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Publié le 13 Juillet 2021

France - Le rêve parisien de Chagall, Modigliani, Soutine... au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme

Une exposition au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme rend hommage à de grands peintres juifs venus de toute l’Europe. Paris était leur terre promise. Elle fut leur gloire, et pour certains, leur tombeau.

Publié le 5 juillet dans Le Parisien

L’École de Paris ne désigne pas un style mais un destin. Avant 1914, des dizaines et plus encore d’artistes juifs fuient les pogroms, une situation économique désastreuse dans l’est de l’Europe mais aussi le carcan religieux de leurs communautés pour s’émanciper à Paris, ville lumière de l’art, des musées, des galeries et de la liberté. Parmi eux Chagall, qui écrira plus tard un poème déchirant pour ceux qui ne survivront pas, happés par l’Histoire, venu de Russie tout comme Sonia Delaunay, dont l’exposition révèle un sublime portrait de 1907, peint par elle à 22 ans, avant qu’elle ne s’engage dans l’abstraction, ou Soutine. D’autres sont bulgares comme Pascin, polonais comme Kisling, ou italien comme Modigliani.

L’exposition du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, « Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940 », réunit de très nombreuses toiles de ces artistes et d’autres aujourd’hui oubliés, dont beaucoup ont appris la modernité fauve à l’académie Matisse. Ce dernier a été leur professeur. Et les cafés, leur maison. On appelait « les Domistes » ceux qui refont le monde au Café du Dôme à Montparnasse. Ils vivent à la Ruche, ce qui est mieux qu’à la rue. Cette cité pauvre d’une soixantaine d’ateliers dans le XVe est leur havre, où suinte la misère.

Une xénophobie du milieu de l’art français

« Leur reconnaissance ne viendra que dans les années 1920. Avant, il n’y a souvent rien à bouffer. Ils crèvent de chaud en été, de froid en hiver. La bohème, c’est la dèche », résume Pascale Samuel, commissaire de l’exposition, qui fait bien mieux que réunir seulement des tableaux : raconter une histoire. Celle d’amitiés formidables comme entre Blaise Cendrars et Sonia Delaunay. La seconde a illustré « La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France », poème célèbre de l’écrivain. Le pinceau entoure chaque mot comme une mer en mouvement dont les couleurs viennent lécher les rimes. Une des trouvailles de l’exposition. « J’aime la peinture des Delaunay, pleine de soleils, de ruts, de violences. Mme Delaunay a fait un si beau livre de couleurs, que mon poème est plus trempé de lumière que ma vie », écrit Cendrars en 1913. On le voit sur une photo, pas encore amputé du bras qu’il perdra dans la campagne de Champagne en 1915.

Certains artistes juifs aussi, s’engagent, comme le sculpteur Zadkine, ambulancier, ou Kisling, blessé au front. Ils vivront comme une gifle, en 1923, la décision du Salon des Indépendants d’exposer les œuvres en fonction de la nationalité de leurs auteurs, et donc de les rejeter du cœur de la vie parisienne. Ne surtout pas les mélanger aux artistes français. « Ils vivent en France depuis dix ans, ont parfois combattu. Ils sont fous de rage, rappelle l’historienne de l’art. Il y a une xénophobie du milieu de l’art français, et déjà les prémices d’une histoire d’exclusion ».

Qui deviendra extermination. L’exposition en cache une autre, plus petite, dans les sous-sols du musée, qui accompagne la réédition d’un livre majeur, « Nos artistes martyrs », écrit par Hersh Fenster et publié pour la première fois en 1951 en yiddish. Pendant la Shoah, cet intellectuel juif s’était juré, s’il survivait, d’offrir un tombeau à tous les artistes de l’École de Paris morts dans les camps. C’est un choc, comme cette évocation de Georges Ascher, arrêté avec sa femme à La Ciotat où il avait trouvé refuge, en 1943. Leur fille unique, cachée à Lyon, mourut écrasée par une voiture. Aucune descendance, et toutes ses œuvres ont disparu. Effacement absolu. Sauf ce magnifique portrait d’une « Fille à table avec des légumes » de 1925 : tout un art du cadre, du regard du modèle qui nous fixe, et cette manière singulière de mélanger la nature morte et le portrait. L’École de Paris, l’école de la vie, mais le tableau des disparus.

« Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour école, 1905-1940 », musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (Paris IIIe), du mardi au dimanche jusqu’au 31 octobre, de 5,50 à 10,50 euros, réservation obligatoire, www.mahj.org.

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