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Publié le 19 Février 2019

Interview Crif - Rencontre avec le député Sylvain Maillard

Sylvain Maillard, député LREM préside le groupe d’études "antisémitisme" de l’Assemblée nationale. Il explique ce que sont les réflexions et activités du groupe.

Entretien mené par Marc Knobel, Historien et Directeur des Etudes au Crif

Note aux lecteurs : cet entretien a été réalisé avant le projet de loi de Sylvain Maillard concernant l'antisionisme. Il n'en fait donc pas mention.

Le Crif - Monsieur Sylvain Maillard, le mardi 27 mars 2017, s’est tenu la première réunion du groupe d’études « antisémitisme » de l’Assemblée, dont vous vous êtes vu confier la présidence le mois dernier. Vous aviez constitué le Bureau dont les vice-présidents étaient : Frédérique Dumas, Richard Lioger, Manuel Valls, François Puponi, Claude Goasguen et Meyer Habib et les Secrétaires : Elise Fajgeles, Guillaume Gouffier-Cha, Guillaume Vuilletet, Christophe Bouillon, Constance Le Grip et Agnes Firmin-Le-Bodo. Comment expliquez-vous qu’il ait fallu que se constitue un groupe d’études sur ce sujet ?

Sylvain Maillard - Je pense qu’un groupe d’étude sur l’antisémitisme est nécessaire à plusieurs égards. D’abord, car l’antisémitisme a été l’une des causes d’un des plus grands drames de l’histoire de l’humanité, la Shoah, et que cet évènement ne date pas que du siècle dernier. Aussi, effectuer un travail de mémoire efficace et tirer les leçons du passé consiste également à prévenir la résurgence d’un sentiment hostile envers la communauté juive au sein de notre société. Ce groupe peut être utile en ce sens.

De plus, il ne faut pas se voiler la face, beaucoup de Français de confession juive ont le sentiment légitime ces dernières années d’une résurgence de l’antisémitisme en France et plus généralement en Europe. Certains actes terroristes et notamment l’attentat contre l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes en 2015, témoignent d’un regain d’hostilité évident envers la communauté juive. Or, pour lutter contre l’antisémitisme, il faut pouvoir le comprendre et ce groupe d’étude constitue donc une source d’information précieuse pour les parlementaires.

Un tel groupe d’étude est donc légitime aussi bien du fait de l’histoire que de l’actualité récente.

Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs, ce qu’est ce groupe ? Comment, il se compose, quelles sont ces activités ? Auditionne-t-il ? Quelles sont les réflexions et propositions que vous êtes amenées à faire ?

Il existe au sein de l’Assemblée nationale environ 80 groupes d’Etudes, regroupant les députés qui souhaitent travailler sur le sujet. Ce sont des groupes transpartisans, qui ont vocation à éclairer les parlementaires sur le sujet d’étude dont ils traitent, afin de contribuer à une action efficace du législateur dans tous les domaines.

En ce qui concerne le Groupe d’Etude Antisémitisme, il avait déjà été créé sous l’ancienne législature et présidé par F. Puponi. J’ai l’honneur de le présider pour cette mandature et je souhaite, avec mes collègues, faire des avancées significatives sur deux sujets en particulier. D’abord la reconnaissance de la « working definition » de l’antisémitisme, incluant l’antisionisme comme approuvé par l’Union européenne mais aussi la lutte contre les discours antisémites sur les réseaux sociaux, qui se multiplient de façon inquiétante ces dernières années.

Ce groupe de travail irrite-t-il certains de vos collègues ?

Je n’ai aucunement le sentiment que nos travaux irritent nos collègues, bien au contraire, je pense que beaucoup ont conscience qu’un tel groupe de travail est nécessaire. Il existe cependant une réelle confusion entre le droit de critiquer la politique du gouvernement israélien, qui est un droit essentiel dans nos démocraties, et la critique d’Israël en tant qu’Etat, et qui, pour moi, s’apparente à une forme d’antisémitisme. La critique d’un gouvernement est saine et juste, la négation du droit à exister est une forme d’intolérance qui ne saurait avoir sa place dans les débats.

Le 1er juin 2018, le Parlement européen a adopté une proposition de résolution « sur la lutte contre l’antisémitisme » appelant les États membres et les institutions bruxelloises à prendre des mesures supplémentaires pour combattre « les discours de haine et toutes les formes de violence à l’égard des citoyens juifs européens ». Le texte a été approuvé à une écrasante majorité. Il demande que la définition de l’antisémitisme prévalant au sein de l’Union européenne soit celle qu’utilise l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. Or, en janvier 2019, vous informez vos lecteurs que vous avez été à Bruxelles avec vos collègues députés européens et à la commission européenne pour travailler sur la définition de l’antisémitisme. Voudriez faire évoluer la définition de l’antisémitisme et son champ habituel, en droit français ?

Oui, cette définition connue sous le nom de « working definition », avec ses exemples, est pour moi un texte important. Comment combattre l’antisémitisme si nous ne sommes pas d’accord sur sa définition exacte ?  Etre d’accord sur le sens des termes constitue toujours la première étape pour se confronter efficacement à un sujet. Aussi, je crois qu’il nous faut nous accorder au sein de l’Union européenne sur une même définition afin que l’ensemble des Etats membres puissent lutter efficacement contre l’antisémitisme à l’échelle du Vieux Continent. Je réfléchis actuellement à la manière la plus efficace de faire reconnaitre la définition adoptée par le Parlement européen au sein de nos institutions françaises et de nos administrations (Police, Justice…).

Avec notre groupe d’Etude, nous proposerons dans les semaines qui viennent une réponse juridique et un modus operandi afin d’avancer sur la concrétisation d’une évolution de la définition de l’antisémitisme en France.

Beaucoup de questions se posent après les débordements choquants et clairement antisémites observés ces dernières semaines lors de ou autour de manifestations des "gilets jaunes". Pensez-vous que les théories conspirationnistes, les stéréotypes antisémites, la propagande distillée par la nébuleuse complotiste, la radicalisation et instrumentalisation diverse de l'ultra droite et/ou de l'ultra gauche, permettraient à l'antisémitisme de se développer et de prospérer plus ouvertement depuis plus de deux mois, chez une frange infiltrée de ce mouvement ?

Je l’ai dit plus haut, l’antisémitisme semble s’afficher de plus en plus librement dans nos sociétés. C’est d’ailleurs vrai pour toutes les haines. Je crois qu’il faut être particulièrement sensible aux signaux faibles de cette résurgence si l’on souhaite éviter une propagation rapide et complète de ce type de sentiments. L’antisémitisme est toujours le précurseur d’une haine généralisée envers plusieurs pans de la société et, à cet égard, prévenir sa résurgence doit être un devoir pour tous. Je ne crois absolument pas que tous les citoyens ayant manifesté leur colère ces derniers mois nourrissent des sentiments hostiles à l’égard de la communauté juive mais le fait que certains aient publiquement exprimé des propos outranciers à ce sujet doit nous interpeller. Il faut que les organisateurs se désolidarisent de ce type d’individus et empêchent que de telles dérives puissent se produire car elles constituent une attaque directe contre une partie de nos concitoyens, mais en réalité, envers la République toute entière.