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Publié le 9 Novembre 2015

Delphine Horvilleur : «Le fondamentalisme n’autorise qu’une seule lecture du texte. Mais en affirmant que le texte a dit son dernier mot, on le tue»

Contre le repli identitaire et les fondamentalismes, le rabbin Horvilleur propose une lecture toujours renouvelée des textes sacrés.

Propos recueillis par Bernadette Sauvaget, entretien publié dans Libération le 5 novembre 2015
 
Avec inquiétude, Delphine Horvilleur, l’une des très rares rabbins femmes en France, voit la montée du repli identitaire et le renforcement des fondamentalismes, qu’ils soient religieux ou politiques...
 
Pourquoi la question de l’identité est-elle aussi prégnante aujourd’hui ?
 
A cause peut-être de la fin des idéologies collectives, à cause de l’individualisme tout-puissant, parce qu’on ne sait plus ce que l’on partage... Dans notre société, nous assistons - et c’est ce qui me trouble - à un double mouvement. 
 
D’un côté, il y a une déconnexion du passé. L’individu refuse d’être aliéné par ses origines et ne veut rien imposer à la génération suivante pour la «laisser choisir», comme si l’appartenance n’était qu’une aliénation. Comme si on pouvait s’inventer à partir de rien… 
 
En contrechamp, il y a une autre tendance qui nourrit les fondamentalismes. Pour elle, la fidélité à une tradition, c’est de ne rien changer par rapport à la génération précédente. Il faudrait même retrouver l’âge d’or de nos arrières-grands-parents, comme si la seule fidélité a un héritage consistait à le reproduire à l’identique. Ces deux modèles semblent n’avoir rien à se dire. 
 
En fait, ils sont les revers d’une même médaille. La société hyperindiviudaliste où chacun est renvoyé à ses choix quasi illimités connaît la tentation confortable du repli des fondamentalismes où il faudrait vivre comme avant nous, accepter et se soumettre au règne de l’inchangé...
 
Le fondamentalisme est-il seulement un phénomène religieux ?
 
Absolument pas. C’est une idolâtrie - au sens premier - de l’héritage. Cet héritage devient une idole qui ne peut être questionnée. Pour moi, au cœur du judaïsme, il y a cette lutte contre l’idolâtrie, contre ce qui devient figé et morbide dans nos existences. Il nous faut accepter une certaine porosité, une certaine variabilité, le mouvement du monde qui nous entoure. 
 
Si les religions et les fondamentalismes ont des problèmes avec les femmes, c’est précisément parce qu’ils ont un problème avec cette notion de porosité, de variabilité, de mouvement, que représente le féminin dans la pensée religieuse. Toute idéologie peut, me semble-t-il, tourner au fondamentalisme. Cela dérape à partir du moment où elle dit le tout de mon être, à partir du moment où un composant de mon identité devient le tout de mon être...
 
Le fondamentalisme, c’est aussi un rapport erroné au texte ?
 
Le fondamentalisme n’autorise qu’une seule lecture du texte. A un moment donné, quelqu’un dit : il faut lire comme cela parce qu’il a toujours été lu ainsi. 
 
Mais en affirmant que le texte a dit son dernier mot, on le tue. 
 
On transforme une tradition de lecture en idole, en icône, en quelque chose de figé, de mortifère. Toute pensée se doit d’être vivante. Et pour cela, il faut accepter qu’un texte n’a pas fini de parler tant que son dernier lecteur n’est pas arrivé... Lire l'intégralité.
 
"Comment les rabbins font les enfants", par le rabbin Delphine Horvilleur (Grasset, 216 p.)
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