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Publié le 28 Juillet 2021

Crif - Antivaccins et étoile jaune : "C'est un négationnisme qui ne dit pas son nom", dénonce Francis Kalifat

Dans une longue interview donnée au JDD, le Président du Crif Francis Kalifat s'insurge contre l'utilisation, par les antivax, de références à la persécution des Juifs par les nazis.

Interview de Francis Kalifat, président du Crif, pour le JDD du 25 juillet 2021

Les manifestants contre le passe sanitaire ou les activités antivax arborent des étoiles jaunes, et brandissent des pancartes avec des références à la Shoah ou au nazisme. Que vous inspirent ces comparaisons ?

Elles ne m’inspirent que le dégoût. Ces comparaisons sont choquantes. Je suis révolté par le détournement, mais aussi la falsification que constitue l’utilisation du symbole de la persécution des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale. On a le sentiment qu’aujourd’hui, quiconque se considère comme une victime étalonne sa souffrance à l’aune du nazisme et de la Shoah. Alors qu’on ne peut évidemment, en aucune façon, comparer la mise en place du passe sanitaire, un outil destiné à sauver des vies, avec l’étoile jaune, qui était, elle, le symbole de la discrimination et de la mort de 6 millions de Juifs partis en fumée dans les crématoires nazis. Il s’agit d’une instrumentalisation de l’histoire. Je pense aux survivants de la Shoah, à leurs familles : pour eux, c’est un véritable outrage. C’est suffisamment grave pour le faire cesser rapidement.

 

Comment le faire cesser ?

Ce phénomène n’est pas nouveau. Il se développe de plus en plus. Je rappelle qu’on avait déjà vu des étoiles jaunes arborées au moment de la manifestation du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France, dissous en 2020). Nous sommes face à une banalisation de la Shoah, qui appelle des réactions fortes. Celles du monde politique et intellectuel, pour l’essentiel, l’ont été. Mais l’indignation ne suffit plus : il faut replacer cette histoire douloureuse de notre pays au cœur de l’éducation, reprendre son enseignement, expliquer et réexpliquer encore et encore.

 

Comment le CRIF va-t-il réagir ?

Dans mon discours pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, la semaine dernière, j’ai souligné combien cette instrumentalisation était une insulte aux victimes de la barbarie nazie à de leurs descendants. J’ai alerté dans un communiqué la population française sur ce danger que représentait cet amalgame. Mais il faut aller plus loin. Ce que nos avocats travaillent à la possibilité, de passer par la voie judiciaire pour faire cesser ces désordres.

 

"Dans une démocratie, on peut tenir tous les débats, exprimer tous les mécontentements et toutes les oppositions mais on ne peut pas pour autant banaliser un crime contre l’humanité."

 

Est-ce possible ?

Je ne sais pas encore. C’est assez compliqué car il y a deux catégories de personnes qui utilisent ces symboles : d’une part, ceux qui savent très bien à quoi ils correspondent et qui les instrumentalisent, d’autre part, ceux qui ont parfois de bonne foi, souvent par ignorance ou bêtise le sentiment de subir une discrimination de même nature. Les premiers s’inscrivent dans une idéologie, qui pourrait s’assimiler à du négationnisme : à force de comparer et de relativiser, on finit par oublier le caractère unique de la Shoah, et quelque part par le nier. Au-delà des comparaisons idiotes, l’objectif des promoteurs de cette manipulation est de dire : « si tout est Auschwitz, et bien finalement Auschwitz n’est pas si grave que cela ! » C’est un négationnisme qui ne dit pas son nom.

 

Y a-t-il une part antisémite dans ce mouvement ?

Difficile à dire. Il faut être très vigilant. Il n’y a pas d’antisémitisme exprimé. Mais il est bien présent chez ceux dont l’objectif est de banaliser sciemment les symboles de la Shoah. Dans une démocratie, on peut tenir tous les débats, exprimer tous les mécontentements et toutes les oppositions mais on ne peut pas pour autant banaliser un crime contre l’humanité.

 

Dimanche dernier, à Głogów, en Pologne, des manifestants contre la vaccination ont scandé que les Juifs étaient responsables de l’épidémie… Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Cela me choque terriblement. D’autant plus qu’il s’agit d’un pays de l’Union Européenne qui avait fait des avancées notables sur l’importance de la place des Juifs dans son Histoire mais qui depuis l’arrivée du PIS au pouvoir veut instaurer un nouveau récit national. Nous sommes inquiets d’assister à cette résurgence de l’antisémitisme facilitée par une réécriture de l’histoire et la pénalisation de la recherche historique sur le rôle de la Pologne pendant la seconde guerre mondiale. Si les Justes polonais ont joué un rôle très important pour sauver des Juifs, nous savons aussi que comme dans tous les pays européens confrontés au nazisme, il y eut aussi une contribution à la Shoah. Il est temps pour les dirigeants polonais d’accepter comme l’a fait la France de regarder en face l’histoire de leur pays et de tout mettre en œuvre pour éviter de renouer avec son long passé d’antisémitisme.

 

La pandémie a-t-elle réactivé l’antisémitisme ?

L’antisémitisme n’a malheureusement jamais été inactif. La pandémie ne l’a donc pas réactivé. Mais elle a été le prétexte à son amplification, notamment à travers les réseaux sociaux, avec un multiplication des théories conspirationnistes et complotistes accusant les Juifs et Israël d’avoir introduit le virus pour ensuite pouvoir tirer des bénéfices du vaccin. Dans l’histoire du Monde, c’est une vieille rengaine : celle du bouc émissaire. A chaque crise Il faut un responsable, et le coupable idéal, c’est toujours le Juif.

 

Retrouvez l'interview  de Francis Kalifat sur le site du JDD