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Publié le 6 Avril 2021

Interview Crif - Découverte d'une collection unique de documents juifs avec Jean Claude Kuperminc, Conservateur de la Bibliothèque de l'AIU

La Bibliothèque de l'Alliance israélite universelle à Paris est une des plus riches collections de documents juifs au monde et une source incontournable pour de nombreux travaux historiques. Entretien avec Jean Claude Kuperminc, Conservateur de la Bibliothèque et des Archives de l'Alliance israélite universelle à Paris et membre fondateur du Réseau Européen des Bibliothèques de Judaica et Hebraica (réseau Rachel).

Le Crif : Jean-Claude Kuperminc, le fond documentaire de votre Bibliothèque est très riche, pouvez-vous développer sa composition ?

Jean-Claude Kuperminc : Il faut imaginer une des plus riches collections de documents juifs au monde. Dans la bibliothèque de l’Alliance, vous trouverez des fragments de la Guenizah du Caire avec un commentaire écrit de la main de Maïmonide. Vous pourrez découvrir quelques-uns des plus beaux manuscrits enluminés hébreux du Moyen-Age, comme ce rituel de prières de Roch Hachana et Yom Kippour du XIVe s., ou ce Mahzor Vitry. A côté de ces trésors, figurent les archives de l’Alliance israélite universelle, c’est-à-dire l’ensemble des lettres et rapports écrits par les enseignants et les correspondants de l’Alliance dans le monde entier, qui donnent une vision de terrain de la vie des Juifs surtout en Afrique du Nord, dans les Balkans et au Moyen-Orient de 1860 à 1940. C’est une source incontournable pour de nombreux travaux historiques. Les archives contiennent aussi des films et de très nombreuses photographies.

Bien sûr, une bibliothèque propose des livres. Plus de 150 000 volumes dont certains remontent aux origines de l’imprimerie. Tous les aspects du judaïsme y sont représentés, les textes sacrés, les commentaires, mais aussi tous les développements nés de la Science du judaïsme au XIXe siècle. A côté de cela, on découvre de nombreux journaux, témoignages précieux de la vie et des réflexions quotidiennes des communautés juives, en France mais aussi en Afrique du Nord et dans l’Empire Ottoman.

La bibliothèque est vivante, elle continue d’acquérir des livres nouveaux. Et elle s’ouvre, nous le verrons, aux lecteurs non universitaires et aux enfants. 

Mais maintenir la bibliothèque et ses services, en particulier son développement numérique, a un coût et l’Alliance accepte avec gratitude tous les soutiens financiers, pour préserver ce bien commun à l’ensemble de la communauté.

 

Le Crif : Durant l’occupation nazie, la bibliothèque a été pillée et les locaux occupés comme espace de stockage. Comment l’Alliance a-t-elle reconstitué son fond documentaire ?

Jean-Claude Kuperminc : L’Alliance a subi à elle seule toutes les avanies infligées aux bibliothèques juives pendant la guerre. Tout commence avec l’invasion allemande, et le pillage en août 1940 de tous les livres et les archives conservés rue La Bruyère. Les Nazis ne brûlent pas ces documents, ils en réunissent une partie dans ce qui deviendra la plus grande bibliothèque juive d’Europe au service du régime hitlérien. A la libération, les troupes anglo-américaines retrouvent des millions de livres volés et les regroupent dans un centre de tri à Offenbach. De là, les livres et les trésors de l’AIU reviendront petit à petit sur leurs rayonnages d’origine. Cela prendra plus de dix ans. Parallèlement, un lot important d’archives de l’Alliance se retrouve en 1945 à l’Est de l’Allemagne, et est récupéré par l’Armée Rouge. Les Soviétiques les conserveront secrètement, et il faudra l’effondrement du régime communiste pour qu’on découvre les “Archives secrètes” de Moscou. Là encore, les documents appartenant à l’Alliance seront réintégrés aux collections de Paris, seulement en 2000. On peut donc dire que la bibliothèque de l’Alliance a été deux fois pillée, mais dans un sens aussi deux fois sauvée.

 

Le Crif : On a tendance à penser qu’un tel fond s’adresse surtout aux chercheurs, aux historiens. Question pratique : les recherches sont –elles faciles d’accès pour quelqu’un qui ne l’est pas ?

Jean-Claude Kuperminc : Il est certain que l’essentiel des documents est utilisé pour les besoins de la recherche universitaire, surtout historique. Mais les documents peuvent aussi donner des éléments sur l’art, la sociologie, la vie quotidienne, des communautés juives dans le monde entier.

Pour accéder à toutes ces richesses, l’Alliance a développé plusieurs outils qui sont accessibles à tous. J’insisterai d’abord sur le Réseau Rachel, une création commune de plusieurs institutions juives, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.  Les bibliothèques de l’AIU, du Séminaire israélite de France, de la Maison de la culture yiddish/Bibliothèque Medem, rejointes par le Musée d’Art et d’histoire du judaïsme et par l’Institut européen des musiques juives, ont mis en commun leurs collections dans un énorme catalogue collectif de plus de 350 000 références. C’est le point de départ de toutes les recherches. Vous pouvez découvrir des descriptions de documents, et surtout savoir immédiatement où se trouve chaque document pour pouvoir le consulter. Dans le cas de l’AIU, vous pouvez aussi les emprunter.

La bibliothèque numérique de l’AIU, elle propose en accès direct et gratuitement des milliers de livres, journaux, photos, films, enregistrements sonores. Il vous suffit de rechercher et vous pouvez immédiatement lire sur votre écran, télécharger, échanger via les réseaux sociaux, toutes vos trouvailles.

Dans la salle de lecture du 6 bis rue Michel Ange, ouverte même en cette période de pandémie, sur rendez-vous, vous découvrirez aussi plus de 5 000 livres en libre accès. Parmi eux, des romans, des BD, des livres de cuisine, des initiations au judaïsme. Et les enfants ne sont pas oubliés, avec la bibliothèque Michèle Kahn qui réunit plus de 600 livres et albums pour les 3-12 ans.

Avec la bibliothèque numérique, vous pourrez aussi consulter des expositions virtuelles qui vous présentent une mise en scène des documents.

 

Le Crif : Avez-vous un fond d’archives que vous affectionnez en particulier ? Par son histoire, par son contenu ou son originalité ?

Jean-Claude Kuperminc : C’est difficile de faire un choix dans une telle variété. J’attirerai volontiers l’attention sur un fonds récent, en cours de traitement, que vous découvrirez bientôt sous forme d’exposition numérique.

Ce sont les archives de Klemens Schapira, que son neveu Xavier nous a confiées. Klemens était un juif né à Kolomyia en Ukraine, éduqué dans l’Empire Austro-hongrois, bon citoyen et patriote, qui doit fuir l’Autriche nazifiée en 1938. Il part pour Shanghaï, une des rares endroits au monde qui accepte alors des réfugiés sans visa. Il y passera dix ans, dans la plus grande misère, un amer dénuement et une précarité constante, avant de pouvoir enfin émigrer en Israël où il finira ses jours. Ses lettres, cartes postales, photos, ont été soigneusement préservées par son neveu. Grâce à deux jeunes autrichiens, stagiaires d’une organisation pour la mémoire, nous pourrons très bientôt proposer une visite virtuelle à travers la vie extraordinaire de cet homme ordinaire qu’était Klemens Schapira, broyé par l’histoire.

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