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Publié le 13 Juin 2018

#InterviewCrif #Refugies - La question de la crise des réfugiés Juifs dans les années 30

L'historienne Diane Afoumado publie "Indésirables: 1938 : La conférence d'Evian et les réfugiés juifs". A l'occasion d'un entretien avec le Crif, elle fait le point sur la crise des réfugiés Juifs dans les années 1930.

Entretien mené par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif, avec l’historienne Diane Afoumado

Diane Afoumado, au moment où l’on parle fréquemment du sort dramatique des réfugiés syriens, irakiens ou africains et autres, vous publiez un ouvrage salutaire Indésirables: 1938 : La conférence d'Evian et les réfugiés juifs, en collaboration avec le Mémorial de la Shoah et les éditions Calmann Lévy. Vous décrivez l’évolution de la crise des réfugiés Juifs pour la plupart et les tentatives pour répondre à ce phénomène nouveau à l’échelle internationale, notamment à travers le travail de la SDN et de l’Office Nansen. De quoi s'agissait-il ?

A l’été 1938, les Juifs du Reich (Allemagne et Autriche depuis l’Anschluss en mars) subissent les persécutions nazies depuis déjà près de six ans. La chronologie est importante car bien que les premiers camps de concentration existent déjà, le pogrom de la Nuit de Cristal n’a pas encore eu lieu. Cela signifie que beaucoup de Juifs continuent de s’adapter à la situation du mieux qu’ils peuvent et qu’ils ne pensent pas encore à fuir leur pays. Entre l’Anschluss et la Kristallnacht, a lieu la Conférence d’Evian qui se tient dans la première quinzaine de juillet.

Si les Juifs du Reich, n’ont pas de statut légal de réfugiés, on peut cependant considérer qu’ils rentrent dans la définition qui sera créée ultérieurement. Ils ne bénéficient pas de la protection de leur pays d’origine – bien au contraire – et leur émigration est un acte de séparation physique puisqu’ils ne peuvent revenir dans le Reich. Mais en 1938, les pays qui se disent prêts à accueillir des refugies sont peu nombreux, surtout lorsqu’il s’agit de Juifs. Rappelons que l’antisémitisme à la fin des années 30 ne sévit pas qu’en Allemagne.

Il faut savoir qu’en 1938, il n’y a pas encore de “statut juridique du réfugié” clairement défini. La SDN et l’Office Nansen sont les deux seuls organismes qui ont une expérience toute récente de ce que l’on nomme la question des réfugiés qui s’est “mondialisée” au lendemain de la Première Guerre mondiale. Cette dernière a entrainé des bouleversements géopolitiques avec la création d’Etats-nations et partant, des mouvements massifs de populations. Tout au long des années 20, le Haut-commissariat aux Réfugiés s’occupent de ces millions de personnes et tentent de leur donner une existence légale qui se dessine lentement. Mais les évènements politiques de la décennie suivante prennent de court la SDN et l’Office International Nansen, qui désormais travaillent à la définition d’un statut de réfugiés.

Face à cette situation, le président américain Roosevelt décide d’organiser une réunion internationale. Il sait que le sujet est pour le moins sensible et que sa marge de manœuvre est étroite, mais il espère que notamment certains pays d’Amérique du Sud accepteront d’ouvrir leurs portes aux Juifs persécutés du Reich.

Quelles solutions ont été proposées ?

Trente-deux délégations se réunissent à l’Hôtel Royal a Evian du 6 au 15 juillet. Si la plupart des pays ont accepté l’invitation de Roosevelt, cela ne veut pas dire qu’ils sont prêts à ouvrir leurs pays aux Juifs du Reich. Presque tous les pays représentés ont des lois d’immigrations strictes et certains s’apprêtent à légiférer dans le sens inverse des espoirs nourris par Roosevelt. Les discussions quotidiennes s’apparentent à une leçon de diplomatie internationale. Les délégués déclarent presque tous avoir de l’empathie pour les refugies, mais précisent que leurs pays respectifs ont déjà fait beaucoup d’efforts. Et pour éviter de dire tout haut ce que la plupart pensent tout bas, nombreux sont ceux qui précisent avoir surtout besoin d’agriculteurs et de bucherons. Inutile de dire que ces deux professions n’étaient pas les plus courantes parmi les candidats au départ du Reich.

Les deux pays qui se distinguent à Evian sont la République Dominicaine et l’Australie. La première se déclare prête a accepter des refugies du Reich; position qui n’a rien à voir avec une philanthropie humanitaire, mais plutôt l’espoir du président Trujillo de revenir sur la scène internationale. Quant à l’Australie, elle déclare ne pas avoir de problème juif et ne pas vouloir en importer un. Déclaration peu diplomatique mais qui exprime clairement ce que les autres délégués cachaient derrière le langage diplomatique.

A l’issue de la Conférence, deux résolutions principales sont prises : un plan d’émigration massive échelonné sur plusieurs années et la création d’un Comité permanent destiné à poursuivre les efforts d’Evian.

Quel refuge offrir à ces exilés ?

A l’issue de la Conférence d’Evian, les solutions sont plutôt restreintes. A la fin des années 30, les deux seuls pays qui acceptent des refugies en grand nombre sont Shanghai (sous occupation japonaise) et Cuba jusqu’à l’épisode du St. Louis en mai 1939. St. Domingue ne sera pas à la hauteur des déclarations de l’homme d’Etat dominicain, Raphaël Trujillo.

En réalité, Evian a eu pour effet de fermer officiellement les frontières. Les pays représentés à la Conférence ne souhaitaient pas envoyer un message aux réfugiés leur signalant qu’ils seraient accueillis largement. Mais cela ne veut pas dire qu’aucun refugié juif du Reich n’a pu se rendre dans ces pays. Evian a été la plateforme officielle qui a permis à ces pays d’envoyer un message fort aux réfugiés et que les nazis au pouvoir ont interprété comme le feu vert pour accélérer et accroitre en violence leur politique antisémite sans qu’aucune mesure ne soit prise par les démocraties. La Nuit de Cristal intervient quatre mois seulement après Evian.

Les États étaient-ils prêts à les accueillir, quitte à braver une partie de l’opinion publique ?

Les Etats-Unis ont promulgué une loi des quotas depuis 1924. Roosevelt envisage d’augmenter les quotas, mais il lui faut l’accord du Congres et il sait qu’il ne l’obtiendra pas. Une large majorité des Américains s’oppose à recevoir d’avantage de Juifs du Reich. L’antisémitisme est alors important aux Etats-Unis à la fin des années 30. Par ailleurs, l’Amérique n’a pas à proprement parler de politique de réfugiés, mais seulement une politique d’immigration.

Chaque fois que je présente ce sujet sur les réfugiés juifs de la fin des années 30, on me demande pourquoi Roosevelt qui était “l’homme le plus puissant du monde” n’a pas fait plus. Roosevelt était peut-être perçu comme tel, mais il reste le président d’un pays dans lequel il ne peut prendre certaines décisions sans l’aval du Congres et sans aller à l’encontre une grande partie de la population qui, rappelons-le, continue de subir le chômage du a la crise de 1929. A la question de savoir si Roosevelt aurait pu faire plus, on peut répondre qu’en 1938, il est le seul chef d’Etat qui prend l’initiative de la Conférence et qui espère pouvoir assouplir par la voie diplomatique la position de certains délégués.

Que retenir de cette crise des réfugiés ?

Evian révèle que les grands organismes internationaux de l’époque (L’Office Nansen et la SDN) n’étaient pas équipés pour répondre à une crise de cette ampleur dans un délai aussi court puisque la guerre est déclarée l’année suivante. Ils se trouveront ensuite pris de court par les évènements violents de la Nuit de Cristal qui engendre une hémorragie humaine ; près de la moitié des Juifs du Reich fuient en 1938 et 1939.

Ces organismes internationaux et leur lourde bureaucratie n’ont pas su répondre dans l’urgence parce que leur nature même les en a empêché.

Ce qui nous conduit à nous interroger sur l’aspect contre-productif d’une telle Conférence officielle par opposition a des négociations discrètes. Mais pendant la première moitié de 1938, tout espoir était encore permis et l’initiative aurait pu avoir une issue plus positive si le contexte de radicalisation politique dans de nombreux pays et une politique migratoire de plus en plus restrictive n’avaient contraint à un isolement et a une fermeture des frontières. En 1938, l’aspect “humanitaire” pour employer un anachronisme n’était pas ce qui motivait la plupart des pays.