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Publié le 8 Avril 2019

Mémoire/Opinion - Au vu et au su de la communauté internationale, le génocide au Rwanda

Au Rwanda d’avril à juillet 1994, pendant cent jours, 800.000 à 1 million de personnes ont été assassinées par l’Hutu Power, au prétexte qu’elles étaient Tutsies. Retour sur un génocide et le rôle de la France.

Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif

Le premier massacre important des Tutsis au Rwanda a lieu en décembre 1963. Entre 8.000 et 12.000 hommes, femmes et enfants sont massacrés. 300.000 Tutsis (1) environ fuient en Ouganda, au Burundi, au Zaïre et en Tanzanie. C'est ainsi que la moitié de la population tutsie se réfugie à l'étranger. Les exilés tentent à plusieurs reprises de rentrer au pays, mais la répression est sanglante. L'animosité entre Tutsis et Hutus ne cesse de croître.

Le 6 avril 1994, un sommet régional se réunit à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Mais, un attentat a lieu contre l'avion ramenant les présidents du Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. L'attentat perpétré contre le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, signe le début du génocide. Les Tutsis sont accusés sans discernement par le pouvoir alors dominé par les Hutus, de collusion avec la rébellion venue d'Ouganda.

D’avril à juillet 1994, pendant cent jours, 800.000 personnes sont assassinées sur ordre du gouvernement rwandais, par l'armée rwandaise et les milices Interahamwe, qui mettent à contribution la population civile, au prétexte qu’elles sont Tutsies, au vu et au su de la communauté internationale.

Le Hutu Power est un mouvement extrémiste et raciste qui préconisait l’élimination de toutes les personnes étiquetées Tutsi selon des critères fixés sur la carte d’identité, mais ne répondant pas à des critères ethniques. Cette distinction est la conséquence d’une interprétation raciste par la colonisation belge et les Pères Blancs de la société monarchique rwandaise (2).

Dans un entretien qu’il accordait au Crif en 2006, le docteur Richard Prasquier, de retour à cette époque du Rwanda, expliquait que ce génocide fut le résultat d’une propagande organisée, dont la sinistre radio des Mille collines n’est que l’élément le plus connu (3), jouant sur la peur (« c’est eux ou nous »), sur le slogan de l’« ennemi de l’intérieur » et d’une logistique appropriée organisée hiérarchiquement (des organes centraux aux préfets de région, des préfets aux maires de villages) (4).

Au cours de ce génocide aucune distinction n’a été faite par les tueurs entre hommes et femmes et adultes ou enfants.

Il est arrivé que des groupes entiers d’enfants (écoles, orphelinats) aient été anéantis. Le seul critère était l’appartenance à la pseudo ethnie Tutsi. On a même vu des maîtres (dans des écoles élémentaires ou secondaires) tués leurs élèves et des mères qui ont été jusqu’à tuer leurs enfants, parce que leurs pères étaient Tutsi.

Juger les commanditaires de ce génocide ?

Pour juger les commanditaires de ce génocide, le Conseil de sécurité de l'Onu a créé un tribunal spécial, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le 8 novembre 1994.

Quatre ans plus tard, le TPIR prononce ses premières peines de réclusion à perpétuité et inclut le viol et les violences sexuelles dans les actes de génocide. Ces décisions ont constitué la première reconnaissance du génocide contre la minorité tutsie rwandaise par la justice internationale. Depuis, plusieurs responsables du massacre ont été jugés par le TPIR. Des Rwandais ont aussi comparu devant des tribunaux populaires pour leur rôle présumé dans le génocide. Devant ces tribunaux, 65% des personnes jugées ont été reconnues coupables.

Cependant, selon Alain Gauthier du collectif des parties civiles pour le Rwanda, de nombreux génocidaires se cacheraient en France (5).

Le rôle de la France a suscité une vive polémique

Pour résumer, ce que l’on a reproché à la France, c’est de ne pas avoir arrêté les génocidaires et d’avoir laissé la radio Mille collines diffuser ses messages terribles. Les autorités de l’époque s’abritent derrière l’opération turquoise, qui n’avait pas d’autres mandats que de regrouper les populations tutsies et hutues menacées par les deux camps et à les protéger. Pas d’arrêter les génocidaires (6).

Cependant, les révélations du quotidien Le Monde du 15 mars 2018 (7), offrent un nouveau regard sur les ambiguïtés politiques et militaires de l’intervention de la France dans ce conflit.

Selon Le Monde, une réunion de crise se tient au palais de l’Elysée, en présence de François Mitterrand. Voilà près de dix semaines que le génocide a débuté, plus exactement depuis le crash de l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana.

Le Monde rappelle que la France s’interroge sur l’attitude à adopter face à ces massacres, dont les victimes se comptent déjà par centaines de milliers. Le Conseil de défense restreint organisé à l’Elysée vise précisément à définir la stratégie à suivre.

Le compte rendu de la réunion, classé « confidentiel défense », a été déclassifié le 14 janvier 2008 par Nicolas Sarkozy à la demande des juges d’instruction chargés de l’enquête pour « complicité de génocide » sur l’opération « Turquoise » menée par l’armée française au Rwanda, précise Le Monde. Ce document aide à comprendre la façon dont les autorités ont géré ce dossier.

Or, les responsables politiques français sont tiraillés sur le mode d’intervention.

Il apparaît, au travers des documents déclassifiés dans le cadre de l’enquête pour complicité de génocide ouverte en 2007, que la décision politique d’intervenir a été prise au cours d’une réunion de défense le mercredi 15 juin 1994 à Paris, souligne le quotidien.

Face au génocide qui a débuté après le crash de l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, les responsables politiques français sont tiraillés sur le mode d’intervention.

« Nous commencerons par le Rwanda car la situation exige que nous prenions d’urgence des mesures », déclare ainsi le président François Mitterrand. En face, le gouvernement de cohabitation est divisé sur l’attitude à tenir. Deux clans s’opposent Edouard Balladur et François Léotard, respectivement Premier ministre et ministre de la Défense, plutôt prudents et Alain Juppé, au Quai d’Orsay, plutôt interventionniste (8).

« Il faut faire vite, 2000 à 3000 hommes pourraient mettre fin aux combats. Faut-il aller plus loin et envisager une intervention pour exfiltrer les populations ? » déclare ainsi le ministre des Affaires étrangères. « Nous ne pouvons plus, quels que soient les risques, rester inactifs. Pour des raisons morales et non pas médiatiques. Je ne méconnais pas les difficultés », rétorque un Balladur, conscient mais précautionneux. Après l’intervention de François Léotard, le président fini par prendre la décision d’une intervention (9).

« C’est une décision dont je prends la responsabilité. […] Ce que j’approuve, c’est une intervention rapide et ciblée, mais pas une action généralisée. Vous êtes maître des méthodes, Amiral », conclut le chef des armées, tout en laissant l’aspect opérationnel aux mains du plus haut gradé à sa disposition, présent à ce conseil de Défense.

L’Amiral, le « maître des méthodes », c’est Jacques Lanxade, le chef d’état-major des armées, rappelle le quotidien du soir. C’est l’Amiral Lanxade qui mènera véritablement la conduite de la guerre plus que son ministre de tutelle, François Léotard. Interrogé par Le Monde, ce dernier résume toute l’ambiguïté de la France en une formule. « Du point de vue français, il faut éviter que nous soient reprochées et l’action d’hier et l’inaction d’aujourd’hui (10). »

« L’action d’hier » fait référence aux zones d’ombre de l’intervention française au Rwanda : son soutien au régime en place et aux Forces armées rwandaises alors en perdition face à l’avancée des rebelles du FPR (Front patriotique rwandais) de Paul Kagamé, actuel président du Rwanda. Désormais, écrit l’Amiral Lanxade dans son « Mémoire sur une opération militaire au Rwanda », texte classé confidentiel défense, il s’agit de « faire cesser les massacres interethniques » et afficher la « neutralité » de la France à l’égard de « chaque partie en cause (11) ».

La journée de commémoration du génocide et le travail des chercheurs

Pour lever les ambiguïtés et tenter de faire la transparence, Emmanuel Macron a annoncé dimanche vouloir faire du 7 avril « une journée de commémoration du génocide des Tutsis. » Il a annoncé la mise en place d’une commission d’historiens et chercheurs afin de faire la lumière sur le rôle controversé de Paris dans cette tragédie et apaiser la relation avec Kigali.

Cette commission aura accès à « toutes les archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994 ». Placé sous le l’égide de l’historien Vincent Duclert, cette commission aura accès à l’ensemble des archives françaises, diplomatiques et militaires sur le Rwanda entre 1990 et 94. Les chercheurs devront remettre leur rapport d’ici deux ans et la France a rendez-vous avec l’Histoire.

Notes :

1)    Ce pays est peuplé de deux principales ethnies, les Hutus, qui sont majoritaires et représentent environ 85 % de la population, et les Tutsis qui, eux, ne forment que 14 % de la population.

2)    Par une série de manipulations historiques, les colons allemands et belges vont cristalliser les différences ethniques. Ils vont mettre au point des séries de preuves pour démontrer que les Hutus et les Tutsis sont deux ethnies bien distinctes qui se sont retrouvées dans un même pays, mais qui n'ont pas les mêmes origines. Lorsque les Belges arrivent au Rwanda en 1916, ils mettent au point des cartes d'identité classifiant la population selon son ethnie. Ces cartes vont jouer un rôle important durant le génocide, car ce sont elles qui permettront aux miliciens de reconnaître ceux qu'il fallait exterminer, les Tutsis. Voir à ce sujet de Sandra Ngoga, « Le génocide rwandais : la radio Mille Collines a mis le feu aux poudres », Perspectives Monde, 8 novembre 2016.

3)    Cette radio a joué un grand rôle dans le génocide, entre avril et juin 1994. Voir à ce sujet : https://www.ina.fr/video/VDX14033724

4)    http://www.crif.org/fr/actualites/Richard-Prasquier-evoque-le-genocide-rwandais--Qui-prend-le-deuil-quand-presque-tous-sont-morts-6891

5)    France Indo, 7 avril 2019.

6)    Sur ce sujet, on peut se reporter au livre récent de Laurent Larcher, Rwanda, ils parlent, témoignages pour l'Histoire, Paris, Edition du Seuil, mars 2019.

7)    David Servenay, Les secrets de la France au Rwanda : les ambiguïtés de l’opération « Turquoise », Le Monde, 15 mars 2018.

8)    Idem et Le Parisien du 15 mars 2018.

9)    Idem.

10) Idem.

11) Pour en savoir plus : https://www.france24.com/fr/20190405-rwanda-ils-parlent-temoignages-france-role-genocide