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Publié le 30 Novembre 2015

Richard Prasquier : «Le dialogue entre Juifs et chrétiens est un événement majeur du XXe siècle»

Le mois dernier, Richard Prasquier recevait le Prix de l'Amitié Judéo-Chrétienne de France 2015.

Propos recueillis par Sandrine Szwarc, publié dans Actualité Juive le 29 novembre 2015
 
Actualité Juive : Alors que l’on célèbre le cinquantième anniversaire de Nostra Ætate, quels sont les chantiers à ouvrir ?
 
Richard Prasquier : Il faut se rappeler l’histoire de Nostra Ætate, déclaration de fin de Concile issue d’un compromis tenant compte notamment des inquiétudes des Eglises chrétiennes minoritaires en terre musulmane. De ce fait et de façon stupéfiante, la Déclaration dans son fameux paragraphe 4 ne parle ni de l’extermination des Juifs (qu’on n’appelait pas encore la Shoah), ni de l’Etat d’Israël. 
 
Depuis Vatican II, la Shoah a été largement traitée par l’Eglise catholique, et de façon de moins en moins ambiguë. L’antisémitisme  n’est plus considéré comme une opinion et la procédure de béatification visant le chanoine Dehon a été une fois de plus mise de côté au vu de ses textes insupportables qu’il avait commis, celle d’Isabelle de Castille n’a pas abouti. Quant à l’ouverture des archives de Pie XII, on peut toujours espérer qu’elle est proche. Je suis de ceux qui ne pensent pas qu’elle montrera de document spectaculaire. 
 
En revanche, et malgré l’ouverture des relations diplomatiques depuis déjà une vingtaine d’années, malgré les voyages des Papes Jean Paul II, Benoit XVI et François en Israël, malgré les commentaires  sur les liens entre l’antisionisme et l’antisémitisme, l’israélophobie fait d’inquiétants progrès dans le monde religieux. Il n’est que de voir les décisions de certaines Eglises protestantes dans le monde au sujet du boycott d'Israël, la mise en exergue du palestinien comme paradigme des victimes de l’oppression et parfois même de nauséabondes allusions aux enfants tués par les Israéliens, qui rappellent le meurtre rituel dans un subconscient encore frais. 
 
Ces images sont souvent véhiculées par des chrétiens engagés et sincères, jouets d’une propagande victimaire extrêmement bien huilée et qui ne se rendent pas compte qu’ils remplacent l’image du Juif émissaire par celle d’un Israël Juif des Nations auquel ils ne laissent même pas la parole pour qu’il se défende. Bien sûr, il est très important, comme le dit le grand rabbin de France, d’accomplir ensemble, chrétiens et Juifs le travail de réparation du monde qui sous-tend notre morale commune. 
 
Mais il nous faut à mon avis évoquer aussi ces dangers d’une nouvelle diabolisation où on retrouve une véritable reprise à l’identique des mécanismes antérieurs de l’antisémitisme si bien connus, mais si facilement oubliés. 
 
Selon vous, qui sont aujourd’hui les acteurs du dialogue judéo-chrétien et quels en sont les enjeux ?
 
Pour nous en tenir à la France, ce qui est réducteur, le dialogue judéo-chrétien est  après Vatican II, une dimension complètement insérée dans l’enseignement de l’Eglise catholique et dans ses diverses instances notamment la Conférence Episcopale :  les racines juives du christianisme sont mises en exergue et l’enseignement du mépris a fait place à l’enseignement du respect envers les « frères aînés ». 
 
Il faut savoir que l’église de France a été à la pointe des évolutions, et que aussi bien Benoit XVI que le Pape François ont suivi la route tracée par Jean Paul II et ses prédécesseurs immédiats. Avec les protestants, en France les souvenirs de la guerre et d’un passé commun de mise à l’écart ont facilité la rencontre, avec les orthodoxes les relations sont plus récentes mais prometteuses. 
 
Chez les Juifs, on a l’impression d’un engagement beaucoup plus lié aux individus qu’aux institutions qui, si elles n’ont jamais refusé le dialogue, ont souvent estimé que puisqu’il était asymétrique du fait de l’histoire  et des positions théologiques, il n’y avait pas lieu de renforcer des liens qui risquaient de conduire à une christianisation subreptice. Mais le grand rabbin de France Haïm Korsia, a montré, après d’autres,  toute l’importance qu’il attachait à ce dialogue. 
 
Il faut rendre enfin hommage à l’AJCF, symbole même de ce dialogue, à Notre Dame de Sion, à la Cimade pour son action pendant la guerre et enfin au centre des Bernardins qui est devenu un haut lieu du dialogue judéo-chrétien... Lire l'intégralité.