Chantée par Jamala à l'Eurovision, la déportation des Tatars de Crimée se poursuit 72 ans après

 
Par Anna Dolya Devenez, spécialiste de l'analyse géopolitique de l'Ukraine et des pays CEI, publié sur le Blog du Huffington Post le 18 mai 2016
 
A trois jours de l'anniversaire de la déportation des Tatars de Crimée par Staline, la chanteuse ukrainienne Jamala, Tatare de Crimée, a remporté le concours de l'Eurovision 2016 à Stockholm.
 
La jeune femme a présenté sa chanson "1944" qui évoque cette page tragique de l'histoire de son peuple, la déportation connue sous le nom de "Sürgün" (Premier Exil). Elle est arrivée sur scène ce jour-là en exprimant la douleur de tous les Tatars de Crimée et a fait découvrir à toute l'Europe cette tragédie qui a changé leur destin à jamais. L'ambassadeur de l'Union européenne en Ukraine, Jan Tombinski, a félicité Refat Tchoubarov, président du Mejlis, l'Assemblée des Tatars de Crimée, pour la victoire de Jamala. Selon lui, "La vérité ne peut pas être cachée, notamment la vérité sur la déportation des Tatars de Crimée. Et il est très bien que la chanson puisse être un outil de transmission de cette vérité, non seulement aux ukrainiens, mais aussi à tous les européens".
 
18 mai, 72ème anniversaire de la déportation massive
 
Ce 18 mai, les Tatars de Crimée commémorent le 72ème anniversaire de la déportation massive de leurs ancêtres, orchestrée par le régime soviétique. Une commémoration qui cette année a un goût particulièrement amer au vu de la situation particulièrement alarmante des droits de l'Homme pour les Tatars de Crimée, depuis l'annexion illégale de la péninsule par la Fédération de Russie en mars 2014. Depuis lors, près de 20.000 Tatars de Crimée ont été obligés de quitter la péninsule sur les 200.000 environ qui y vivaient auparavant. Aujourd'hui, le peuple tatar de Crimée est à nouveau chassé de sa patrie historique. Soixante-douze ans plus tard le pouvoir russe oblige les Tatars à revivre la tragédie de Sürgün.
 
Les Tatars de Crimée constituent le peuple autochtone de la péninsule. Ils sont à l'origine du Khanat (royaume) de Crimée, fondé en 1441. Vers la fin du XVIIIe siècle, l'impératrice russe Catherine II a annexé ce territoire au profit de l'Empire Russe, et le Khanat de Crimée a cessé d'exister. Au cours des décennies suivantes, les Tatars sont devenus minoritaires dans la péninsule, l'Empire russe le colonisant en y installant un grand nombre de paysans russes. Ce fut le début d'une première période tragique de l'histoire des Tatars de Crimée, qu'ils appellent "l'âge noir".
 
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils ont vécu la plus grande tragédie de leur histoire. L'ensemble de la population tatare, environ 200.000 personnes, a été déporté de Crimée sur ordre de Staline, sous prétexte de collaboration avec les nazis. L'opération, à laquelle ont participé 32.000 agents du NKVD*, a duré 2 jours, du 18 au 20 mai 1944. Au moment de la déportation, la plupart des hommes tatars étaient mobilisés dans les rangs de l'Armée rouge pour combattre l'ennemi nazi. Les autres, ceux qui, pour diverses raisons, n'avaient pas été mobilisés, ont été envoyés dans des camps de travail. Ainsi, ce sont surtout les femmes et les enfants qui ont été déportés initialement... Lire l'intégralité.