Jean Pierre Allali

Membre du Bureau Exécutif du CRIF, Jean-Pierre Allali préside la Commission des Relations avec les Syndicats, les ONG et le Monde Associatif.

Lectures de Jean Pierre Allali - Le procès des médecins de Nuremberg, par Bruno Halioua

17 Janvier 2018 | 180 vue(s)
Catégorie(s) :
France

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Le procès des médecins de Nuremberg. L’irruption de l’éthique biomédicale*, par Bruno Halioua 

La réédition en livre de poche de l’ ouvrage de Bruno Halioua (1) est une excellente nouvelle. En effet, si chacun a en mémoire le fait qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des criminels nazis ont été jugés et condamné par un tribunal international siégeant à Nuremberg, peu de gens se souviennent, qu’à la même époque d’autres tribunaux se sont constitués pour juger certains corps de métier. Il en fut ainsi des médecins. C’est ce procès exceptionnel des médecins de Nuremberg que Bruno Halioua reconstitue pour nous avec beaucoup de finesse et en n’omettant aucun détail.

« Comment cela a-t-il pu arriver ? » Tel est le questionnement qui domine cette étude et auquel l’auteur tente de répondre.

Trois mois après la capitulation sans condition du IIIème Reich, en vertu de l’accord de Londres du 8 août 1945, les Alliés mettent sur place une structure juridique chargée de « juger et punir de façon appropriée et sans délai les grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe. » Ainsi naît le TMI, Tribunal Militaire International qui siègera à Nuremberg et devant lequel seront déférés, à partir du 20 novembre 1945, 22 dignitaires du parti nazi, de l’armée allemande et du Reich. Le jugement est rendu le 1er octobre 1946 : 12 condamnés à mort, 3 peines de prison perpétuelle, 4 peines de prison allant de 10 à 20 ans et 3 acquittements.

C’est alors que le procès du TMI n’est pas encore achevé que commence le procès spécifique des médecins. Le 5 novembre 1946, 23 accusés reçoivent la notification de l’acte d’accusation qui les concerne. Ce procès, dit « Medical Case »,  s’ouvre le 9 décembre 1946.

Bruno Halioua, pour notre édification, rappelle les différents crimes qui ont été retenus : 1/ Expériences réalisées à Dachau pour le compte de la Luftwaffe afin d’évaluer les capacités de survie des êtres humains à très haute altitude 2/ Expérience, toujours à Dachau, sur le refroidissement thermique des êtres humains 3/ Expériences sur la capacité à rendre l’eau de mer potable ( Dachau pour la Luftwaffe et la Kriegsmarine) 4/ Recherches ( Dachau) pour un vaccin contre le paludisme 5/ Recherches sur le typhus, la fièvre  typhoïde, la fièvre jaune, la variole, le choléra et la diphtérie ( Dachau et Natzweiler) 6/ Expériences sur l’ictère infectieux ( Sachsenhausen et Natzweiler) 7/ Expériences relatives à l’ypérite, à différents poisons, aux effets des bombes incendiaires et aux brûlures par le phosphore ( Sachsenhausen, Natzweiler, Buchenwald) 8/ Expériences relatives à l’efficacité des sulfamides et à la régénération des os, des muscles et des nerfs ( Ravensbrück) 9/ Stérilisation ( Auschwitz et Ravensbrück) 10/ Meurtres de déportés pour la réalisation d’une collection de squelettes à Strasbourg. Projet d’assassinat de dizaines de milliers de tuberculeux 11/ Euthanasie ( Action T4)12/ Chirurgie plastique. 13/ Traitements des phlegmons 14/ Expériences sur l’anticoagulant Polygal.

Tous ces crimes et leur jugement sont analysés dans le moindre détail par l’auteur. On relève, dans les témoignages l’extrême férocité des traitements imposés aux détenus dont la mort est quasi systématique et, dans un tout autre registre, la propension des accusés à se défausser sur leurs supérieurs ou sur des collègues, voire sur l’État allemand, sur Himmler et même Hitler.

Certains accusés, pour leur défense,  iront jusqu’à affirmer que le serment d’Hippocrate est obsolète.

Bruno Halioua, au passage, nous révèle, ce qui peut paraître invraisemblable, qu’en janvier 1943, il avait été envisagé des opérations militaires  au moyen d’armes biologiques, mais qu’Hitler avait alors opposé son veto le plus formel à l’utilisation de ce type d’armement.

Autres remarques étonnantes : les experts requis dans le cadre du programme d’euthanasie étaient rétribués sur la base du prix d’une cigarette par décision prise. Á propos de ce même programme, on apprend que l’Église catholique, par le biais d’une directive épiscopale, recommanda aux prêtres d’exiger que les malades puissent bénéficier des derniers sacrements avant d’être exterminés !

Si l’auteur nous propose, pour notre édification, la liste des peines prononcées, dont des peines capitales, on sera étonné de noter les nombreux acquittements comme pour Siegfied Ruff, Wolfgang Romberg et August Weltz ( résistance à la haute altitude), Karl Genzke,, Karl Gebhardt, Joachim Mrugowski et Helmut Poppendick (Brûlures au phosphore) Fritz Fischer, Herra Oberheuser et Helmut Poppendick (Phlegmons) ou encore Kurt Blhome et Helmut Poppendick ( Polygal). Un chapitre «  Ce qu’ils sont devenus » permet de connaître en détail la destinée, parfois étonnante, de chacun des accusés.

Ce procès mettra en évidence la nécessité de codifier des règles relatives à l’expérimentation humaine. C’est ainsi que naît le « Code de Nuremberg » qui s’inspire tout à la fois du « Serment d’Hippocrate », du code de l’Association Médicale Américaine, promulgué en 1847, un texte rédigé en 1833, par William Beaumont, pionnier américain de la physiologie et l’ouvrage de Claude Bernard, publié en 1865 : « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale ». Par la suite, ce Code sera affiné, à Helsinki, en 1964, à Tokyo, en 1975, à Hawaï en 1977, à Manille, en 1981 et à Venise, en 1983.

En complément, Bruno Halioua, nous permet de découvrir une page peu connue des expérimentations médicales  illicites faites sur l’homme lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de l’Unité 731 qui, sous l’autorité d’un éminent bactériologiste japonais, Shiro Ishii, réalisa des études d’une cruauté inouïe sur 3000 sujets, hommes, femmes et enfants chinois « marutas », en Mandchourie.

Des textes intéressants sont proposés en annexe.

Une étude tout simplement remarquable.

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Érès. 2017. Préface de Richard Prasquier. Postface d’Emmanuel Hirsch. 240 pages. 15 €.

(1) Éditions Vuibert, 2007.

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