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Publié le 21 Novembre 2011

Gaston Defferre, par Gérard Unger (*)

Grand ami du peuple juif et d’Israël (1), Gaston Defferre, figure incontournable en son temps du socialisme français, maire de Marseille pendant un tiers de siècle, est aujourd’hui un peu oublié. Peu de livres, par ailleurs, lui ont été consacrés. C’est pourquoi on sera reconnaissant à Gérard Unger, chef d’entreprise mais aussi historien, auteur de deux biographies remarquables consacrées l’une à Lamartine (2) l’autre à Aristide Briand (3), de nous offrir une étude particulièrement bien documentée sur cet avocat, résistant de la première heure, devenu patron de presse avant de se lancer à la conquête de la deuxième ville de France.




C’est le 14 septembre 1910 à Marsillargues que naît Gaston Defferre, au sein d’une famille protestante qui comptera quatre enfants. Le père, Paul Defferre, avocat, est souvent empêtré dans des dettes de jeu, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la vie familiale et conduira à un « exil » à Conakry en Guinée puis à Dakar au Sénégal.



En 1931, licencié en droit, Gaston Defferre s’inscrit au barreau de Nîmes puis à celui de Marseille où, en quelques années, il se bâtira une bonne réputation d’avocat. Très tôt, la politique le passionne et il adhère à la SFIO en 1933. La déclaration de Guerre, le 2 septembre 1939, va bouleverser les projets du jeune Gaston Defferre qui se voyait déjà riche financier tout en lorgnant sur la mairie de Marseille. Defferre entre en Résistance et deviendra successivement, à la tête du réseau « Brutus », « Danvers », « Gaston Leroux » puis « Cassius ».



« Action armée, responsabilités politiques : Defferre n’oublie pas que, pour diriger Marseille, il lui faut un grand journal » nous dit avec beaucoup de lucidité Gérard Unger. Et, de fait, le 22 août 1944, tandis que les combats de rue font rage à Marseille, les hommes de Defferre prennent le contrôle du Petit Provençal qui, dès le lendemain devient Le Provençal avec, en sous-titre : « Organe des patriotes socialistes et républicains ».



Au lendemain de la Libération de la ville, une délégation municipale est installée avec, à sa tête, Gaston Defferre. Marseille est un champ de ruine et tout est à reconstruire. Parallèlement, Defferre, dont on notera au passage qu’il a « une solide réputation d’anticommuniste », est désigné par la SFIO, dont il est membre du comité directeur, comme député à l’Assemblée consultative. Mais la mairie va lui échapper au profit d’un ancien douanier, Jean Cristofol. La conquête de la cité phocéenne n’interviendra qu’aux élections municipales d’avril-mai 1953.



La carrière nationale de Gaston Defferre commence après le départ du général de Gaulle. Dans le gouvernement de Félix Gouin, il succède à André Malraux comme secrétaire d’État à la présidence du Conseil chargé de l’Information (Il n’obtiendra un « vrai » portefeuille ministériel que sous le gouvernement de René Pleven en 1950 où il sera ministre de la Marine marchande). Il fera adopter la fameuse loi sur la presse, toujours en vigueur. Plus tard, ce sera la loi sur la décolonisation en 1956 et celle sur la décentralisation en 1981 à laquelle son nom demeure attaché. Un détail peu connu : il eut comme conseiller Jean Genêt, le célèbre auteur des « Bonnes ».



Pour ce qui est de sa relation très privilégiée avec Israël, Gérard Unger écrit : « Chaud partisan de l’État d’Israël depuis sa création en 1948, il œuvrera pour le jumelage entre Marseille et Haïfa et fera de nombreux voyages dans le pays ». Une forêt a d’ailleurs été plantée en son nom en Israël.



Gaston Defferre se lancera par deux fois dans la course à l’élection présidentielle, en 1965 et en 1969. Il soutiendra, bien sûr, François Mitterrand. Il est mort le 7 mai 1986. Lors de son enterrement, son cercueil, entouré par des marins-pompiers, fut porté par huit jeunes gens : deux Chrétiens, un Juif, un Musulman, un « Beur », un Asiatique, un Africain et un Arménien. Tout un symbole.



Le portrait extraordinaire et très fouillé de Gaston Defferre, avec ses hauts et ses bas, que brosse pour notre plus grand plaisir, Gérard Unger ne laisse aucune zone d’ombre et n’épargne pas l’homme privé. Jeune homme, Defferre fut un dandy très attaché à sa tenue vestimentaire, avec un goût prononcé pour les aventures féminines, les voitures de luxe et, comme il était un grand amateur de voile, le bateau. Plus tard ce sera la chasse et la photographie. Sans oublier sa passion pour l’opéra et le football : sous Gaston Defferre, en 1972, l’OM réalisera le doublé coupe-championnat. Jeune, il lui arrivait même, apprend-t-on, de passer la nuit dans des maisons de passe ! Il se maria une première fois en 1935 avec une militante juive de gauche, Andrée Aboulker qui, lasse de ne plus le voir régulièrement, finit par s’enticher de son cousin, le célèbre José Aboulker l’un des libérateurs d’Alger. Le couple divorcera le 23 mars 1945. Après la Guerre, il retrouvera Marie-Antoinette Swaters Landry de Barbarin alias « Paly » qu’il épousera le 14 septembre 1946. Et c’est le 30 octobre 1973, en Avignon, après avoir divorcé de « Paly », qu’il épousera en troisièmes noces et en présence d’un prêtre et d’un pasteur, Edmonde Charles-Roux, prix Goncourt de littérature en 1966.



Defferre c’est aussi l’homme politique qui, par deux fois, provoquera en duel un adversaire et, dans un tout autre domaine, celui qui comprendra le mieux le drame des « pieds noirs » et fera ériger un monument en leur honneur.



Parmi les détails intimes, on notera par exemple que suite à un accident de jeunesse, Gaston Defferre sera contraint toute sa vie de porter des chaussures orthopédiques.



L’auteur a choisi comme intitulé des chapitres de son livre une série de verbes qui sont autant d’indications sur la vie de son héros : Résister, Résister encore, Libérer, Agir et reconquérir, Administrer et décoloniser, Conserver et tenter, Seconder et décentraliser, Résister jusqu’au bout.
« Je ne suis pas très intelligent » aimait dire Gaston Defferre sans en penser un mot avant d’entamer une conversation. Cet homme timide et réservé, qui gardait au fond de lui la blessure secrète de ne pas avoir eu d’enfant et qui ne fut ni un grand orateur ni un leader charismatique, fut incontestablement , on s’en persuade au fil de la lecture de la biographie de Gérard Unger, un grand bâtisseur, un excellent gestionnaire et un politicien de talent.



Enfin, le livre de Gérard Unger est aussi, en quelque sorte, une ode à Marseille car l’auteur nous raconte, parallèlement, l’histoire de la ville en remontant parfois loin dans le temps. Marseille, deuxième ville de France, à laquelle Defferre aura consacré une grande partie de son énergie. « Il a aimé cette ville comme l’enfant qu’il n’a pas eu » dira sa secrétaire, Simone Orsoni.



Pour Serge July, Defferre aura été un « corsaire de la politique », un homme, nous dit Unger, qui résista « à tout ce qui est contraire à l’humanisme, à tout ce qui abaisse, avilit et finalement détruit ».



Un beau cahier iconographique agrémente cet ouvrage très intéressant. À découvrir.



Jean-Pierre Allali



Notes :



(*) Éditions Fayard. Septembre 2011. 400 pages. 26 euros.



(1) La véritable histoire d’amour entre Gaston Defferre, les Juifs de France et Israël est tout entière contenue dans l’interview qu’il accorde à Emmanuel Haymann pour Tribune Juive le 30 avril 1980, partiellement reproduite dans l’ouvrage de Gérard Unger : « Qu’un Juif vivant en diaspora descendant d’un autre Juif ayant quitté son pays parce qu’il a été chassé de chez lui depuis près de deux mille ans se sente proche d’Israël, cela me paraît tout à fait normal et je n’y vois rien à redire. Qu’il y ait une solidarité entre Israël et les Juifs n’a jamais empêché les Juifs de se conduire comme ils devaient le faire à l’égard de leur patrie, en particulier la France. Pendant la Résistance, beaucoup de mes camarades juifs ont été arrêtés et déportés, parfois tués non comme juifs mais comme résistants. Quand ils sont entrés dans le réseau, on ne leur avait pas demandé leur religion, pas plus que lorsqu’ils étaient mobilisés dans l’armée ».



(2) Lamartine. Poète et homme d’État. Éditions Flammarion. 1998.



(3) Aristide Briand. Le ferme conciliateur. Éditions Fayard. 2005.



Photo : D.R.