Virginie Guedj-Bellaïche

Journaliste-Blogueuse

"NOS FUTURS" PLUTOT QUE "NO FUTURE"

22 Juin 2015 | 2777 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

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Comme chaque été, de nombreux juifs ont décidé de quitter la France pour s’installer en Israël. On parle de 8000 à 10 000 pour l’ensemble de l’année 2015. J’ai moi-même fait ce choix en 2013  et pourtant j’ai, plus que jamais, envie de parler de ceux qui restent. 

Le débat se pose à chaque fois en ces termes : « Les juifs ont-ils raison de quitter la France ? ». Moi je pense que cette interrogation est biaisée. La question n’est en effet pas de savoir s’ils ont raison de partir mais s’ils ont des raisons de partir. Se demander si les juifs ont raison de partir revient à répondre par oui ou par non. Et si on admet qu’ils ont raison, on conclut du même coup que ceux qui restent ont ... tort.

Il y a des juifs qui ne peuvent pas quitter la France. Pour des raisons familiales,  financières. Il faut accepter cela. Il y a des juifs qui ne veulent pas quitter la France. Il faut respecter cela.  Tous les juifs de France sont-ils amenés à faire leur alyah ? Est-ce crédible ? Est-ce souhaitable ? Je ne le crois. Si les chiffres de l’alyah connaissent depuis 2012 des niveaux records, ils restent anecdotiques au regard de l’ensemble de ce qu’on appelle la communauté juive. Si demain, il n’y a plus de juifs en France. Qui criera victoire ? Personne.

 Oui la France est ce pays où sont morts Ilan Halimi, Jonathan, Arieh, Gabriel  Sandler et  Myriam Monsonégo. Oui c’est encore en France, où 4 personnes ont été tuées un vendredi de janvier en faisant leurs courses à Hyper Casher porte de Vincennes. Personne ne nie cette affreuse réalité. Mais  la France c’est aussi ce pays où Manuel Valls, Premier ministre réaffirme que « sans les juifs, la France n’est pas la France », c’est aussi ce pays où le spectacle de Dieudonné est interdit par la Justice. C’est en France, où on décide que la manifestation nationale suite au massacre à Charlie Hebdo, initialement prévue le samedi est décalée à dimanche pour permettre à ceux qui observent le chabbath d’y participer. La France c’est aussi ce pays où Alain Soral est condamné pour une quenelle au Mémorial de la Shoah à Berlin. Il est évident que ces réalités n’effacent pas les premières. Aucune décision judiciaire ni aucune déclaration politique ne nous consoleront de la mort de nos coreligionnaires. Ces deux réalités ne sont pas égales mais elles existent.

Je ne nie pas l’antisémitisme. Je suis moi-même partie parce que je ne reconnaissais plus la France que j’aimais et dans laquelle je vivais bien. Menace sur l’abattage rituel, agressions verbales physiques, libération de la parole antisémite, et drame de Toulouse : j’ai senti que je devais partir. Dois-je pour autant en conclure que l’ensemble des juifs de France doivent arriver à la même conclusion que moi ? Et si oui dans les mêmes délais ? Je ne le pense pas.

C’est pour tout cela que quand je vois arriver une famille française en Israël, je ne peux pas m’empêcher de penser à ceux qui sont restés. Je pense au rabbin qui a vu partir un fidèle  et qui attendra – peut-être - un plus longtemps pour compléter le minyan. Je pense au directeur de l’école juive qui a souhaité bonne chance à la maman sur le départ mais qui voit des noms disparaître de la  liste de la prochaine rentrée scolaire et qui envisagera peut-être de fermer une classe. Je pense aux parents, aux oncles et tantes qui se font une joie de réunir la fratrie pour les fêtes de Roch Hachana et de Pessah et qui devront eux aussi surmonter l’absence.

Quand j’ai fait mon alyah, le 31 juillet 2013, je me suis dit comme un écho à un de mes films préférés « voilà, c’est le premier jour du reste de ma vie ». C’est marrant parce que le 22 juillet prochain sort le nouveau film de Rémi Bezançon « Nos futurs ». Il y aura toujours des gens pour penser et répéter que pour les juifs en France c’est fini « no future ». Moi je continue à me dire que la Diaspora, en France ou ailleurs, reste une option, un choix parmi tous les possibles qui s’offrent à chaque juif. Et que finalement qu’on vive en Israël ou en France, que nos futurs ne se conjuguent  pas dans le même espace, nous partageons un même destin.
 

Virginie Guedj Bellaiche.