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Publié le 2 Mars 2021

France - L’inculpation d’un ex-gardien de camp nazi, espoir de justice pour les déportés de Marseille

La justice allemande vient d’inculper un centenaire, ex-gardien du camp de Sachsenhausen, où avaient été déportés des centaines de juifs et résistants marseillais en 1943. Les derniers rescapés et leurs proches espèrent voir ce crime oublié enfin jugé.

Publié le 28 février dans Le Parisien

« On sait maintenant qu'il y a quelqu'un d'encore vivant 78 ans après. Il pourrait donc y avoir un procès pour crime contre l'humanité pour ce qu'ont vécu les 20 000 expulsés du Vieux-Port et ceux qui ont été déportés en Allemagne ». Pour Antoine Mignemi, 83 ans, comme pour les autres derniers survivants de la rafle de Marseille en janvier 1943 ou leurs descendants, l'article de la correspondante à Berlin du New York Times, le 9 février, a fait l'effet d'une bombe. Elle y révélait en effet que le parquet de Neuruppin venait d'engager des poursuites contre trois anciens nazis, dont un centenaire ex-gardien SS du camp de concentration de Sachsenhausen-Oranienbourg, près de Berlin, accusé de complicité dans 3518 meurtres. Or, c'est dans ce camp qu'avaient été déportés 800 Marseillais, dont 200 juifs, raflés dans le quartier de Saint-Jean, surnommé « la petite Naples ».

Douze mille autres avaient été libérés après une à plusieurs semaines au camp de rétention de Fréjus (Var) mais avaient trouvé leur habitation et tout le quartier, 14 ha et 1500 immeubles, totalement dynamités par les Allemands avec l'aide de collaborateurs, notamment René Bousquet. C'est en effet la police française qui avait vidé le quartier de ces habitants.

L'ex-gardien pourrait être « considéré comme complice »

En mai 2019, saisi par des victimes de l'époque, le parquet de Paris avait reconnu ce pan de l'histoire comme « crime contre l'humanité non génocidaire », donc imprescriptible, et ouvert une enquête préliminaire, confiée aux gendarmes de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre.

« La personne poursuivie en Allemagne pourrait être considérée comme complice de ce crime, d'autant que dans la plainte déposée par les rescapés et leurs familles, Sachsenhausen apparaît comme un camp de destination de ces déportés », estime Me Pascal Luongo, avocat du collectif du 24 janvier 1943, qui a réussi à faire requalifier ce qui était resté longtemps considéré comme un crime de guerre.

« Nous demandons à la justice française de se procurer les éléments du parquet allemand, pour confirmer notamment si les dates de sa présence au camp correspondent à la période 1943-1945, dit Me Luongo. Auquel cas, elle pourrait être poursuivie comme complice de la déportation des habitants du quartier Saint-Jean. Il pourrait donc y avoir un procès pénal dans cette affaire. »

« Une surprise de savoir qu'il y a encore des survivants »

« Ça met la chair de poule de savoir qu'il y a peut-être quelqu'un, un gardien, qui a croisé mon père déporté. Le temps qui passe ne change rien à la mémoire, mais c'est vraiment une surprise de savoir qu'il y a encore des survivants », raconte Claude Agresti, dont le père, Roger, avait été envoyé à 21 ans, via Compiègne, à Sachsenhausen où il passera vingt-huit mois.

« Mon père avait été évacué avec toute sa famille, on n'a jamais su pourquoi lui, précisément, avait été déporté en Allemagne. Il est resté à Sachsenhausen jusqu'à l'arrivée des Soviétiques. Les gardiens du camp ont alors organisé une marche de la mort dans la neige, abattant tous les traînards. Mon père a réussi à s'échapper en courant avec quelques autres, puis il est tombé sur l'armée américaine », poursuit Claude Agresti, qui, avec son frère Gérard, est également partie civile. « Il nous a toujours parlé de l'horreur, de l'arbitraire, des tortures, des déportés réduits en esclavage et des meurtres gratuits qu'il avait vus au camp. Il allait témoigner dans les collèges et a même écrit ses souvenirs de la période lors de la naissance de son petit-fils ».

Décédée en novembre 2020, Josette Chobet-Lombardi s'était également constituée partie civile au nom de son père. Dénoncé par un voisin collaborateur qui avait exigé en vain qu'il dénonce les juifs du quartier, son père Marius avait lui aussi été envoyé à Sachsenhausen après la rafle. Mais lui n'en était pas revenu.

« Un traumatisme caché pendant des années »

Le collectif du 24 janvier 1943 a rassemblé les dernières victimes et leurs descendants samedi 27 février pour une cérémonie autour de la stèle qu'ils ont déposée en 2020 dans l'église Notre-Dame-des-Accoules, qui surplombe la zone rasée du 1er au 19 février 1943.

« Ce que l'on attend de tout ça, ce n'est pas une indemnisation, mais que cette histoire soit enseignée aux jeunes, dans les manuels scolaires. Trouver quelqu'un qui a pu participer à ce crime est inespéré et peut permettre de faire reconnaître cette tragédie de 1943 », conclut le survivant de la rafle Antoine Mignemi. « Pour tous ceux qui l'ont vécu, c'est resté un traumatisme caché pendant des années. Jusqu'à la plainte, il y a trois ans, je n'avais jamais réussi à en parler sans sangloter. Je suis en train de faire mon deuil, 78 ans après. Un procès serait une bonne chose, mais vu l'âge de cette personne, on a intérêt à aller vite. »

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