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Publié le 24 Août 2020

Oradour-sur-Glane - Francis Kalifat: "J’attends que ce scandale serve d’électrochoc"

Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) réagit à l’acte de vandalisme perpétré vendredi dernier à l’entrée des ruines du village martyr d’Oradour-sur-Glane.

Publié le 23 août dans Le Figaro

Le Figaro : La profanation du mémorial d’Oradour-sur-Glane ne concerne à première vue pas les juifs. Pourtant, vous réagissez. Avez-vous hésité à le faire?

Francis Kalifat : J’ai été révolté par cet acte abject. Il est tout à fait naturel de condamner. C’est spontané, je ne me suis pas posé la question de savoir si je devais ou non réagir, d’autant que le combat du Crif n’est pas judéo-centré.

Certains pourraient vous accuser de «récupérer» ce malheur d’Oradour…

Il n’y a aucune récupération! Devant une telle abjection, je réagis en tant qu’être humain, en tant que Français et en tant que juif. Trois éléments de ma personnalité qui me conduisent à ne pas rester inerte et à réclamer, une nouvelle fois, la tolérance zéro contre le révisionnisme, qui est un poison.

"Le négationnisme a ses têtes d’affiche : hier les Faurisson, aujourd’hui les Dieudonné, les Soral, mais ces gens sont rarement condamnés". Francis Kalifat

Ces négationnismes n’ont-ils pas des objets différents ?

Il n’y a pas de différence entre un négationniste de la Shoah et un négationniste d’Oradour-sur-Glane ou d’un autre génocide. Ce sont les mêmes, qui alimentent le négationnisme de la Shoah et qui viennent aujourd’hui sur ce terrain, ce qui est un fait nouveau. On n’a pas beaucoup vu, jusque-là, ce genre de graffitis sur ces monuments où des Français ont été massacrés par les nazis. Ces mêmes négationnistes s’attaquent désormais à la mémoire de ce qu’est la France.

Comment expliquez-vous que le négationnisme puisse ainsi se répandre ?

Nous sommes malheureusement parvenus à sa banalisation. Contre la Shoah, on s’y est presque habitué. Il est pourtant sanctionné et puni mais on ne l’a pas suffisamment condamné. Il a ses têtes d’affiche: hier les Faurisson, aujourd’hui les Dieudonné, les Soral, mais ces gens sont rarement condamnés. Ils continuent leurs méfaits, ils font des émules et l’opinion s’habitue à ces théories qui finissent par se répandre. Mais nous, les juifs, nous ne pourrons jamais nous habituer à aucune forme de négationnisme.

Comment mieux lutter?

La lutte contre le négationnisme est similaire de celle que nous devons mener contre le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie. Ce sont des poisons qui corrompent les esprits et s’attaquent à notre société. Il faut les combattre avec force et de deux manières: à moyen terme, par l’éducation et l’histoire , à court terme, par la justice, qui doit agir avec force.

"Notre pays dispose d’un arsenal juridique parmi les plus aboutis en ce domaine. Il suffit d’appliquer les lois existantes et de le faire avec la plus grande sévérité".

La justice serait bienveillante ?

La justice, par les sanctions qu’elle rend, n’est pas à la hauteur du défi. Il faut que ces gens soient condamnés à des peines suffisamment fortes pour être dissuasives. On ne peut plus se contenter de rappels à la loi! Ni de condamnations si légères qu’elles rendent la récidive quasiment automatique! Dans le mémorial d’Oradour-sur-Glane, une citation d’André Malraux rappelle que «l’homme est ce qu’il fait». C’est exactement cela: nous avons des personnages abjects qui commettent des actes abjects. C’est ce qui s’est passé à Oradour, c’est ce qui se passe de manière quasi quotidienne dans notre pays, pour l’antisémitisme notamment. Malheureusement, la réponse de la justice n’est pas à la hauteur des actes commis. Et sans réponse forte, nous ne parviendrons pas à enrayer cela. J’attends que le scandale d’Oradour serve d’électrochoc. Trop, c’est trop. Il faut reprendre la main!

Beaucoup ne voient pourtant plus l’enjeu ni même la gravité de ces actes…

Il n’y a pas d’actes bénins en ce domaine. La tolérance zéro s’applique partout et rien ne doit être toléré. Je m’adresse donc aux juges: notre pays dispose d’un arsenal juridique parmi les plus aboutis en ce domaine. Il suffit d’appliquer les lois existantes et de le faire avec la plus grande sévérité. Il n’y a pas d’autre moyen en cette matière pour envoyer un signal fort à ces délinquants, racistes, antisionistes, négationnistes, sinon nous allons perdre ce combat.

Quel est l’enjeu de ce combat ?

Le combat contre une société de la haine. Elle nous tend les bras. Voyez la violence physique et verbale, partout répandue… On ne peut pas accepter que nos enfants vivent dans une société qui se détériore à ce point.