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Publié le 19 Juillet 2021

Crif/Vel d'Hiv - Le discours de Francis Kalifat à la cérémonie nationale d'hommage

Lors de la cérémonie nationale d'hommage commémorant le Vel d'Hiv, le Président du Crif s'est dit "choqué et révolté par les images indécentes des récalcitrant à la vaccination arborant l’étoile jaune et faisant des raccourcis honteux. C’est un outrage à la mémoire des victimes de la Shoah".

Cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vel’ d’Hiv’

18 juillet 2021

 

Discours de Francis Kalifat, Président du Crif

 

C’est sans doute un paradoxe d’évoquer ma joie en ce jour de commémoration d’un des plus terribles crimes commis dans notre pays, mais je suis particulièrement heureux de vous retrouver, de vous voir, après un an et demi de temps suspendu, consacré à la lutte contre la COVID-19 qui a littéralement paralysé nos existences.

Concordance des dates, ce dimanche 18 juillet 2021, 9 Av 5781 du calendrier hébraïque le Peuple Juif se souvient et pleure la destruction du second Temple de Jérusalem le 9 Av de l'an 70, marquant le début de la dispersion et de l'exil physique et spirituel du peuple Juif et la France se souvient du destin tragique des 9037 adultes et 4115 enfants arrêtés le 16 et 17 juillet 1942 par la police française.

Mémoire des vies fauchées des destins anéantis, des familles brisées, des enfants qui n’auront jamais atteint l’adolescence et n’auront connu de l’existence que la plus atroce des fins.

Les rafles des 16 et 17 juillet 1942 ont été un basculement pour plus de 13 000 juifs de Paris et de sa région.

C’est le début pour Esther Sénot d’une longue errance à travers la France entière qui sera finalement suivie d’une arrestation puis d’une déportation à Auschwitz. C’est pour Rachel Jedinak, un arrachement à sa mère, et la mémoire de cet ultime geste qui lui sauvera la vie, une gifle qu’elle lui donne pour qu’elle se décroche de sa jupe. C’est pour Arlette et Madeleine Testyler l’horreur de l’enferment dans le Vel d’Hiv puis la déportation vers Beaune la Rolande. C’est pour Joseph Szwarc, qui a témoigné aujourd’hui, l’adieu à son père, sa mère, son frère, tous assassinés à Auschwitz. Et pour 4115 enfants, c’est un arrêt de mort. Leurs noms, prénoms, et âges sont gravés pour toujours grâce à Serge Klarsfeld dans le Jardin Mémorial de la rue Nélaton. Ce jardin est leur sépulture.

Mesdames et messieurs,

Le Vel d’Hiv est une histoire française. Le 16 juillet 1942 est une de ces journées qui ont défait la France. Une page noire de notre histoire écrite à l’encre indélébile. Le discours de Jacques Chirac ici même en 1995, resonne encore en chacun de nous : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France ce jour-là accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. ».
Tous ses successeurs se sont inscrits dans ces mots et le Président Emmanuel Macron ici même en 2017 nous a rappelé avec force que : « Le gouvernement de Vichy n’était pas un accident de l’histoire de France, Vichy n’est pas né hors sol. »

Oui Vichy était enraciné dans le terreau propice à la banalisation du racisme et de l’antisémitisme de la IIIème république, véritable code culturel des années 30 qui permettait à Xavier Vallat, futur commissaire aux questions juives, de regretter publiquement dans l’hémicycle en parlant de Léon Blum que « Ce vieux pays gallo-romain soit gouverné par un Juif ». La situation des Juifs au cours de cette période est aujourd’hui connue et notre pays tient une position claire sur l’importance de la transmission et l’enseignement de l’histoire de la Shoah. Je veux rendre hommage aux survivants de la Shoah, c’est leur inlassable détermination qui a rendu au Vel d’Hiv une histoire puis une mémoire. Leurs témoignages ont ouvert, les portes des consciences de nos compatriotes.

Comme il nous fait saluer l’essentiel travail de Mémoire accompli en France par l’ensemble des institutions et associations mémorielles. Je pense en particulier au Mémorial de la Shoah, à la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, à l’Union des déportés d’Auschwitz, au Cercil et bien sûr au Comité français pour Yad Vashem qui perpétue le souvenir de ces Français élevés au rang de Justes parmi les Nations. Ils sont l’espoir forgé dans l’humanisme des Lumières sur lequel notre République s’est construite. Cette journée est aussi la leur. Celle d’une étincelle d’humanité dans la nuit nazie. Sans leur courage, sans leur empathie, sans leur abnégation, nul doute que pour les Juifs de France le bilan aurait été beaucoup plus lourd. Souvenons-nous de leurs visages l’éclat de leurs yeux a brillé dans la nuit.

Madame la Ministre,

La cérémonie qui nous réunit ce matin n’est pas que la commémoration d’un événement historique. C’est aussi l’interpellation des consciences au présent.

Sommes-nous toujours, collectivement, à la hauteur des mots que nous prononçons ici chaque année ? Sommes-nous toujours fidèles à la promesse intime que nous renouvelons ici chaque mois de juillet aux disparus et aux rescapés ? Il m’arrive parfois aujourd’hui de douter.

Partout dans le débat public, j’entends monter une musique identitaire : celle du eux et nous. Du eux contre nous. Attaquant progressivement l’édifice de l’Universalisme que les Juifs en France ont toujours considéré comme leur meilleur allié. Un éditorialiste-candidat cherche à réhabiliter Pétain et malgré cela bénéficie de la sympathie d’une partie de l’opinion, galvanisée par ses provocations. Une candidate d’extrême-droite à qui l’on prédit une présence au second tour de l’élection présidentielle avait, elle, eu ces mots : « Je pense que la France n'est pas responsable du Vel d'Hiv. S'il y a des responsables, ce sont ceux qui étaient au pouvoir à l'époque. Ce n'est pas la France. » Loin, très loin, du travail de Mémoire accompli par notre pays.

Comme à d’autres périodes de l’Histoire, l’antisémitisme est devenu une passerelle entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Un candidat déclaré à l’élection présidentielle, souffle sans complexe sur les braises de l’antisémitisme. Il accuse tranquillement le Grand-rabbin d’Angleterre d’être responsable de la défaite de son alter égo Jeremy Corbyn.

En France sa critique du communautarisme ne vise que les institutions juives, et en particulier le Crif, accusé d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme.  Il développe maintenant des analyses complotistes nauséabondes. Ce même complotisme qui gangrène les esprits ; porté par la crise sanitaire, il est prétexte à tous les raccourcis et confusions historiques. Comme vous j’ai été choqué et révolté par ces images indécentes des opposants à la vaccination arborant une étoile jaune. Elles m’inspirent une colère et un dégoût profond. C’est un outrage à la mémoire des victimes de la barbarie nazie.

Mesdames et messieurs,

Si les haines se nourrissent du laisser-faire, des renoncements et de l’impuissance, elles se développent aussi du sentiment d’impunité. Le 14 avril 2021 la Cour de cassation a confirmé le jugement de la cour d’Appel de la chambre de l’instruction déclarant irresponsable pénalement l’assassin de Sarah Halimi. Cette décision inique met à bas 20 ans d’efforts et de combat pour qu’enfin l’on reconnaisse que les actes et violences que subissent les Français Juifs ne sont pas de la violence ordinaire mais bien l’expression violente d’un antisémitisme nouveau. Si l’affaire Sarah Halimi a à ce point traumatisé les Français juifs n’est-ce pas aussi parce que pour la première fois depuis la Shoah, ils ont retrouvé l’effrayante sensation que l’institution publique, en l’occurrence la Justice, ne les protégeait pas.

Dans l’analyse de ces liens entre l’histoire de la Shoah et l’antisémitisme contemporain, je voudrais également relever une démarche particulièrement pernicieuse, celle de la critique d’Israël qui prétendrait tirer sa légitimité de la Mémoire de la Shoah. C’est ainsi le cas de ceux qui traitent Israël d’Etat nazi. La perversité de cette mise en équivalence n’est pas que dans la diabolisation obsessionnelle d’Israël. Elle réside dans le fait que par cette équivalence, elle absout d’une certaine manière les nazis. Elle libère l’Europe de sa faute puisque les victimes deviendraient elles-mêmes coupables. Démonter cette imposture est sans doute l’un des défis majeurs dans le monde post-Shoah. La conférence de Durban en 2001 a été l’exemple le plus criant de ce délire antisémite.

Alors que l’ONU se prépare à célébrer en septembre prochain les 20 ans de Durban1, par une nouvelle conférence internationale dite de Durban IV, je veux lancer ici un appel solennel aux dirigeants de notre pays pour que la France ne perde pas son âme et n’apporte pas sa caution internationale en participant à cette mascarade. D’autres pays démocratiques, alliés naturels de la France dans le combat pour les Droits de l’Homme, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou le Canada et d’autres encore ont annoncé qu’ils ne participeraient pas à ce sommet de la honte. Je souhaite du plus profond de mon âme que mon pays ne s’y fourvoie pas.

Mesdames et messieurs,

L’antisémitisme n’est jamais une vue de l’esprit. Il s’insinue sur nos murs, défigure nos bâtiments et nos rues, il se glisse, serpente et se vautre dans le silence de la nuit. L’insulte est facile, elle est lâche et presque toujours anonyme. Certains détestent tant les Juifs et Israël qu’ils s’attaquent même aux morts, avec lâcheté ils profanent des cimetières, saccagent des tombes, et peignent des croix gammées sur les stèles de nos défunts. D’autres s’attaquent aussi aux vivants.

En cette journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’Etat français et d’hommage aux Justes de France je veux rappeler une nouvelle fois la mémoire des douze Français hommes, femmes et enfants assassinés depuis le début des années 2000 au seul motif qu’ils étaient Juifs.

Leurs noms et leurs visages habitent mon esprit chaque jour. Déplorer ne suffit plus, il faut combattre. C’est à ce sursaut que j’appelle le Peuple de France. Car l’acte antisémite est un mal sournois qui prospère souvent du silence coupable et d’une autre lâcheté qui a pour nom l’indifférence. Il faut dénoncer l’inconscience de ceux qui ne le commettraient pas mais qui ne s’insurgent pas contre ceux qui le commettent. Leur silence le cautionne, leur indifférence le nourrit.

Cet antisémitisme qui a resurgi depuis 20 ans, a été le signe prémonitoire d'un regain de haine et de violence dans notre pays : sexisme, homophobie, haine de la France, mais aussi une hostilité croissante contre les musulmans et les chrétiens. Car comme souvent dans l’histoire, si l’antisémitisme commence avec les Juifs, il ne s’arrête jamais aux Juifs.

La permanence de l’antisémitisme dans notre pays, son ascension décomplexée, et sa banalisation, sont pour nous une inquiétude majeure, car nous savons aussi qu’au-delà du danger, pour nous Juifs, c’est une menace pour la France tout entière, une menace pour la concorde et la paix dans notre pays.

 

Pour voir la cérémonie dans son intégralité, cliquez ici

Source vidéo : Ministère des Armées