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Publié le 28 Mai 2015

Le fils perdu de la République, par Michel Taubmann (*)

Un remarquable portrait, très documenté, de Philippe Seguin.
 

Une recension de Jean-Pierre Allali
C'est le portrait d'un personnage très attachant et très déroutant que nous propose le journaliste Michel Taubmann, celui de Philippe Séguin qui fut notamment Président de l'Assemblée nationale, Premier Président de la Cour des Comptes et Président du RPR et que d'aucuns ont pressenti, un certain temps, comme possible Président de la République.
Né le 21 avril 1943 à Tunis, alors que le pays est occupé par l'armée allemande, Philippe Séguin est mort à Paris le 7 janvier 2010. Il aura droit à des obsèques en grande pompe le 11 janvier 2010 à l'église Saint-Louis des Invalides en présence de nombreuses personnalités. Son cercueil sera porté par des militaires et l'office sera assuré par Monseigneur André Vingt-Trois, cardinal-archevêque de Paris.
Dès sa prime enfance, la vie n'aura pas été tendre avec Philippe Séguin. Fils de Robert Séguin, né en 1921 à Chouigui et de Denise Danièle, native, elle, de Sousse où elle vit le jour en 1920, le petit Philippe est orphelin alors qu'il n'a que 16 mois. Son père meurt au combat à Glainans, en Franche-Comté. Quelques années plus tard, Philippe Séguin recevra, les 11 novembre 1949, à la Résidence générale de France, la Médaille militaire et la Croix de guerre décernées à son père à titre posthume. En août 1955, Philippe Séguin quitte Tunis pour Marseille à bord du paquebot « El Djezaïr ». « Ciao, la Tunisie, bonjour la France ! La rupture est douloureuse pour le jeune garçon qui laisse derrière lui son enfance, ses copains, le soleil, les odeurs. La Tunisie reste son pays. Il ne l'oubliera jamais ».
Michel Taubmann, pour bâtir son remarquable ouvrage a non seulement tout lu ou presque sur et de Philippe Séguin, mais, surtout, interrogé quelque 70 personnes qui l'ont approché ou connu : hommes politiques, journalistes, restaurateurs, amis d'enfance...
On découvre un homme de droite, certes, mais qui eut, dans sa jeunesse, des penchants de gauche. Encarté au PSU, il adhère à l'UNEF et vend « Témoignage Chrétien » sur les campus, fustigeant la guerre d'Algérie. Avec ses 1m85 et sa corpulence, ce fan de football impressionne les « fachos ». En 1961, il est pigiste pour un quotidien socialiste du sud-ouest. Plus tard, il sera un sympathisant de la SFIO avant de rejoindre le centre et la droite, passant, selon la formule de Taubmann, « du gauchisme au gaullisme » et de connaître la carrière que l'on sait : Député des Vosges, Ministre, Président du RPR,  Président de l'Assemblée Nationale, Premier Président de la Cour des Comptes, échec face à Bertrand Delanoë pour la mairie de Paris...
Si la carrière de Philippe Séguin est analysée par le menu dans ce livre très intéressant, l'originalité de l'enquête menée par Michel Taubmann tient au fait qu'il s'est particulièrement intéressé au côté « juif » de Philippe Séguin. Un doute demeure, en effet, sur la paternité du personnage. Fut-il le fils du héros de Glainans ou, comme le soutient l'auteur, celui, illégitime, d'un Juif tunisien, à l'époque employeur de sa mère, Albert Hayat. S'il n'apporte pas de preuves formelles à son assertion, l'auteur accumule les indices et les présomptions. La ressemblance physique incontestable entre Philippe Séguin et son « père » putatif, le fait, étonnant, que l'ancien Président de l'Assemblée nationale assista aux obsèques d'Albert Hayat en août 1995. Auparavant, en 1994, Albert Hayat avait rendu visite à Philippe Séguin alors hospitalisé. L'auteur raconte également qu'Albert Hayat  n'hésitait pas, en parlant à ses amis de Philippe Séguin, à s'écrier : « C'est mon fils, c'est mon fils ! ».  Enfin, comment passer sous silence que Philippe Séguin fréquentait de nombreux Juifs tunisiens avec lesquels il aimait discuter et kiffer un bon couscous, un mérou ou une mechouia au restaurant « La Boule rouge » de Montmartre. C'est d'ailleurs dans ce restaurant qu'il fêtera, en 1979, son mariage, en secondes noces, avec Béatrice Bernascon. Il pratiquait aussi volontiers la gargote du « roi du sandwich tunisien à l'harissa », Nanou Journo, dit Azar (« Chez Azar, rien n'est au hasard, goûtez nos bricks, mais n'oubliez pas le fric!). Qu’on pense aussi à son amitié avec Paul Benmussa, patron du fameux restaurant « Chez Edgard » et petit-fils du docteur Sfez, le gynécologue qui accoucha, en son temps, Danièle Séguin, la « Dame Blanche »,  lors de la naissance de Philippe, celle avec le producteur Norbert Saada, avec Pierre Lellouche ou encore Serge Moati. Un jour, en 1993, raconte Michel Taubmann, le sociologue israélien d'origine tunisienne, Claude Sitbon, rencontra Albert Hayat à Jérusalem. Il lui lança : « Alors, vous savez sans doute, on dit des choses sur vous et M. Séguin ». Albert Hayat n'a pas répondu. Il a souri longuement, laissant le mystère persister. Enfin, en 2002, Philippe Séguin a participé au fameux pèlerinage de la Ghriba de Djerba. Une preuve supplémentaire de sa « judéité » ? Allez savoir ! Un cahier iconographique agrémente cet ouvrage de qualité très original.
Note :
(*) Éditions du Moment. Mars 2015. 320 pages. 19,95 euros
 

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