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Publié le 12 Juillet 2016

#Opinion - L'Euro 2016 ou l'incontournable nationalisme des peuples, par Dominique Moïsi

Au moment où le Royaume-Uni quitte l'Europe, il faut se servir de cette compétition pour rebondir...

... Car l'Euro 2016 est bien l'expression apaisée des nationalismes, à ne pas confondre avec le populisme

Par Dominique Moïsi,  Professeur au King's College de Londres, Conseiller spécial à l'Ifri, publié dans les Echos le 12 juillet 2016
 
L'Europe ne peut pas ignorer les leçons de l'Euro 2016. La première et la plus importante tient au caractère incontournable, sans doute indépassable sur le plan émotionnel, du nationalisme. On ne chante avec ferveur que son hymne national. A l'heure de la mondialisation, sous le double impact de l'interdépendance et de la transparence, la quête identitaire des peuples ne fait que renforcer l'expression des nationalismes. Un nationalisme certes tempéré, « civilisé » pour partie par la construction européenne, mais plus que jamais présent. En 1982, lors d'un célèbre match France-Allemagne, l'agression délibérée du gardien de but allemand Schumacher contre le joueur français Battiston fit resurgir spontanément des souvenirs de la guerre contre les « sales Boches ».
 
En 2016, au lendemain d'un match, il est vrai infiniment plus civilisé, les Allemands félicitèrent les Français pour leur victoire. La réconciliation franco-allemande s'est approfondie avec le temps. Plus de soixante-dix ans nous séparent de la Seconde Guerre mondiale. Mais de ce fait aussi, il y a moins de volonté européenne, sinon moins d'Europe tout court. Il serait fou de penser qu'en cette période de doute intense sur notre avenir l'on puisse pratiquer une forme de fuite en avant vers toujours plus d'intégration et toujours plus de fédéralisme.
 
Certes, en ce début de XXIe siècle, parce que, comparativement, il y a toujours moins d'Européens et moins d'Europe dans le monde, alors que les défis s'accumulent à nos frontières, l'Europe comme construction politique et économique est plus nécessaire que jamais. Mais ceux qui pensent que plus d'Europe tout de suite est la seule réponse possible aux défis du présent ont-ils perçu et intégré les émotions montées des stades ? Les nations d'Europe ne sont pas l'équivalent des « contrades », ces différents quartiers de Sienne qui chaque année se livrent sur la place centrale de la ville à une compétition féroce entre des cavaliers professionnels, le plus souvent sardes et non pas siennois - vive les immigrés ! - pour remporter la course du Palio. Revenir à la petite Europe des pères fondateurs, comme le souhaitent certains, ne résoudrait pas le problème. Deux de ses membres, la France et les Pays-Bas, ont rejeté par référendum dès 2005 le traité constitutionnel européen. Ce serait de plus ostraciser des pays comme la Pologne, la Croatie, la Hongrie, la Roumanie qui se sentent pleinement européens, même si leur évolution politique s'est révélée être particulièrement préoccupante au cours des dernières années.
 
L'Euro 2016, même s'il demeurera comme un moment de bonheur inachevé pour son pays hôte, la France, n'a fait que renforcer l'image du continent européen comme une terre de football, une terre de paix aussi. Reconnaître la force des nationalismes, ce n'est pas baisser les bras face à la montée des populismes. C'est bien au contraire s'en servir comme d'un levier pour rebondir. L'Euro est l'expression apaisée et moderne des nationalismes européens... Lire l'intégralité.