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Publié le 28 Septembre 2005

Loin de quoi De Laurent Sagalovitsch

Le livre commence par une blague :



« Deux Juifs se retrouvent après des années à la terrasse d’un café.

- Alors que deviens-tu ?

- Moi, pas grand-chose. Toujours dans les affaires. Et toi ?

- J’ai décidé de quitter la France.

- Mais pour aller où ?

- En Australie.

- En Australie ? Mais c’est loin ça !

- Loin de quoi ? »

Loin de quoi ? C’est toute la question.

Simon, un juif parisien de 31 ans, a choisi de partir loin. Son bout du monde c’est Vancouver au « Kanada ». Pour lui, la France est un pays dans lequel il étouffe : « Tout est trop petit, trop mesquin, trop calculé. » Il a pris sa décision. Mais lorsqu’il apprend la nouvelle à ses parents, et notamment à sa mère, son départ déclenche une scène des plus remarquables : (Avec l’accent) « Très bien le Pacifique. Dis-moi mon fils, tu n’as pas trouvé plus loin, tu es sûr que tu as bien cherché. Tu me déçois. Qui sait si à Venpouter je ne vais pas venir t’embêter. Après tout, il y a quoi, deux semaines d’avion, peut-être trois. Je peux venir un week-end sur deux. A moins que d’ici là ta vieille mère ne fasse une crise cardiaque dans l’avion. »

Dans ce livre, Laurent Sagalovitch nous présente un garçon hypocondriaque à la recherche d’un bien être qu’il ne trouve pas : « Pour la première fois, depuis mon arrivée à Vancouver, je me sentais seul. (…) Pourtant la France ne me manquait pas. Si je n’arrivais pas à être heureux ici, alors où ? Sans même m’en rendre compte, j’avais attrapé la malédiction du juif errant, jamais bien nulle part, toujours à la recherche d’un paradis qui n’existait que dans les livres d’enfants. Repartir mais pour aller où ? Loin. Loin de quoi ? »

Cet ouvrage met à l’honneur l’humour juif (une sorte de mélange entre Popek et Elie Kakou). On y retrouve tous les ingrédients : la mère juive envahissante et possessive, la méfiance à l’égard des « goys », la mauvaise foi, les références à la Shoah alors qu’aucun membre de la famille n’a connu la déportation…

L’auteur évoque d’autres sujets plus actuels. Simon est un trentenaire qui a peur de l’engagement. Et lorsqu’il explique, dans un monologue (sans ponctuation), à sa copine Léa qu’il ne veut pas d’enfants, cela donne : « Pourquoi veux-tu que mon sperme qui souffre de signes manifestes d’une angoisse traumatique que mon psychanalyste attribue à une incompatibilité métaphysique avec le cosmos sans oublier le silence de Dieu pendant la Shoah rajoutée à cela la menace nucléaire que représentent la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie, le Pakistan, comment veux-tu que je donne la vie à un enfant… »

C’est aussi avec beaucoup d’humour et d’ironie – tout en restant réaliste, il faut l’avouer – que Laurent Sagalovitch se moque gentiment de la France, notamment lorsqu’il compare la location d’un appartement entre la France et le Canada : « (…) Pour un rez-de-jardin place Denfert-Rochereau, nous avions dû trafiquer nos bulletins de salaire en multipliant nos revenus fictifs par dix, montrer les fiches d’état civil de nos grands-parents, apporter la preuve que nous ne fumions pas, (…) que jamais au grand jamais nous n’organisions de fêtes, d’ailleurs nous n’avions pas d’amis à peine quelque vague connaissance tout juste susceptible de venir boire un jus d’orange sur le palier… »

« Loin de quoi » est un très bon « Témesta » (anti-dépresseur). Ce livre nous fait rire du début à la fin.

Stéphanie LEBAZ

Laurent Sagalovitsch, Loin de quoi ?, Actes Sud, 2005, 170 p.