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Publié le 15 Juillet 2008

La Discorde. Israël-Palestine, les Juifs, la France Par Rony Brauman et Alain Finkielkraut(*)

Quand on connaît le rejet quasi viscéral du sionisme et d’Israël que manifeste, dans ses prises de position, l’ancien président de « Médecins sans frontières », qualifié, on s’en souvient de « traître » par Alexandre Adler, on imagine sans peine le courage, le cran qu’il a fallu à Alain Finkielkraut, « Finkie » pour les intimes et les admirateurs, pour accepter ce défi d’un dialogue discordant sur un sujet brûlant et qui fâche : « Israël-Palestine, les Juifs, la France ». On mesure aussi la ténacité de la modératrice, Elisabeth Lévy, journaliste au Point et à Marianne pour revenir à la charge auprès des deux intervenants, trois années durant. « Si Rony a très vite accepté, arracher le consentement d’Alain a été un tour de force ». Car « Les deux hommes qui se font face sans se regarder ne sont pas des intellectuels en désaccord ou des adversaires politiques, mais des ennemis ».


A Rony Brauman qui ouvre le feu en assénant : « Vous invoquez les grands principes, vous vous concentrez sur les discours pour ne pas voir le réel : l’oppression d’un peuple par un Etat juif devenu une citadelle surarmée, la spoliation constante des Palestiniens », Alain Finkielkraut réplique, d’entrée de jeu : « La haine des sionistes est la marque progressiste de la haine des Juifs. Je ne dis pas que vous êtes complaisant avec l’antisémitisme, mais vous ne le voyez pas, ni en France, ni ailleurs. Et votre aveuglement est un permis de haïr ». Le ton, d’emblée est lancé. Il se maintiendra au cours des ans.
30 juin 2004. A Alain Finkielkraut qui explique qu’il a très tôt pressenti que du fait d’Israël, les Juifs auraient plus souvent à répondre de l’accusation de nazisme qu’à se battre contre les résurgences de l’antisémitisme nazi, Rony Brauman tient à rappeler que son père était un militant sioniste et que lui-même , longtemps, a partagé ses idées. Quant à Alain Finkielkraut, c’est un « Israélien imaginaire » qui, en avril 2002, lors d’une manifestation organisée par le CRIF, a été acclamé aux cris de « Finkielkraut, roi d’Israël », ce que dément l’intéressé. « Je ne suis pas contre Israël », précise Brauman, mais contre la politique de ce pays qui « se caractérise par une expansion territoriale continue… »
Brauman refuse la « légèreté » et la « brutalité » du président du CRIF, Roger Cukierman, qui, lors du déclenchement de l’Intifada, déclare que « L’ensemble des Juifs de France se range inconditionnellement derrière Israël ». Il ne veut pas être enrôlé dans cet ensemble dont il estime ne pas faire partie, même s’il est lui-même d’origine israélienne. Finkielkaut lui reproche de faire partie de ceux qui cherchent à « judaïser la haine des Juifs ».
Citant-il aurait pu trouver mieux comme référence-le député arabe israélien Azmi Bishara qui affirme : « Israël est un Etat démocratique pour le Juifs et juifs pour les Arabes », Brauman évoque l’idée éculée d’un Etat binational, un « piège » pour Finkielkraut car un tel Etat n’est le « projet » de personne.
24 juillet 2004. Si l’on en croit l’ancien président de la Knesset, le Parlement israélien qui s’est exprimé dans Le Monde, « le sionisme est mort ». Alain Finkielkraut : « Non ! ». « Le sionisme est même l’un des seuls mouvements nationaux au XXème siècle, qui n’ait pas débouché, au nom de l’identité culturelle, sur une dictature ». Pour Rony Brauman, le sionisme originel a échoué, il faut le dépasser pour aller vers l’ « israélité », vers le « métissage organisé ». Répartie cinglante de Finkielkraut : « Le métissage réalisé, c’est le métro ou la galerie marchande. La France est en train de devenir le métro. Quitter un pays-métro pour un pays-pays : voilà l’une des raisons qui peuvent conduire certains Juifs français à s’établir en Israël ». Les Israéliens sont des colonialistes dit Brauman. Non, ils n’ont fait que gagner des guerres dit Finkielkraut, ce n’est pas pareil !
La clôture de sécurité est-elle un « Mur de l’apartheid » comme le prétendent certains ? Alain Finkielkraut s’énerve : « Mais de quoi parle-t-on ? Y-a-t-il à l’arrière des autobus israéliens des places réservées pour les Arabes ? Y-a-t-il des établissements interdits aux non-Juifs ? Y-a-t-il pour la loi israélienne, des hommes qui sont moins hommes que d’autres ? La hiérarchie des races est-elle au principe du vivre-ensemble ? Seuls les Juifs sont-ils citoyens de l’Etat juif ? Non, bien sûr »
24 juillet 2004-11 septembre 2004. Le combat se poursuit autour du « nouvel antisémitisme » à présent. Un point d’accord semble se dessiner. Finkielkraut : « Nous subissons en France la retombée de l’antisémitisme qui se déchaîne aujourd’hui en Afrique et dans le monde arabo-musulman ». Brauman : « Je ne conteste pas pour autant l’existence de discours et de comportements violents antisémites. Les insultes et les tags antijuifs sont malheureusement bien réels, particulièrement dans les quartiers et cités dits sensibles ». Mais cette apparente communion ne dure pas car pour Brauman, la fameuse « affaire du Lycée Montaigne » est un faux, ce qui a le don d’irriter son vis-à-vis : « Un faux, comme vous y allez ! »
20 juin 2006. Deux ans ont passé. La discussion reprend. Mémoire de la Shoah, vérité historique, esclavage, génocide, lois mémorielles, négationnisme. Les points d’accord sont un peu plus nombreux, avant que Brauman dérape encore à propos du meurtre d’Ilan Halimi : « la manifestation appelée par le CRIF le 26 février était parfaitement malvenue, en ce qu’elle disqualifiait la prudence en lâcheté ou en aveuglement. On ne pouvait pas conclure si rapidement que cela à la dimension antisémite primordiale de cette horreur ». Décidément Brauman n’apprécie pas beaucoup le CRIF !
20 juin-16 août 2006. Gaza et le Liban sont au programme. Le retrait de Gaza. Oui, pas mal, dit Brauman, mais pourquoi ne pas avoir synchronisé cette action avec les Palestiniens ? Et puis, tandis qu’on évacue Gaza, on s’implante un peu plus en Cisjordanie ! « Et les tirs incessants sur Sderot », lance Finkielkraut. « Parlez-nous de Sderot ! ». Réponse : « rien ne peut changer tant que les Israéliens prétendront décider eux-mêmes de l’identité de ceux avec qui ils accepteraient de négocier ». Entendez le Hamas, bien sûr.
Et pour ce qui est du Hezbollah et de la guerre au Liban, Finkielkraut pense que le parti de Dieu fait du bourrage de crâne et Brauman que « même si le Hezbollah est affaibli, cette guerre a été un échec désastreux ».
16 août 2006. L’épilogue. Il est temps d’enterrer la hache de guerre. Les adversaires sont au bord de l’épuisement. Pour Elisabeth Lévy, « Ce dialogue a souvent été difficile, il n’a jamais été médiocre ».
Intéressant et passionnant.
Jean-Pierre Allali
(*) Conversations avec Elisabeth Lévy. Editions Flammarion. Février 2008. 384 pages. 9 euros
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