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Publié le 27 Juin 2007

Jacob Kaplan. Un rabbin témoin du XX è siècle Par David Shapira (*)

Rédigée en hébreu dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université hébraïque de Jérusalem, la biographie du Grand rabbin Jacob Kaplan qui nous est proposée dans sa version française est rien moins que remarquable. Si la vie, particulièrement riche et pleine d’enseignements, du leader spirituel et communautaire de premier plan que fut Jacob Kaplan, constitue l’ossature chronologique de l’ouvrage, son grand intérêt réside en l’analyse fine et bien documentée des événements, nationaux et internationaux qui ont accompagné sa longue carrière.


Né à Paris, dans le quartier Saint-Paul, le pletzel, au sein d’une famille juive très pieuse d’origine lituanienne, Jacob Kaplan, fils du casquettier Benjamin Kaplan et d’Edel Klein, dont la vocation fut précoce, entra en 1908 au séminaire de la rue Vauquelin. Ses études furent interrompues par la Première Guerre mondiale et il se retrouva engagé dans la 411ème division d’infanterie. Blessé, décoré, avant d’être rendu à la vie civile, il recevra son diplôme en 1921. Première nomination à Mulhouse en 1922. Dès lors, sa carrière rabbinique est lancée : synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, Grande synagogue de la Victoire, Vichy, dont il sera expulsé avec sa famille, Lyon, Paris à nouveau. Grand rabbin de Paris, Grand rabbin de France par intérim, Grand rabbin de France, enfin en 1955.
La carrière du Grand rabbin Kaplan fut loin d’être un long fleuve tranquille. Très objectivement, David Shapira, qui a eu accès à des archives familiales et qui s’est entretenu avec de nombreux témoins, ne laisse aucun épisode dans l’ombre. Ainsi de l’affaire très controversée des Croix-de-feu, mouvement nationaliste qui, dans les années trente, comptait de nombreux Juifs dans ses rangs et qui participait à des offices célébrés par Jacob Kaplan à la Victoire. Pour Shapira, cette mouvance n’était pas antisémite. D’autant plus que son dirigeant, le colonel de La Rocque, condamnait l’antisémitisme. Quant au rabbin, malgré les rumeurs persistantes, il n’a jamais appartenu aux Croix-de-feu. « C’est donc bien la Lica qui présentait la ligue des Croix-de-feu comme antisémite. Cette image persiste jusqu’à aujourd’hui » dit l’auteur, qui rappelle un discours de Jacob Kaplan à l’intention des Croix-de-feu : « car tout en n’ayant pas l’honneur d’être inscrit votre groupement, je ne puis m’empêcher de me considérer de tout cœur comme l’un des vôtres ».
Pour David Shapira, « La condamnation sans équivoque par La Rocque de l’antisémitisme et l’action passive des Croix-de-feu dans les manifestations du 6 février 1934 permettaient sans doute aux instances consistoriales d’établir une coopération qui était de première importance dans l’ordre stratégique : lorsqu’une communauté minoritaire est menacée et assaillie, elle cherche désespérément à grossir les rangs de ses sympathisants ».
Ainsi aussi, bien plus tard, en 1985, de l’affaire de la conversion de Béatrice Caracciolo di Forini, descendante d’une famille de la noblesse napolitaine et future épouse d’Éric de Rothschild, qui se fera à Kénitra au Maroc avec le soutien de Jacob Kaplan, mais en opposition avec les attendus du Tribunal rabbinique de Paris. « Jacob Kaplan avait-il commis une erreur en acceptant de donner sa caution morale et sa bénédiction nuptiale au couple Rothschild ? » se demande Shapira.
Sioniste de la première heure, dépassant largement les attributions d’un chef spirituel pour intervenir dans le débat politique et défendre le droit d’Israël à la paix et à la sécurité, Jacob Kaplan fut un ardent défenseur de l’État juif.
Cet aspect, pour le moins original, du combat de Jacob Kaplan permet à l’auteur de nous donner un éclairage intéressant sur la répartition des rôles entre le Consistoire, le rabbinat et le CRJF qui deviendra le CRIF. Rappelant que le Conseil Représentatif des Juifs de France fut lancé grâce à la médiation du dirigeant sioniste Joseph Fisher, David Shapira note, selon lui, que longtemps, le rôle du CRIF fut mineur compte tenu de sa « composition interne disparate ». Cela n’empêcha pas des actions communes, comme en 1944, où Jacob Kaplan accompagna une délégation du CRJF aux États-Unis, voyage financé par le ministère des Affaires étrangères en vue de mettre sur pied une œuvre de restauration de la communauté lourdement éprouvée par la Guerre et par la Shoah. Ou, plus tard, en 1967, lors de la Guerre des Six Jours où le président du CRIF, Vidal Modiano, le tînt constamment informé de la situation des Juifs réfugiés originaires des pays arabes puis, en 1973, lorsque le président du CRIF, Ady Steg et le Grand rabbin publièrent une déclaration commune relative à l’embargo français sur les armes. Les deux hommes rencontrèrent d’ailleurs ensemble le Premier ministre Pierre Messmer. En 1977, c’est avec Alain de Rothschild, président du CRIF et du Consistoire, que le Grand rabbin Kaplan se rendit à l’ambassade de Russie pour remettre une lettre destinée à Leonid Brejnev relative au sort des refuzniks soviétiques.
Luttant de toutes ses forces contre l’antisémitisme, le rabbin Kaplan fut, dans les années trente, un partisan convaincu du CDV, le Centre de Documentation et de Vigilance, ancêtre méconnu des observatoires actuels.
L’accueil des Juifs d’Afrique du Nord, la lutte pour la liberté des Juifs d’URSS, l’affaire Finaly, le rapprochement avec la chrétienté et tant d’autres combats essentiels ont mis le Grand rabbin Kaplan à la pointe des actions menées par la communauté juive de France.
Le Grand rabbin Kaplan, qui avait officiellement cessé ses activités le 1er janvier 1981, s’est éteint, presque centenaire, le 5 décembre 1994. Il avait choisi pour devise un adage du rabbin Kook : « L’hébreu mène à la Bible, et la Palestine à Dieu ». Nul doute qu’il maintînt vivace cette pensée. Il était marié à Fanny Dichter, elle-même fille de talmudiste et père de cinq enfants.
Des notes qui sont souvent de petites biographies, très intéressantes et utiles, des personnages évoqués dans le livre, agrémentent cet ouvrage d’une excellente qualité.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Albin Michel. Février 2007. 400 pages. 22 €