Lu dans la presse
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Publié le 20 Avril 2021

France - Affaire Sarah Halimi: cinq minutes pour comprendre le débat sur la responsabilité pénale

Depuis que la Cour de cassation a confirmé que le meurtrier de Sarah Halimi était considéré comme pénalement irresponsable, les prises de position se multiplient. Jusqu’au sommet de l’Etat.

Publié le 19 avril dans Le Parisien

Les réactions fusent, depuis que la Cour de cassation a confirmé, mercredi dernier, que l’homme mis en cause dans le meurtre de Sarah Halimi, en avril 2017, était pénalement irresponsable. Le gouvernement s’est même emparé du sujet, assurant vouloir changer la loi.

Où en est l’affaire ?

Le 4 avril 2017, Sarah Halimi, ancienne directrice de crèche de religion juive, a été sauvagement agressée chez elle, puis défenestrée. Le mis en cause, un voisin de la victime, a été rapidement retrouvé et n’a pas contesté les faits. Plusieurs témoins avaient entendu Kobili Traoré rouer de coups la sexagénaire tout en récitant des sourates du Coran.

Mais deux des trois expertises psychiatriques ont conclu que son discernement était aboli au moment du passage à l’acte. En décembre 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a considéré qu’il existait des charges suffisantes pour imputer à Kobili Traoré le meurtre de sa voisine mais qu’il était irresponsable pénalement, ce qui a écarté la possibilité d’un procès.

Les parties civiles s’étaient alors pourvues en cassation. La plus haute juridiction du pays a rendu son arrêt le 14 avril dernier. Elle considère que le raisonnement de la cour d’appel de Paris est correct et conforme à la loi.

Comment s’explique cette décision ?

Pour Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles à l’université de Nantes, cette décision est logique. L’article 122.1 du code pénal précise qu’il y a irresponsabilité lorsque la personne « était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». « Le code ne dit pas qu’on doit tenir compte de l’origine du trouble, de ce qui explique pourquoi la personne a eu un discernement totalement aboli au moment du passage à l’acte », précise la maître de conférences. La Cour de cassation a donc fait « une interprétation stricte du texte de loi », complète-t-elle.

Pourquoi fait-elle polémique ?

Dans cette affaire, les experts sont d’accord sur le diagnostic, mais le débat repose sur la cause de la bouffée délirante aiguë que traversait Kobili Traoré au moment du meurtre. Le Dr Daniel Zagury, premier expert interrogé sur le sujet, a confirmé la « réalité indiscutable du trouble mental aliénant ». Mais il a apporté un avis sur « la faute antérieure » du suspect, en affirmant que Kobili Traoré ne pouvait être reconnu irresponsable « du fait de la prise consciente et volontaire régulière du cannabis en très grande quantité ». Les avocats de la famille de la victime espéraient une décision en ce sens.

Or, dans cette affaire, la question des conséquences de la consommation de drogue est justement au cœur du problème. Car avec la bouffée délirante aiguë, on est loin des effets habituels et connus du cannabis. « La cour d’appel de Paris a relevé que le mis en cause n’avait pas conscience que sa consommation pouvait lui faire perdre son discernement », rappelle Edouard Verny, professeur de droit pénal à Panthéon-Assas. « Avoir des bouffées délirantes, c’est rarissime. Les médecins ont d’ailleurs estimé que peu de monde pouvait le savoir ».

Que demande Emmanuel Macron ?

Mais pour Emmanuel Macron, peu importe la connaissance des effets secondaires. « Décider de prendre des stupéfiants et devenir alors comme fou ne devrait pas, à mes yeux, supprimer votre responsabilité pénale », a fait valoir le chef de l’Etat dans une interview publiée dans Le Figaro ce lundi matin. « La drogue ne peut pas être un permis de tuer », a abondé le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, sur Europe 1. « Il faut changer la loi, puisque la loi ne convient pas », a-t-il même estimé, faisant écho à l’interview du chef de l’Etat qui explique souhaiter « que le garde des Sceaux présente au plus vite un changement de la loi ». Dans cette affaire, l’irresponsabilité ne repose pas sur la consommation de drogue en elle-même, mais sur la bouffée délirante - et son origine.

Qu’est-ce qui pourrait changer ?

Pour répondre à cette demande, « un texte de loi pourrait préciser que celui qui adopte sciemment un comportement dont il ne peut ignorer qu’il peut avoir des conséquences sur l’altération ou l’abolition de son discernement ne peut pas être jugé irresponsable », nous explique le professeur de droit pénal, Edouard Verny. « Et on pourrait avoir une autre disposition, qui prévoirait que ceux dont l’abolition ou l’altération du discernement procède de la consommation d’alcool ou de stupéfiant ne relèvent pas non plus de l’irresponsabilité », complète-t-il.

Dans les faits, « le texte de loi est assez simple à changer », complète Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal. Mais une telle modification de la loi ne serait pas sans conséquence. « D’abord, ça va poser des problèmes de preuve compliqués, puisqu’il va falloir démontrer que la consommation de cannabis est à l’origine du trouble et ce n’est pas si simple. » Elle craint surtout, par ce biais, « l’introduction d’éléments moraux. Il ne va plus suffire d’être un vrai malade pour être irresponsable pénalement, il faudra être un bon malade ». Dans tous les cas, une modification de la loi ne serait pas rétroactive et ne changerait donc rien dans l’affaire Sarah Halimi.