Une nuit, j'ai fait un cauchemar

23 Janvier 2015 | 894 vue(s)
Catégorie(s) :
France

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Antisémitisme

Le 30 novembre, l’État d’Israël et les communautés juives du monde entier commémorent la Journée dédiée au souvenir de l'expulsion des Juifs des pays arabes et de l’Iran. A cette occasion, nous vous proposons la lecture de ce texte de Jean-Pierre Allali, vice-président de la JJAC (Justice for Jews from Arab Countries).

Par Nicolas Bedos

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"Dites-moi que ce furent des cauchemars, que le monde s'améliore de jour en jour, que des flammes de lumière jaillissent en chaque point du globe."

Article paru dans le HuffinghtonPost.fr

Une nuit, j'ai fait un cauchemar.

Je me trouvais dans un magasin cacher. J'étais simplement venu chercher une bouteille de vin. Je ne devais pas trop m'attarder, j'avais tant à faire. Il suffisait simplement que je me dirige vers ce rayon, que je choisisse la belle bouteille, celle que je voulais, que je lève la main et la saisisse, d'un seul geste. Je me serais ensuite dirigé, tranquillement, vers la caisse. J'y aurais croisé ce charmant employé malien, du nom de Lassana Bathily je crois. Il a toujours le sourire, il aime la vie et les gens. Il a un je ne sais quoi d'extraordinaire.

De toute manière, je serais resté quelques minutes dans cet Hyper Cacher de la porte de Vincennes.

C'était sans compter sans cette bête aveuglée par la rage et la haine, cette bête rugissante. Elle entra comme une furie, bredouilla quelques mots avant de me viser, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi, je fus ainsi brutalement assassiné. En une seule seconde, je perdis la vie.

Je n'ose imaginer un seul instant que je fus tué parce que juif. Ce serait impensable. Ces derniers temps, je faisais pourtant attention: je ne portais plus de kippa sur la tête, mais une casquette. Je ne portais pas d'étoile de David non plus, de peur de me faire agresser. Mais, je vous le dis, et même si je rêvais un jour de me faire enterrer en Israël, j'aimais la France car elle est le plus beau pays au monde. Je voulais juste que l'on me parle d'amour et de respect.

Je voulais juste acheter une bouteille de vin. 
Je n'ai pas pu être tué ainsi.

Une nuit, il fit un cauchemar.

Il est marié, il a 32 ans, trois enfants et une passion. Il s'appelle Raif Badawi. Il aurait pu être un homme ordinaire s'il n'animait pas un blog. C'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher d'écrire parce qu'il pense que l'Homme ne peut s'élever que lorsque l'Homme va au-delà, lorsqu'il crie contre l'oubli, contre l'injustice et la misère, quelquefois contre soi-même et les autres.

Parce qu'il réfléchit et que cela peut être un crime en Arabie, parce qu'il a osé critiquer la place de la religion dans cette si intolérante Arabie saoudite, il a été condamné à dix ans de prison, 225.000 euros d'amende et 1.000 coups de fouet. Presque une "bagatelle" me direz-vous, sans rire, dans un pays comme celui-ci, où l'on décapite au sabre devant la foule, où l'on lapide à mort pour adultère, et où l'on peut exécuter aussi par crucifixion ou arme à feu.

Il voulait juste crier son indignation. Ne me dites quand même pas que l'on doit s'étouffer plutôt que discuter, penser, écrire ou dessiner?

Ne me dites pas aussi qu'une simple caricature peut déchaîner des foules furieuses, hystériques et obscènes qui voudront en découdre, vous promettront la corde, le bûcher, le supplice ou dix balles dans le corps?

Ne me dites surtout pas qu'un dessinateur comme Wolinski sera trucidé pour un dessin?

Une nuit, j'ai fait un cauchemar.

Je voyais qu'un homme s'affublait d'une petite moustache et d'une mèche à la Adolf Hitler. C'est ainsi qu'il suscita l'indignation en Allemagne, il répondit alors que c'était une "plaisanterie". Il traite les miséreux et les réfugiés de "salauds" et de "bêtes". Cet homme est le dirigeant du mouvement anti-islam Pegida ("Européens patriotes contre l'islamisation de la société"), hostile aux réfugiés et aux musulmans.

Lutz Bachmann est son nom. Il réveille les vieux démons. Il traque l'étranger qu'il accuse de tous les maux. Pour lui, chaque musulman est un criminel. Mais, le criminel, c'est lui.

Une nuit, il a fait un cauchemar.

Il voyait une petite fille. Elle s'appelait Marcelle Mlynkiewicz, d'origine polonaise, une jolie petite fille. Elle était élève dans une école publique de jeunes filles, dans le quartier de Belleville-Ménilmontant. Sa maîtresse s'appelait Mademoiselle Darcis. Elle avait procédé à l'inscription scrupuleuse de 959 élèves: de la petite Jacqueline Germaine B., numéro 1 dans ce registre, entrée à l'école le 3 octobre 1932, à la petite Jeannine S., numéro 959 dans l'ordre d'inscription du registre, en octobre 1942. Mademoiselle Darcis eut à l'époque comme consigne de noter de façon très détaillée les observations concernant chaque enfant. Dans la colonne observation du registre, elle indiquait avec précision le motif de leur départ. A Marcelle Mlynkiewicz: "enfant parfaite, élève brillante" avait écrit la maîtresse.

Avant d'ajouter "déportée".

Elle ne reviendra pas. Elle ignore pourquoi elle fut arrachée ainsi à son enfance. Elle n'a pas dû comprendre ce que l'Homme est capable de faire à l'Homme.

Et comme elle n'a pas vécu bien longtemps, la petite Marcelle Mlynkiewicz ne saura jamais que beaucoup plus tard à une époque que l'on croyait être moderne et sophistiquée, un pauvre type en Allemagne s'affublerait d'une petite moustache et d'une mèche à la Adolf Hitler pour rigoler comme il rigole sûrement de lâcher aux chiens l'étranger. Oubliant ce que l'étranger a aussi de grand et d'immensément courageux, comme ce blogueur saoudien du nom de Raif Badawi, condamné à 1000 coups de fouet.

Et comme la petite Marcelle Mlynkiewicz n'a pas vécu longtemps, elle ne saura jamais qu'une bête aveuglée par la rage et la haine du nom de Mohamed Merah a assassiné une enfant de son âge, Myriam Monsonego, sept ans, alors qu'elle tentait de s'échapper.

Myriam ne fit que quelques foulées, pour fuir, avant d'être atteinte d'une balle dans le dos. Le monstre tira alors sur un autre enfant, le petit Gabriel Sandler, quatre ans. Puis, il revint vers Myriam, l'empoigna férocement par les cheveux et l'acheva d'une balle dans la tête, dans le quartier Jolimont à Toulouse, à l'heure où les élèves de l'école Ozar Hatorah s'apprêtaient à entrer en cours.

Dites-moi que ce furent des cauchemars, que le monde s'améliore de jour en jour, que des flammes de lumière jaillissent en chaque point du globe.

Au fait, je ne vous ai pas dit.

L'homme qui a fait de drôles de cauchemars, vivait dans un temps lointain. Il fut ce "nègre" que l'on pouvait fouetter et qui devait "crever" si l'envie lui prenait de s'enfuir ou de se révolter.

Il était ce supplicié, ce condamné qui ne pouvait plus rien espérer si ce n'est sa condamnation à mort.

Il était ce déshérité ou cet affamé qui regarde au loin, vers l'Occident.

Il faisait des cauchemars parce qu'il souffrait en son temps, mais aussi parce qu'il pensait au plus profond de lui qu'un jour le monde battrait de toutes les ailes de la fraternité et de l'amour.

De l'amour...

L'amour.

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