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Publié le 23 Décembre 2015

Marc Knobel : de l’indifférence et de l’indignation

Daech n’est pas seulement une affaire d’hommes.

Propos recueillis par Alexia Levy, entretien publié dans l'Arche le 21 décembre 2015
 
L’Arche : Dans votre livre, L’indifférence à la haine, vous travaillez sur le terrorisme et vous écrivez que les femmes « représentent un quart des brigades sous allégeance d’Al-Nosra, groupe affilié à Al-Qaida ». Selon vous, quels sont les motivations qui les poussent à partir faire le djihad?
 
Marc Knobel : Daech n’est pas seulement une affaire d’hommes. Des Françaises partent faire le djihad en Syrie ou en Irak. Selon David Thomson, journaliste et auteur du livre Les Jihadistes français (éd. les arènes, 2014), on serait sur une fourchette de 100-150 femmes et enfants, aux côtés des combattants français installés en Syrie. Si le phénomène attire désormais les femmes, c’est parce que le discours tenu par les groupes djihadistes a changé. Une place plus importante est dévolue à la femme musulmane dans le djihad syrien, alliée à une image qui reste traditionnelle. Doctorante-chercheuse suisse travaillant sur les femmes djihadistes à l’EHESS, Géraldine Casutt est en contact avec certaines de ces femmes. Selon elle, « l’idéologie djihadiste a tendance à présenter la femme comme un être de très grande valeur, complémentaire de l’homme. Une image de la femme musulmane (« al-ukhti », « ma sœur » en arabe) bafouée, selon eux, en Occident et dans les pays musulmans qu’ils estiment corrompus. C’est la deuxième nouveauté dans le message djihadiste. Ce discours résonne dans l’esprit des jeunes femmes et jeunes hommes qui ont développé un certain ressentiment à l’encontre des politiques religieuses menées dans leur pays d’origine. Ces femmes ont le sentiment de servir une cause qu’elles estiment juste. A travers le djihad syrien, et l’éventuelle création d’un nouvel État islamique, elles endossent la défense des musulmans et musulmanes réprimés dans le monde, et surtout en Syrie par l’alaouite Bachar el-Assad. Elles partent et trois scénarios sont possibles. D’abord, il y a celles qui obtiennent une promesse de mariage d’un djihadiste français qui est déjà sur place. La plupart du temps, ça se fait sur Skype ou via les réseaux sociaux. Elles partent seules mais retrouvent leur mari sur place. Une fois qu’elles sont arrivées, leurs futurs époux appellent la famille restée en France et demandent l’autorisation de mariage au père. A noter qu’en Syrie, les djihadistes de Daech ont ouvert une agence matrimoniale destinée aux femmes « désireuses de se marier avec des combattants ». Seconde hypothèse, il y a les femmes déjà mariées avec un djihadiste qui partent avec les enfants en Syrie. Enfin, il y a celles qui se marient sur le sol français dans le but de partir en Syrie.
 
Cependant, ces femmes sont désintégrées, déstructurées et aveuglées par la propagande développée par les djihadistes. Ce sont des proies faciles. C’est ainsi qu’elles se déshumanisent et participent à cette orgie barbare et moyenâgeuse. Voient-elles seulement comment les femmes souffrent sous l’emprise de Daech? Se rendent-elles compte qu’une femme libre est le symbole de tout ce que les djihadistes détestent: l’Occident et la liberté ? Ne voient-elles pas que les femmes sont les premières victimes de la guerre et qu’il ne s’agit pas seulement de celles issues des minorités yazidies et chrétiennes, mais de l’ensemble des femmes, sunnites et chiites? Car Daech sème la terreur dans les territoires qu’il contrôle en Irak et en Syrie. Les terroristes les considèrent comme des objets commerciaux et sexuels. Ils les capturent, les enferment et en font des butins de guerre. Dans le califat autoproclamé, la femme n’est pas une citoyenne, mais une esclave domestique et sexuelle à la merci de son mari.
 
Votre ouvrage s’intitulé « L’indifférence à la haine ». Après les attentats du 13 novembre, pensez-vous que cette indifférence puisse se poursuivre ?
 
Lorsque l’on publie de nombreux articles, on réagit souvent à chaud. Un fait nous questionne, il mérite d’être analysé, posé, décortiqué, décrypté. Prenons un exemple. En janvier 2015, nous avons été profondément marqués par les élans de solidarité qui ont mobilisé des foules entières, après que des attentats aient été commis contre des journalistes (rédaction de Charlie Hebdo), des policiers et des juifs. Comme nos concitoyens, nous ressentions une grande tristesse, une forme de désolation. Mais, à tort ou à raison, il nous a semblé que l’indignation était sélective. On se mobilisait pour la liberté d’expression, ce qui est tout à fait honorable et compréhensible, mais combien étaient-ils réellement à penser aux victimes de l’hyper Cacher? Quelques semaines plus tard, nous fûmes désorientés. Qu’en était-il de l’élan qui s’était manifesté en janvier? Comment se faisait-il que les mêmes ne se mobilisent pas pour le Kenya, Bardo, les chrétiens d’Orient, les réfugiés? Développons. La ville de Garissa, vous connaissiez? Sauf que voilà… Jeudi 2 avril 2015, vers 5 h 30, des éléments du groupe islamiste somalien Al-Shabbaab prennent d’assaut l’université de Garissa. Les terroristes tirent sur deux gardes à l’entrée, puis ouvrent le feu au hasard, avant de pénétrer dans la résidence universitaire qui héberge plusieurs centaines d’étudiants. Équipés de masques et d’uniformes militaires, ils visent surtout les chrétiens, les sélectionnant en fonction de leurs habits, et les utilisant dans des mises en scène macabres. 148 personnes sont tuées, dont 142 étudiants, trois policiers et trois militaires. On compte également au moins 79 blessés. Par la suite, les condamnations ont-elles été suffisantes? Nous sentons que ce n’est pas cela, qu’il y aurait comme un manque d’attention, qu’il manque quelque chose, qu’il y a comme un oubli et que les réactions sont insuffisantes, pour ne pas dire presque inexistantes. Qu’il aurait fallu marquer notre solidarité, qu’il aurait fallu descendre dans la rue, qu’il aurait fallu dire et redire, crier et hurler... Lire l'intégralité.
 
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