"Après l'attentat", de Françoise Rudetzki (Calman Levy), en librairies depuis le 2 novembre 2016

 
Par Patrick Trapier, publié dans le JDD le 30 octobre 2016
 
Dans quelques jours, l'anniversaire du 13 novembre nous replongera dans la kyrielle des hommages. Le devoir de mémoire est certes indispensable, mais, rendu de manière formelle, il peut devenir contre-productif. « Si je devais additionner toutes les minutes de silence que j'ai respectées dans ma vie... », soupire Françoise Rudetzki.
 
Il y a mieux à faire, surtout quand le risque est si élevé : tirer les pleines leçons de cette série inédite d'attentats pour mieux regarder vers l'avant. «Au moins, le terrorisme nous aura-t-il enseigne ceci : le futur arrive toujours plus vite et de manière plus terrible qu'on ne le croit », écrit la fondatrice de SOS Attentats dans son dernier essai, le livre d'une femme en colère.
 
Depuis trente ans, Françoise Rudetzki bataille sans relâche contre cette forme de guerre d'une lâcheté insigne qui consiste à cibler les populations civiles. Dans ses Mémoires parus en 2004, elle avait raconté l'attentat qui détruisit sa jambe gauche en 1983 ; l'odyssée médicale toujours en cours pour rester droite ; l'indignation qui s'empara d'elle, constatant que le terrorisme était une menace sous-estimée et ses victimes des laisséspour-compte.
 
Elle ouvre grand les dossiers La plupart des dispositifs réparateurs portent sa marque : la contribution de solidarité sur les contrats d'assurance ; le fonds de garantie de victimes d'actes terroristes ; le statut de victime civile de guerre ; le soutien psychologique et le statut judiciaire ; les études épidémiologiques, on en oublie...
 
N'importe quel être sensé se serait reposé sur ses lauriers mais Françoise Rudetzki est tout sauf raisonnable, ce livre en est un nouveau témoignage revigorant. Elle y énumère, quitte à fâcher bien du monde, tout ce qui continue de dysfonctionner.
 
Ce fonds de garantie, par exemple, où elle siège en tant qu'administratrice bénévole ! Elle n'avait pas attendu les protestations des familles des tués de Charlie pour en dénoncer la pusillanimité. Dans son livre, elle ouvre grand les dossiers : l'absence d'anticipation est navrante, le traitement réserve à certaines victimes proprement scandaleux. Faut-il s'étonner d'apprendre que le directeur général du fonds, qui vient d'être relevé de ses fonctions, dirigeait en parallèle un deuxième fonds tout en occupant de très lourdes fonctions d'élu ? Le cumul des mandats est la maladie la plus grave qui frappe les élites françaises, et le pire, c'est qu'elle est devenue incurable !
 
Françoise Rudetzki lâche ses coups tous azimuts. Être victime ne saurait tout autoriser; des familles au comportement déplacé sont épinglées.
 
L'auteur rappelle que les dispositifs existants n'ont qu'une vocation : permettre aux victimes de ne pas être victimes à vie. Certains avocats voraces et certaines associations omniprésentes ne sont pas non plus épargnes : Guillaume Denoix de SaintMarc, qui accepta de signer avec les autorités libyennes un document requalifiant en « accident » l'attentat contre le DC-10 dans le désert du Ténéré ; ou l'actuel patron de la Fenvac, Stéphane Gicquel, qui congédia Françoise Rudetzki sur un trottoir : « Nous n'avons plus besoin de vous ».
 
Le livre : 
 
Dépositaire d’une expérience juridique et médicale précieuse, siégeant au Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme qu’elle a initié, habituée à interpeller les puissants et à écouter les victimes, Françoise Rudetzki était présente en janvier puis en novembre 2015 pour aider les services de secours, les équipes municipales des Xe et XIe arrondissements de Paris, les militaires, et surtout assister les victimes. Elle dut se rendre à l’évidence : malgré l’attitude exemplaire des équipes de secours médicales, le pays n’avait toujours pas de plan d’ensemble qui permettrait de coordonner les intervenants et de prendre en charge efficacement les survivants et les proches des victimes d’une attaque terroriste.
 
À l’hôpital militaire des Invalides, où elle est chargée d’une mission de formation, elle recueille les témoignages poignants de grands blessés de Charlie Hebdo, du Bataclan, des terrasses et du Stade de France dont les vies sont à jamais bouleversées.
 
Face à l’ampleur des événements et à leur répétition, et, comme toujours, en combattante qu’elle est restée, elle plaide pour une amélioration de la prise en charge et le suivi complet des victimes d’attentats par la création d’un service public dédié en liaison avec des associations. Elle milite pour la généralisation en Europe de la législation française, unique au monde, en matière d’indemnisation et a été chargée d’une mission préfigurant la création d’un centre de la résilience.
 
Françoise Rudetzki le dit tout net : il va falloir apprendre à vivre avec le terrorisme. Et donc savoir « réparer les vivants », qu’ils soient victimes directes ou indirectes de cette barbarie.