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Publié le 13 Juin 2006

Le football, une peste émotionnelle Par Jean-Marie Brohm et Marc Perelman (*)

À l’heure où la planète entière est littéralement hypnotisée devant des millions d’écrans de télévision pour suivre le déroulement du « Mondial 2006 » en Allemagne, voici un livre qui tombe comme un pavé dans la mare, une provocation, diront certains, un message rafraîchissant et libérateur, estimeront d’autres.


Les auteurs, spécialistes de la « Théorie critique du sport », qui connaissent parfaitement leur sujet et qui lui ont consacré plusieurs ouvrages, se lancent avec cette étude particulièrement documentée, dans une véritable entreprise de démolition du football et des « footeux ». La démonstration est éloquente et les exemples aussi divers qu’édifiants.
Car, pour eux, loin d’être cette grande messe unificatrice, ce sport populaire qui permet l’intégration des populations les plus défavorisées, le foot, « inquiétant indice de la régression culturelle généralisée » est « non seulement une peste émotionnelle qui tétanise les masses populaires mais aussi une forme de lobotomisation qui frappe indistinctement les intellectuels, à droite comme à gauche, au centre comme aux extrêmes ».
Nous sommes devant une véritable épidémie où un sport « d’essence nécrophile » et qui, à sa manière, « est l’expression de la colonisation capitaliste du monde » étend ses tentacules sur la planète. Le foot, c’est avant tout un énorme business qui brasse des milliards et qui, à travers les droits télévisés et les produits dérivés, les négociations du « mercato », le marché des joueurs, est une gigantesque multinationale aux profits exponentiels. Plus cher, toujours plus cher. Achetés et vendus comme de vulgaires marchandises, générant au passage des commissions de toutes sortes, les joueurs atteignent des sommets. Tel le brésilien Denilson vendu pour le prix d’un Boeing 737 ! « Le marché des joueurs n’est donc guère différent d’une foire aux bestiaux avec ses maquignons, ses fournisseurs et ses intermédiaires ». Sans compter que les transactions ne sont pas toujours régulières : « Le football professionnel est en effet depuis fort longtemps une suite de scandales, escroqueries, caisses noires, dessous de table, salaires et primes non déclarés, faux en écriture, détournements, fraudes, truquages, arrangements et autres pratiques crapuleuses ». Si encore, il n’y avait que l’argent. Ce n’est hélas que la face la plus visible et, selon les auteurs, la plus scandaleuse, face au chômage, à la précarité et à l’exclusion qui ravagent l’Europe. Mais il y a pire. Le foot, c’est aussi la violence qui « colle en effet au football comme les mouches à la glu ». Des milliers de morts et de blessés. Ainsi, à Mogadiscio, en juillet 1990, lorsque des centaines de spectateurs, à la mi-temps, veulent, parce que c’est un vendredi, utiliser la pelouse pour une prière collective. Intervention de l’armée, affolement général. Bilan : 62 tués, 200 blessés.
Le foot, c’est aussi une « compétition biochimique intense », la « spirale mortifère du dopage scientifique ». Chaque jour, de nouveaux produits indétectables sont mis au point pour doper les grandes stars du ballon rond.
Le foot, enfin, c’est la lèpre du hooliganisme, du racisme et de l’antisémitisme. Il ne faut pas se voiler la face et nier l’évidence, à savoir « la profonde affinité de tous les mouvements totalitaires avec le sport de masse, particulièrement le football » et que « l’extrémisme meurtrier des djihadistes islamistes se retrouve à divers degrés dans l’enthousiasme belliqueux des supporters ou le fanatisme des hooligans ». Le mal est incurable et se généralise. Ainsi le Paris-Saint-Germain, qui « est depuis des années l’un des foyers d’infection de la peste fasciste, raciste et antisémite ». Qu’on songe aussi au Legia Varsovie qui « compte ainsi de nombreux hooligans néo-nazis ». Ou aux déboires de l’Ajax d’Amsterdam, véritable cas d’école. Bien qu’en majorité non-Juifs, les supporters de l’Ajax ont pris l’habitude de se désigner comme Juifs. Lors des matches, ils agitent des drapeaux israéliens en criant « Joden, Joden » (1). Ce qui n’est pas du goût de leurs adversaires qui leur lancent « Hamas, Hamas ! Les Juifs dans les chambres à gaz » et ponctuent leurs vociférations de « sssssss », supposés représenter le bruit du gaz dans les camps d’extermination.
Écoeurant ! Et pourtant, à droite comme à gauche, les intellectuels de toutes origines entonnent régulièrement des odes à la gloire du football. « Durant les années 1990, le football a donc été consacré comme la nouvelle langue universelle des peuples avec l’appui indéfectible de nombreux intellectuels ». Alain Finkielkraut et Daniel Cohn-Bendit, Sonia Rykiel et Didier Daenincks, Alain Lipietz et Edgar Morin, Michel Le Bris et Roland Castro, Blandine Kriegel et Daniel Bensaïd, Olivier Besancenot et Jean-Luc Godart, Jacques Julliard et Laurent Joffrin, Max Gallo et Pascal Boniface, Christian Bromberger et Bernard Pivot, Malek Boutih et Jamel Debbouze. Le Monde comme L’Humanité. C’est la « grande ola du peuple football »
Même SOS-Racisme n’échappe pas à la hargne de Brohm et Perelman, car lors de l’expulsion de Marcel Desailly en demi-finale du Mondial 1998, les potes avaient placardé dans le métro parisien une affiche où l’on pouvait lire « Ce soir-là tous les Français ont été scandalisés par l’expulsion d’un black ». Or, « la lutte contre le racisme ne passe pas par la défense d’un footballeur, fut-il de couleur noire, sanctionné pour un acte antisportif ».
Bref, pour le dire en quelques mots : « Là ou se déploie un stade, s’avance le désert »
Hénaurme ! Iconoclaste ! Qu’on soit pour ou qu’on soit contre, à lire absolument !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Folio actuel. Avril 2006. 400 pages.
(1) Le Monde du 16 février 2005.
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