Lu dans la presse
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Publié le 2 Mars 2021

France - Que pensent les historiens de la série "Paris Police 1900", dans le contexte trouble de l'Affaire Dreyfus ?

« 20 Minutes » a demandé à deux historiens spécialistes de la police ce qu’ils pensaient de la série de Canal +, dont les deux derniers épisodes ont été diffusés ce lundi.

Publié le mars dans 20 Minutes

  • Canal+ a diffusé ce lundi à 21h05 les deux derniers épisodes de Paris Police 1900. Une série qui mêle personnages historiques et protagonistes de fiction.
  • Dans le contexte politique trouble de l’affaire Dreyfus, elle suit l’enquête autour de la sordide affaire criminelle de la malle sanglante.

Paris, 1899. A la veille du second procès d’Alfred Dreyfus, la IIIe République est au bord de l’explosion. Le président Félix Faure vient de passer l’arme à gauche, les tensions entre groupes anarchistes et ligues antisémites et nationalistes n’ont jamais été aussi fortes. Alors que le préfet Louis Lépine est rappelé pour maintenir l’ordre dans la capitale, Antoine Jouin, un jeune inspecteur ambitieux de la criminelle, enquête pour retrouver le meurtrier d’une inconnue dont le corps démembré a été retrouvé dans une valise jetée dans la Seine. Il est aidé par Jeanne Chauvin, une jeune avocate. Ce lundi, Canal+ a diffusé les deux derniers épisodes de la première saison de la série Paris Police 1900, qui dévoile aux spectateurs la face la plus sombre de la belle époque.

« C’est une bonne série en tant que spectateur. En tant qu’historien, elle est aussi très intéressante car elle est globalement très sourcée. Le trait est forcé, c’est normal. Mais il n’y a pas d’invraisemblances majeures », juge Arnaud-Dominique Houte, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la police au XIXe siècle*. Il y a, dans la série créée par Fabien Nury, « beaucoup de sang et de corps découpés », ajoute-t-il. « Mais ça n’aurait pas dépaysé un spectateur de 1900 car la presse de l’époque adorait entrer dans les détails macabres ».

« Le crime devient un sujet d’actualité »

Durant cette période, les journaux « se développent comme jamais », observe de son côté l’historien de la police Jean-Marc Berlière**. « Il y avait bien sûr de l’insécurité, des crimes épouvantables… Mais à partir de 1885, 1890, le crime devient un sujet d’actualité. » « Dans les années 1890, il y a une presse à grand tirage qui va vraiment fonctionner en utilisant beaucoup la question de l’insécurité » signale également Arnaud-Dominique Houte. « Elle adore rentrer dans les détails macabres. C’est ce qu’on appelle à l’époque le "grand guignol", c’est tellement exagéré que ça en devient drôle. »

Une forme de psychose s’empare alors du pays. « La redondance du fait criminel dans la presse donne l’impression aux gens que jamais la criminalité n’a été aussi développée, que jamais on n’a été aussi peu en sécurité dans les villes ou les campagnes », remarque Jean-Marc Berlière.

Mais, à cette époque, seules les villes de plus de 5.000 habitants ont l’obligation de se doter d’une police. « Il n’y a qu’une police digne de ce nom en France, c’est la police parisienne », assure-t-il. Il faut dire que la capitale est « la ville la plus peuplée, c’est le centre du pouvoir politique ». « C’est aussi de Paris que sont partis les mouvements révolutionnaires », souligne l’historien. Le Premier consul, Napoléon Bonaparte, l’avait bien compris. En février 1800, la préfecture de police a été créée, en remplacement de la lieutenance générale de police. Louis Lépine, l’un des personnages centraux de la série de Canal+, restera à sa tête pendant 18 ans. Un record jamais égalé.

Arnaud-Dominique Houte complète : « Chez Lépine, il y a l’idée que la police doit être moderne. C’est un peu de la com, car les choses ne peuvent pas changer autant que ça et aussi vite, mais il est le premier à considérer qu’il faut valoriser les innovations. » C’est notamment au sein de la préfecture de police que « ce qui va devenir la criminalistique est née », relève Jean-Marc Berlière.

« Lépine est aussi très fort aussi pour se mettre en scène lui-même, note en outre Arnaud-Dominique Houte. Il est très présent à l’époque dans la presse. On le voit dans la série se rendre rue Chabrol pour participer au siège, il est même pris pour cible. C’est tout à fait réaliste car Lépine effectivement voulait toujours montrer l’exemple et dans les moments un peu tendus, il est souvent en première ligne. Ce qui renforce son image. »

Le préfet va aussi s’atteler à redorer le blason de la police. « Elle a hérité d’une image très négative, elle passe pour violente, presque mafieuse… Ça ne veut pas dire qu’elle est vraie mais cette image est très répandue à la fin du 19e », poursuit le professeur de la Sorbonne. Les agents sont désormais sommés d’être plus disciplinés et de respecter les règles.

Bertillonnage

Pour identifier les criminels récidivistes à une époque où la carte d’identité n’existe pas, le chef du service photographique de la préfecture, Alphonse Bertillon, va développer un système anthropométrique appelé plus tard « bertillonnage ». On le voit dans la série mesurer avec ses instruments crânes et oreilles des suspects.

La technique qu’il a mise au point, bien que compliquée, permettra « de reconnaître de beaucoup de récidivistes, ce qui était l’obsession de l’époque », indique Jean-Marc Berlière. Mais rapidement, elle est remplacée par l’analyse des seules empreintes digitales. « Un criminel laissera toujours des empreintes sur la scène de crime alors qu’il ne laisse jamais ses mesures osseuses », souligne-t-il. Il n’empêche, grâce à Bertillon va se développer ce qu’on appelle aujourd’hui la police technique et scientifique.

« Un antisémitisme hyperradical »

Paris police 1900 surprend aussi par la violence des discours antisémites tenus par des personnages comme Jules Guérin. Difficile de penser aujourd’hui que ce dernier dirigeait un journal baptisé L’Antijuif. « Guérin n’est pas un personnage aussi important que ça, en réalité. Le vrai personnage important, c’est le député Edouard Drumont qui théorisé un antisémitisme hyperradical, intensifié par l’affaire Dreyfus », relève Arnaud-Dominique Houte.

A l’époque, la fragile IIIe République est confrontée à « une extrême gauche qu’on va appeler anarchiste par commodité, et à une extrême droite qui n’a jamais supporté la République, la démocratie, un régime sans Dieu », explique Jean-Marc Berlière. Or, « cette opposition s’est cristallisée autour de l’antisémitisme. Il y a des manifestations dans lesquelles on crie "Mort aux juifs, dehors les métèques", c’est-à-dire les étrangers ».

Première femme à plaider

« Ce que j’ai beaucoup aimé, dans la série, c’est le personnage de Jeanne Chauvin, qui est très réel », souligne Arnaud-Dominique Houte. Cette fille de notaire, orpheline de père à 16 ans, a été la deuxième femme avocate à prêter serment, en 1900, et la première à plaider. C’est aussi à la fin du XIXe siècle, en 1897 plus précisément, qu’une loi est votée pour « renforcer les droits des avocats ». « Avant cette date, ils ne sont quasiment présents qu’au moment du procès. Tout au long de la procédure, le juge n’a quasiment aucun contre-pouvoir. C’était un système très déséquilibré. Après 1897, l’avocat commence à avoir son mot à dire. Mais on est très loin d’un équilibre réel car le système judiciaire est fondamentalement inquisitoire », précise le professeur de la Sorbonne.

Mais la série de Canal+ prend aussi quelques libertés avec la réalité. Jean-Marc Berlière juge notamment « insupportables » les scènes où l’on voit l’épouse du préfet Lépine se droguer avec de l’héroïne…