio Karababas :