A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 27 Novembre 2015

«Le mal n’aura jamais le dernier mot»

Résistance et lutte contre l'antisémitisme en littérature : entretien avec Michaël de Saint-Chéron à propos de ses deux derniers ouvrages.

Entretien recueilli par Alexandra Profizi, publié dans la Règle du Jeu le 25 novembre 2015
 
Vous êtes philosophe des religions et chercheur en littérature. Vous êtes l’auteur d’une trentaine de livres et votre dernier livre vient de paraître sous le titre Les Ecrivains français face à l’antisémitisme de Bloy à Semprún (Salvator). Vous avez été l’interlocuteur de grands penseurs tels que Malraux ou Levinas. Vous vous êtes intéressé dans votre précédent livre à la résistante Geneviève de Gaulle Anthonioz, nièce du général, récemment panthéonisée en 2015.
 
Pouvez-vous nous décrire son parcours, la Résistance et la déportation à Ravensbrück, puis ses engagements plus tardifs, notamment contre la pauvreté ?
 
Michaël de Saint-Cheron : Née en 1920, Geneviève de Gaulle, s’engagea dès 1941-42 dans le mouvement Défense de la France. Arrêtée par l’inspecteur Bonny, célèbre SS français, elle fut remise à la Gestapo au soir du 20 juillet 1943, puis sans avoir été torturée mais « un peu battue » elle se retrouvé à Fresnes. Déportée dans le convoi des 27 000 (correspondant aux numéros tatouées sur les déportées) composé de 1000 femmes parties par le convoi du 31 janvier 1944, elle arriva à Ravensbrück avec ses camarades de misère le 3 février. Elle faillit mourir plusieurs fois de maladies graves. Himmler ayant découvert qu’il la détenait, demanda qu’elle fut épargnée et mise au secret, car il comptait l’échanger ainsi que d’autres membres de la famille de Gaulle qu’il détenait, et écrivit dans ce sens au général de Gaulle, qui ne répondit pas. Ce fut pour elle une expérience terrible de solitude et d’angoisse mais qui lui épargna durant un temps l’horreur du camp et des travaux forcés. Finalement, elle fut évacuée fin février 45 par deux SS et une surveillante pour être – du fait de l’arrivée des armées alliées – remise à un délégué de la Croix-Rouge Internationale le 20 avril, à la frontière suisse.
 
Dès son retour, elle milita activement à l’Association des anciennes internées et déportées de la résistance (ADIR) dont elle devint la présidente de 1958 à 2000. Elle prépara avec Germaine Tillion, Anise Postel-Vinay et d’autres camarades, les procès des criminels de Ravensbrück. A l’automne 1958, alors qu’elle est au cabinet d’André Malraux au ministère qui devint en 1959 le ministère d’Etat des affaires culturelles, Geneviève rencontra chez une amie, le père Joseph Wresinski, aumônier du bidonville de Noisy-le-Grand. Sa rencontre avec les laissés-pour-compte, les exclus de notre société, va l’engager au mitan de sa vie pour une nouvelle résistance, un nouveau combat mondial, la lutte contre l’exclusion. En 1964, elle prend la présidence d’Aide à Toute-Détresse – ATD Quart-Monde France, alors qu’est créée la branche internationale de l’association que présida de longues années la diplomate néerlandaise, Alwine de Vos van Steenwijk. En 1988, Geneviève de Gaulle est nommée à titre d’expert, membre du Conseil Economique et Social, à la mort du père Joseph. De 1994 à 1998 elle porta avec ses alliés d’ATD Quart Monde et la commission des affaires sociales du CES le projet de loi contre l’exclusion et la grande pauvreté, qu’elle présenta à l’Assemblée Nationale le 15 avril 1997. La Loi d’orientation fut adoptée finalement le 9 juillet 1998. Cette question de l’exclusion et la grande pauvreté constitue avec celle de la mémoire des camps, les deux questions fondamentales qui ont marqué sa vie au plus profond de sa chair et de son esprit.
 
Il m’a paru que cette femme admirable incarnait au plus haut sens du mot l’éthique, la responsabilité, dirons-nous la « sainteté » selon Levinas, sainteté non-confessionnelle. Bien sûr, elle aurait refusé catégoriquement l’emploi d’un tel mot pour elle. Ce mot qui fait peur à plus d’un, qui n’y voient qu’une acception catholique, chrétienne, Levinas, si profondément juif, le qualifiait, lui, d’idéal absolu, irrévocable, de l’être humain. Je suis « pour » l’emploi du mot, avec Levinas ! Pour lui, ce qui séparait l’homme de l’animal c’était la sainteté qu’aucun homme, qu’aucun ordre moral ne pouvait écarter d’un revers de la main. Eh bien, Geneviève portait au plus profond d’elle cette exigence éthique qui se trouve au cœur même de l’autrement qu’être lévinassien... Lire l'intégralité.
CRIF